“L’argent des films sénégalais part en France”
Vous avez participé au programme ‘’Itinéraires documentaires’’. Quel projet documentaire voulez-vous réaliser ?
Je suis de la génération d’après Sembène Ousmane. Nous constituons ainsi la deuxième génération et les jeunes d’aujourd’hui sont la troisième.
Mon premier film de fiction, je l’ai fait en Europe. J’y ai fait mes études, à l'IDHEC, l’école de cinéma qui existait avant le Femis. Paulin Soumanou Vieyra a étudié là-bas.
Donc, mon premier film, je l’ai fait en Allemagne. Il est financé par ce pays, même si l’acteur principal est sénégalais. Le film s’appelle ‘’Afrique sur le fleuve du rail’’. Ma carrière, je l’ai commencé en 1980. En fin d’année 1990, j’ai été président des cinéastes sénégalais. Et j’ai ouvert le premier centre de formation audiovisuel pour les jeunes. Il est à la Médina. À ce titre,
j’ai eu à former 80 jeunes dont Hubert Laba Ndao. À l’époque, il n’avait jamais fait de cinéma. Il était à l’université et est devenu un réalisateur.
Maintenant, je fais surtout ce qu’on appelle le Script Doctor. Quand vous avez un projet, je peux vous l’analyser. Je le fais aussi bien au Sénégal que dans les autres pays d’Afrique. Je m’active dans la réalisation de films de fiction.
Ce programme, ‘’Itinéraires documentaires’’, m’a permis de beaucoup apprendre à travers les échanges organisés. Je suis venu avec une histoire. Le projet m'est apparu sous forme de documentaire. La forme est importante. Pour la fiction, on utilise notre
imagination pour raconter notre histoire. Mais le documentaire, c’est affronter votre réel. Il me fallait donc les outils, la technicité du documentaire que je n’avais pas. Alors, comme je voyage beaucoup au niveau des Etats-Unis, j’ai vu les émigrés sénégalais qui sont là-bas et j’ai entendu parler de ‘’Little Senegal’’. Ça se trouve au quartier mythique de Harlem. Je me suis alors demandé
comment est-ce que les Sénégalais sont arrivés à créer ce quartier à Harlem ? C’est sur ça que j’ai travaillé. J’ai fait beaucoup de découvertes.
C’est ça qui est intéressant avec les documentaires. Vous êtes obligés de faire des recherches. Parce qu’il faut raconter des choses réelles. C’est en 1979 que les Sénégalais ont commencé à aller aux Etats-Unis. Donc, ce programme m’a donné la détermination de faire ce film qui est un projet qualitatif, parce qu’eux, ils ont des pistes sur le documentaire.
Quelle comparaison faites-vous de ce qui se faisait auparavant et de ce qui se fait aujourd’hui dans le monde du cinéma ?
Il faut d’abord établir la différence entre cinéma et audiovisuel. Tout est dans l’audiovisuel, mais il y a une distinction entre cinéma et audiovisuel. On peut dire, schématiquement, un film de cinéma est fait pour les salles de cinéma ; un film audiovisuel est fait pour les écrans de télévision. Donc, l’approche est différente. Et puis, il y a beaucoup plus d’exigence et beaucoup plus de financement au niveau des films de cinéma. Hier, les cinéastes avaient beaucoup plus de dynamisme et d’engagement. Notre cinéma n’est pas bien organisé aujourd’hui. Avant, les cinéastes tels que Sembène et Djibril Diop parlaient d’une seule voix à l’Etat. Mais aujourd’hui, on n’a pas cela.
À qui la faute ?
C’est notre faute en premier, parce qu’on n’est pas organisé. Mais la deuxième, c’est que pour avoir le soutien de l’Etat, c’est la galère. On est confronté à beaucoup de difficultés pour être financé. Avant le Fopica, l’Etat n’avait jamais compris l’importance du cinéma, aussi bien sur le plan culturel que sur le plan économique. Si l’on prend le cas de Hollywood, elle rapporte plus d’argent que l’exportation de l’automobile. Mais ici, l’Etat ne met pas vraiment assez d’argent. Si l’on prend l’exemple d’un film comme ‘’Félicité’’, l’Etat y a mis environ 200 millions F CFA sur 900 millions. Pour le film de Maty Diop, sur 800 millions F CFA de budget, l’Etat a mis 100 millions.
C’est un problème. Si on respecte les règles de la production, c’est des films français, parce que ce sont les Français qui ont mis beaucoup plus d’argent. Ils pouvaient réclamer cela. Mais heureusement, peut-être avec le dynamisme de nos cinéastes, on va réussir à faire en sorte qu’on reconnaisse ces films comme des films sénégalais. Mais où va l’argent des films qui rapportent beaucoup ? Ça va en France. Parce que l’argent revient aux producteurs français qui ont mis leur argent. L’enjeu est là. Il faut qu’on essaye toujours d’être dominant dans la production. Ça rapporte de l’argent qui peut encore financer le cinéma.