Publié le 14 Oct 2020 - 00:31
APOLOGIE DE LA VIOLENCE POLITIQUE

Un mal africain profond 

 

Le député de la majorité, Aliou Doumbourou Sow, persiste dans ses propos qualifiés d’apologie de la violence. Les politiques se démarquent.

 

A la place des regrets, il a préféré des précisions. Le député du département de Ranérou Ferlo ne semble ainsi pas secoué par la vague d’indignation qui a suivi ses propos. Aliou Doumbourou Sow, qui a récemment invité une partie de sa communauté à prendre ‘’les machettes pour défendre la candidature de Macky Sall a un troisième mandat en 2024’’, estime que ses détracteurs n’ont pas bien saisi le sens de sa déclaration. ‘’On ne peut pas juger mes propos, si on n’est pas du Fouta ou du Ferlo. Depuis que Macky Sall a créé l’Alliance pour la République, nous avons l’habitude, dans le Ferlo, d’utiliser le mot ‘arme’ pour désigner la carte d’électeur. Parfois, nous utilisons les mots ‘bâton’, ‘coupe-coupe’ ou ‘balle’’’, se défend le parlementaire républicain dans un organe de presse.  

Il pense d’ailleurs que tous ceux qui s’agitent à gauche et à droite feraient mieux d’aller demander aux politiciens du Fouta l’exacte traduction de ses propos. Et ses adversaires, à ses yeux, font pire. Seulement, ce jargon ‘’va-t-en guerre’’ dont il a fait usage, ne semble pas connu de tous dans le Fouta ou le Ferlo.

En effet, dans un communiqué rendu public, la jeunesse patriotique de Matam se démarque de ses allégations. ‘’Nous portons à la connaissance de tous que dans notre culture, les machettes servent à couper des têtes. Qui dit Peulh dit respect, dignité et amour envers son prochain, quelle que soit son appartenance’’, déclare Amadou Sow, Coordonnateur des Jeunes patriotiques de Matam.  

D’ailleurs, malgré les précisions du député, les membres du Front pour une révolution anti-impérialiste populaire et panafricaine (Frapp) prévoient de déposer une plainte sur la table du procureur de la République, pour instigation à un crime de masse fait.  

Dans le même sillage, ses collègues parlementaires n’ont pas été en reste dans le concert de la dénonciation. Le député Marie Sow Ndiaye, membre du groupe parlementaire Liberté et démocratie, estime d’ailleurs que la peur a changé de camp. Elle trouve ainsi inadmissible ces propos qui émanent d’un élu du peuple qui, selon elle, devait être un modèle dans sa démarche et dans son verbe.  ‘’Vouloir instaurer une guerre civile ou ethnique est insensé. L’idéal, c’est qu’il revienne à la raison et qu’il s’excuse au lieu de vouloir berner les populations par des explications qui ne tiennent pas la route’’. 

Cherif Théodore Monteuil, député de la majorité, lui, se veut prudent sur des déclarations dont il n’a, jusque-là, dit-il, que des échos. Toutefois, le leader de l’Union citoyenne/Bunt Bi estime que si ces propos sont avérés, ils doivent être condamnés de la manière la plus forte. ‘’Nous pensons qu’aucun Sénégalais ne devrait inciter à la violence, à plus forte raison celle ethnique, d’autant plus que c’est un élu qui parle au nom du peuple sénégalais. Ce n’est pas un élu d’un terroir ou d’un département ou d’une ethnie. Pour mériter notre honorabilité, nous devons toujours avoir des propos décents’’, recadre le député du groupe parlementaire de la majorité.  

Dans la journée d’hier, un de ses collègues, membre de la Conférence des présidents des non-inscrits, avait annoncé la saisine du président de l’Assemblée nationale, Moustapha Niasse, pour dénoncer les propos tenus par le député de la majorité. ‘’Le débat de cette nature n’honore ni l’Assemblée nationale encore moins le peuple sénégalais‘’, indique Malick Guèye du Grand parti. Pendant ce temps, Chérif Théodore Monteuil est d’avis que le comportement d’un député qui porte atteinte à l’honorabilité de l’Assemblée nationale devrait être dénoncé.  

Pour l’analyste politique Moussa Diaw, ces propos tenus par le parlementaire ne peuvent pas être logés dans un contexte électoral, contrairement à d’autres pays de la sous-région. Car on est loin de cette période. ‘’Ces propos ne peuvent pas être considérés comme annonciateurs d’un avenir chaotique. Ils semblent traduire une passion non maitrisée d’une personne isolée. Cela ne mérite pas qu’on lui accorde trop d’importance, à partir du moment où il ne bénéficie pas de soutien au sein de la majorité’’, explique l’enseignant-chercheur en science politique à l’UGB.  

Il pense d’ailleurs que la majorité doit réagir de façon ferme pour dissuader d’autres acteurs tentés par de telles dérives verbales pouvant, à ses yeux, porter atteinte au contrat social et politique sénégalais. 

Problématique du troisième mandat 

Toutefois, cette tendance à vouloir user d’armes pour défendre un candidat en direction des élections, n’est pas méconnue des Africains et même des Sénégalais.  En mars 2012, alors que le leader du Parti démocratique sénégalais disputait un troisième mandat contre son ancien Premier ministre Macky Sall, Abdoulaye Wade avait bénéficié du soutien du défunt guide des Thiantacounes. Cheikh Béthio Thioune, qui avait donné une consigne de vote à ses disciples en faveur de Wade père pour le second tour de la Présidentielle, avait en même temps recommandé à ces derniers de se promener avec des gourdins.  Ce qui qui avait été perçu comme de la violence, alors que, pour les Thiantacounes, c’était un moyen de défense et de protection qui leur avait été exigé par leur marabout.  

L’apologie de la violence préélectorale va cependant au-delà de nos frontières. Et la question du troisième mandat est de plus en plus source de tension dans plusieurs contrées de la sous-région. Si, au Sénégal, aborder le sujet en perspective de la Présidentielle de 2024 renvoie à des sanctions, ailleurs, le phénomène est plus complexe, les positions étant claires.  Déjà, en janvier dernier, le président Alpha Condé de la Guinée condamnait les violences et propos à relents ethnocentristes de certains hommes politiques et activistes de la société civile, relayés par la presse locale. 

En effet, en Guinée, des manifestations organisées par le Front national pour la défense de la Constitution, une coalition rassemblant des partis politiques et des membres de la société civile, ont fait trois morts et de nombreux blessés à Labé, une ville située à plus de 600 km au nord-est de Conakry. Les manifestants protestent, dit-on, contre un éventuel 3e mandat du président Condé.  

En Côte d’Ivoire, c’est la structure International Crisis Group qui appelle à un report de la Présidentielle prévue le 31 octobre prochain.  L’organisation de préventions des conflits internationaux souhaite, à travers ce report, établir un large dialogue et éviter des violences, renseigne-t-on dans un rapport rendu public.  

HABIBATOU TRAORE   

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