‘’La chimio sera décentralisée…, au cours de cette année’’
Malgré les acquis dans la lutte contre le cancer, beaucoup de travail reste à faire, surtout dans les régions. Dans cet entretien, à l’occasion de la Journée mondiale contre cette affection, le directeur de la Lutte contre la maladie, Docteur Babacar Guèye, fait le dépistage de cette pathologie, avant d’annoncer un projet d’implantation de pôles territoriaux dans des régions et des axes. Des structures qui pourront se charger des cancers et également la déconcentration de la chimiothérapie dans les régions de KaffQrine, Diourbel et Ziguinchor.
La Journée mondiale de lutte contre le cancer est célébrée aujourd’hui. Quelles sont les nouveautés dans le traitement ?
Le cancer fait partie des maladies non-transmissibles qui, aujourd'hui, du fait de leur ampleur, de leur gravité, méritent qu'on leur prête beaucoup plus d'attention. Si on prend l'exemple juste du cancer, en termes d'incidence, de chiffres, on s'attend à plus de 11 mille nouveaux cas de cancers, toutes formes confondues, au Sénégal, par an. Avec une mortalité qui est assez importante de 70 % au moins. Au Sénégal, les cancers les plus fréquents sont ceux du col de l'utérus et du sein. En traitement de cancer, il y a la chaine de soins. C'est depuis la prévention, qui est très importante pour la promotion de la santé, jusqu'aux soins palliatifs. Sur la chaine de soins, le Sénégal a connu des avancées à chaque niveau.
Il y a, d'abord, la prévention primaire. Des actions doivent être menées, afin d'éviter la survenue du cancer. Parce qu’un tiers du cancer peut être évité, si des mesures précoces de détection et de prise en charge sont prises. Mais également si des mesures de prévention sont prises sur les facteurs de risques. Par rapport à la lutte contre le tabagisme, qui est un facteur de risque de survenue du cancer, il y a la loi antitabac avec le décret d'application ; laquelle loi est en cours de vulgarisation et de mise en œuvre. En plus de cette loi, il y a les avertissements sanitaires sur les paquets de cigarettes. C'est un effort important que le Sénégal est en train de faire dans le domaine de la lutte contre le cancer.
Il y a aussi un facteur de risque important : c'est l'alimentation. Il faudra avoir une alimentation saine, pour pouvoir éviter le cancer. Pour ce qui est de cette alimentation saine, le Sénégal est en train d'élaborer une recommandation alimentaire nationale. Il ne faut pas attendre l’âge adulte pour mettre en œuvre des stratégies de communication.
Il faut commencer dès le bas-âge. C'est pour cette raison, en relation avec le ministère de l'Education nationale, à travers sa Division de contrôle médical scolaire, on travaille à intégrer dans le module de formation des élèves des aspects liés à l'adoption de comportements sains. Ce, pour éviter les facteurs de risques des maladies non-transmissibles, de façon générale, en particulier du cancer. L'autre élément important dans le domaine de la prévention, c'est la vaccination. Il y a des cancers qui sont liés à certains virus. La question du cancer du foie est liée à l'hépatite B. Depuis déjà 2016, le Sénégal a introduit dans son Programme élargi de vaccination le vaccin contre l'hépatite B à la naissance. Ceci est gratuit pour tous les enfants. Le 31 octobre 2018, le chef de l'Etat a introduit, dans le Programme élargi de vaccination, le vaccin contre le human papilloma virus qui est impliqué dans la survenu du cancer du col de l'utérus. Déjà, à ce niveau, il y a beaucoup d'efforts que le Sénégal est en train de faire et on va poursuivre dans ce domaine.
Malgré ces efforts, le cancer est toujours considéré comme une fatalité. Ne faudrait-il pas revoir la stratégie de prévention ?
Après la prévention primaire, il y a la prévention secondaire. C'est-à-dire qu'il faut détecter précocement la maladie, pour ne pas arriver au décès, à la mortalité qui est importante. Par rapport à cette prévention secondaire, je veux vraiment lancer une invite auprès de la presse. Il y a aujourd'hui des enquêtes qui sont faites, qui montrent que les Sénégalais pensent que le cancer est une fatalité. C’est-à-dire, dès qu'on dit cancer, c’est égal décès. Alors que ce n'est pas du tout le cas. Le cancer est une maladie comme le paludisme, la tuberculose, comme toute autre maladie qui, lorsqu'il est détecté précocement se guérit. On peut être atteint et guérir de son cancer. Il faudrait communiquer sur l'intérêt de la détection et de la prise en charge précoce.
Je lance une invite pour nous nous accompagner dans cette sensibilisation. On a parlé des deux cancers les plus fréquents. Pour le cancer du sein, trois outils sont utilisés au niveau de la communauté. Il y a des méthodes d'autopalpation très efficaces qui peuvent être utilisées par les femmes dans leur domicile, pour pouvoir détecter et aller se faire consulter. Au niveau des structures de santé, il y a l'examen sinologique très important. Il ne faudrait pas rater les occasions. C'est ce qu'on appelle les occasions manquées.
Il est important qu'au niveau des structures de santé, quand une femme vient en consultation, même si c'est pour une autre raison, qu'on puisse lui proposer l'examen sinologique, essayer de voir s'il y a des signes qui devraient faire penser au cancer et après, faire ce qu'il faut.
L'autre élément, c'est la mammographie. Selon les indications, on peut amener à prescrire la mammographie chez certaines femmes. L'Etat a fait beaucoup d'efforts par rapport à la disponibilité des appareils de mammographie. Aujourd’hui, toutes les régions du Sénégal sont dotées d’appareil de mammographie. Kaffrine, qui a inauguré son hôpital dans les jours précédents, va avoir son appareil de mammographie. Kédougou et Sédhiou, qui vont inaugurer leur nouvelle structure, auront leur mammographie. Ce qui fera que, dans les jours qui viennent, nous aurons une couverture dans toutes les régions et voir la disponibilité de cet appareil par rapport à la détection précoce.
Qu’en est-il du cancer du col de l’utérus ?
Cela m’amène à parler d’un des thèmes retenus, dans le cadre de la célébration de la journée mondiale, cette année. C’est de faire le plaidoyer pour l’élimination du cancer du col de l’utérus. Parce que ce cancer fait partie des cancers pour lesquels il y a des moyens de pouvoir l’éliminer. L’un d’eux, c’est la vaccination ; le deuxième moyen, c’est le dépistage des lésions précancéreuses. Il faudrait mettre des mécanismes pour pouvoir dépister des lésions précancéreuses et, une fois que ces lésions sont dépistées, ne pas s’arrêter à cela.
C’est la stratégie ‘’Screen’’ et ‘’Trate’’ (dépister et traiter). Il ne sert à rien de dépister et de laisser dans la nature. Pour cela, le Sénégal est en train de mettre au niveau des districts sanitaires des unités de dépistage et de prise en charge des lésions précancéreuses du col de l’utérus. Tout ce que je viens de dire pour le cancer du sein et celui du col de l’utérus est dans un document de protocoles et normes de détection précoce du cancer du sein et du dépistage précoce des lésions précancéreuses du cancer du col de l’utérus.
Pour faciliter le traitement du cancer du col de l’utérus et celui du sein, l’Etat a rendu gratuite la chimiothérapie. Mais aujourd’hui, on dirait qu’il est plus difficile d’y accéder, vu le nombre limité de structures qui le font ?
Pour l’élimination du cancer du col, il y a trois éléments : la vaccination, le dépistage des lésions précancéreuses et la prise en charge des cas. J’ai parlé de la stratégie de dépister et traiter. Il peut arriver qu’on ait, dans le cadre du dépistage, des cas confirmés. Pour faciliter cela, on a mis des initiatives, dans le cadre de la protection sociale. Le chef de l’Etat a bien voulu, depuis le mois d’octobre 2019, assurer une subvention d’un milliard par an à la chimiothérapie. On dit classiquement que ça concerne le cancer du col et celui du sein.
C’est vrai que la gratuité est totale pour le cancer du col de l’utérus et celui du sein. Mais, dans cette subvention, il y a 25 médicaments anticancéreux qui sont concernés. Ces médicaments peuvent permettre de traiter d’autres types de cancer. Ce qui fait qu’en plus de la gratuité totale pour le cancer du col et celui du sein, il y a une diminution du coût de prise en charge de la chimiothérapie pour les autres types de cancer. Une diminution comprise entre 50 et 60 %. En termes d’accès, je pense qu’il est facile. Parce que si les indications sont respectées, le diagnostic est posé pour le cancer du col et du sein, il y a, au niveau du pays, déjà 6 structures qui font la chimiothérapie. C’est l’hôpital Principal, l’hôpital Aristide Le Dantec, l’hôpital Fann, le Centre national de transfusion sanguine, l’hôpital général de Grand Yoff, l’hôpital Dalal Jamm et l’hôpital régional de Thiès.
Nous sommes dans une perspective de déconcentration. On a déjà commencé pour l’hôpital régional de Fatick où un travail est en train d’être fait pour rendre disponible la chimiothérapie. Au cours de l’année 2021, la chimio sera décentralisée dans les régions de Diourbel et de Ziguinchor. Ce qui va permettre à la population d’accéder plus facilement à ces médicaments, conformément aux orientations d’équité dans la mise en œuvre des politiques publiques. Si vous faites une enquête, il y a des femmes qui, avant la mise en œuvre de cette subvention, avaient arrêté leur traitement. C’était très cher. Actuellement, elles ont repris leur traitement, parce que c’est devenu gratuit. La dernière évaluation qui a été faite a permis de voir que plus de 6 680 patients ont bénéficié de cette chimio. On va continuer à faire le plaidoyer pour avoir beaucoup plus de ressources pour élargir la gamme par rapport à cette prise en charge de la chimio.
Vous parlez de la décentralisation de la chimio dans certaines régions. Les femmes souffrent en quittant leurs localités pour Dakar. Pourquoi ne pas généraliser cette décentralisation dans toutes les structures du pays ?
En termes de mise en œuvre de politique de santé, il faut voir les progrès. Avant, la chimio n’était pas gratuite. C’était juste à Dakar et elle était assez coûteuse. Les gens dépensaient plus d’un million pour assurer la chimio. La première initiative, c’est la gratuité de cette chimio. La deuxième chose, c’est la déconcentration dans la région de Fatick, Diourbel et Ziguinchor. Maintenant, chemin faisant, progressivement, on va mettre des pôles pour la prise en charge des cancers. Ce qui est prévu dans le plan cancer, c’est d’avoir des pôles au niveau des régions et des axes, des pôles territoriaux des structures qui pourront se charger des cancers.
Ces pôles auront des services de chimio de radiothérapie et naturellement tout. La radiothérapie est essentielle pour la prise en charge des patients. En tout cas, depuis 2018, le Sénégal a acquis des accélérateurs linéaires. Dans le secteur public, il y en a trois. Deux sont à l’hôpital Dalal Jamm, un est à l’hôpital Le Dantec et un autre dans le secteur privé. Nous sommes aussi dans la perspective de construction du Centre national d’oncologie. C’est même déjà acquis, la pose de la première pierre se fera dans les jours à venir. Le directeur a été déjà nommé, les travaux vont démarrer incessamment pour que le Sénégal puisse disposer d’un grand centre national d’oncologie, où il y aura la prise en charge du cancer depuis la détection jusqu’aux soins palliatifs.
S’agissant des soins palliatifs, je voudrais rappeler qu’en plus de la gratuité de la chimio, la morphine qui est une molécule très utilisée dans le domaine de la prise en charge, est aussi gratuite au Sénégal. En plus de la radiothérapie, la chimio, il y a la chirurgie aussi par rapport à certains types de cancer. Sur tous les éléments de soins, il y a des efforts qui sont faits pour garantir la santé des populations.
Parlant de la radiothérapie, le scanner simulateur de l’hôpital Dalal Jamm est en panne depuis 2019. Il n’est pas réparé. Cela n’est-il pas un frein dans la lutte contre le cancer ?
Non, ce n’est pas un frein dans la lutte contre le cancer. C’est une question de maintenance qui, je pense, est en cours de résolution. Cela ne gêne en aucune façon la continuité des services par rapport à la radiothérapie.
Donc, avant de faire la radiothérapie, il faut faire un scanner pour bien identifier la lésion et venir faire de façon vraiment correcte la radiothérapie. Il y a des possibilités, au niveau des structures de santé, de venir faire le scanner et retourner à Dalal Jamm pour la radiothérapie. En relation avec la direction de l’hôpital, des dispositions sont en train d’être prises pour que les choses rentrent dans l’ordre. Mais cela n’a, en aucun moment, entrainé une discontinuité dans nos services. Autant à Dalal Jamm qu’à Aristide Le Dantec, les offres de services de radiothérapie sont continues.
Le centre d’oncologie est également annoncé depuis des années. Mais pourquoi ça traine ?
Depuis décembre 2019, le monde est au ralenti. Mais avant que le Sénégal ne déclare son premier cas confirmé de Covid-19, les équipes coréennes étaient déjà au Sénégal en train de travailler en relation avec la Direction des infrastructures, des équipements et de maintenance, pour pouvoir avancer sur ce dossier et démarrer les travaux. L’entreprise est choisie. Mais quand on a été dans l’épidémie, cette équipe coréenne a été obligée de retourner. C’est ce qui a un peu ralenti les démarches par rapport à ce projet. Mais là, les choses ont repris et vont certainement avancer. C’est le contexte de la pandémie qui, au-delà du secteur de la santé, a eu un impact dans d’autres secteurs. A partir du moment où la plus haute autorité a nommé le directeur du centre, cela veut dire que c’est un pas important pour accélérer les démarches et la construction de ce centre.
Est-ce qu’il est possible de rendre totalement gratuite la prise en charge au Sénégal ?
Il y a la subvention de la radiothérapie. Avant 2018, au Sénégal, il y avait une cobalt-thérapie. Avec l’acquisition de l’accélérateur linéaire, normalement, le coût de la radiothérapie devrait passer à 1 million de francs CFA. Les autorités ont décidé de subventionner ce coût à 150 mille. C’est un effort que l’Etat a fait pour rendre facile l’accès financier. C’est progressivement qu’on améliore l’accès financier par rapport aux soins pour le cancer. Maintenant, chemin faisant, il y aura d’autres services qui seront intégrés dans les politiques qui devraient rendre accessibles les soins pour les malades du cancer. Dans le cadre de l’élaboration de ces politiques, il y a un élément important à considérer : c’est la durabilité, la pérennité. Avant de décider que tout doit être gratuit, il faudra pouvoir, à long terme, veiller à la pérennité et à la durabilité des initiatives qui sont prises. On y va progressivement pour atteindre la phase optimale par rapport à l’offre de soins du cancer au Sénégal.
VIVIANE DIATTA