‘’On ne doit pas avoir peur d’ouvrir nos frontières’’
Les pays africains ne doivent pas avoir peur d’ouvrir leurs frontières aux autres Etats du continent, notamment dans le cadre de l’opérationnalisation de la Zone de libre-échange continental africain (Zlecaf), selon le président de la République du Kenya. Uhuru Kenyatta qui présidait, hier, l’édition 2021 du forum africain sur l’entreprenariat, qui s’est tenu en ligne, a soutenu qu’en ouvrant leur économie, les Etats créent des potentialités, surtout pour leurs jeunesses, les femmes et les Petites et moyennes entreprises (PME).
La Zone de libre-échange continental africain (Zlecaf) est, certes, opérationnelle depuis le 1er janvier dernier mais, certains pays du continent restent encore sceptiques par rapport à la libéralisation totale de leurs produits pour l’intégration commerciale intra-africaine. D’ailleurs, sur les 54 Etats qui ont signé l’accord, seuls 34 l’ont ratifié jusque-là. Présidant hier, la cérémonie d’ouverture de l’édition 2021, du Forum africain sur l’entreprenariat, qui s’est tenu en ligne, le président de la République du Kenya a appelé ses homologues à ‘’ne pas avoir peur’’ d’ouvrir leurs frontières.
‘’Plus il y a une ouverture, plus on crée des opportunités pour toutes les parties. Il faut tourner le dos à la peur, de dire que mon économie va s’effondrer, il y a l’Afrique du Sud qui va prendre la main, l’Egypte, etc. Non, je crois qu’en ouvrant nos économies, on crée des potentiels, surtout pour notre jeunesse, nos PME. Nous, les dirigeants, nous ne pouvons pas être un obstacle à cela. On va créer plus d’opportunités pour nos jeunes, nos femmes. Mais également, nous allons renforcer nos capacités financières pour les gouvernements nationaux. Une augmentation des échanges entre populations sera au cœur de tout cela’’, soutient Uhuru Kenyatta.
Même s’il reconnaît que la volonté politique ‘’n’est plus à démontrer’’ au niveau continental, le Président kenyan souligne qu’ils ont ‘’encore du pain sur la planche’’. Ainsi, Uhuru Kenyatta estime qu’il faudrait qu’ils garantissent les échanges ou la collaboration entre les entreprises, à travers le continent. ‘’Pour le Kenya, nous allons commencer par nous défaire des nombreux obstacles qui entravent le commerce intra-africain. Les produits fabriqués au Kenya doivent, très facilement, être commercialisés au Sénégal et vice-versa. On devra beaucoup travailler sur les normes, comment garantir les coûts de communication entre les différents pays. Il faudra qu’on puisse se défaire de ces coûts exorbitants qui rendent très compliquée la communication nécessaire entre les commerçants. Ceci en établissant des lignes directs et très accessibles’’, propose-t-il.
Au-delà des transactions commerciales, le Président Kenyatta trouve primordial que les Etats africains travaillent à la mise en place d’un passeport africain pour permettre à leurs citoyens de se déplacer facilement entre les différents pays du continent. ‘’Nous avons commencé ce cheminement. Nous comptons sur les populations pour mettre la pression sur les gouvernements qu’ils accélèrent le processus et faire en sorte que les dirigeants du continent comprennent que nous avons beaucoup à y gagner, en rapprochant les jeunes de leurs rêves et de leurs ambitions’’, plaide-t-il.
Utiliser les droits de tirage spéciaux, avoir accès au financement
Pour sa part, la Secrétaire exécutive de la Commission économique pour l’Afrique a affirmé que lorsqu’on parle du continent, il y a ‘’vraiment de l’espoir’’. ‘’Ce dont nous avons besoin, c’est que vous les dirigeants, créiez un espace politique pour que nous puissions nous lancer dans cette aventure. Il y a le savoir-faire. Il y a des applications qui sont conçues à travers le continent. Les droits de tirage spéciaux nous permettraient d’avoir accès au financement et le mettre aux services des femmes. Avec la Covid, tout le monde pense que l’avenir est sombre et maintenant, nous avons ce que nous pouvons faire’’, rassure Véra Songwé.
D’ailleurs, elle ajoute qu’avec la Zlecaf, l’Afrique a le potentiel de mettre à profit les Tic et exploiter ses ressources à ces fins. ‘’La RDC a le cobalt, le Kenya a le nickel, le Burundi aussi, l’Afrique du Sud a également d’importantes ressources minières. Si on prend tous nos avoirs sur le continent, et qu’on tire parti de la Zlecaf, au sein du continent, nous pourrons transformer ces matières premières en produits finis. Aujourd’hui, nous ne retenons seulement que 15% du marché mondial du cobalt’’, signale-t-elle.
Aujourd’hui, un des challenges qui existe sur le continent c’est, d’après Mme Songwé, celui des droits de propriété intellectuelle. A savoir comment protéger ces innovations puisqu’elle pense que l’une de ces innovations incarnera le Google, Twitter de demain. ‘’Il faut essayer de voir comment le protéger et créer de l’emploi sur le continent et créer une valeur ajoutée afin que les avantages restent sur le continent. On ne pourra pas y arriver si on ne protège pas notre propriété intellectuelle. Un chantier sur lequel nous travaillons, c’est de voir comment réunir, l’Afrique de l’est, de l’ouest, etc., à l’instar de l’Union européenne qui a centralisé ses actions pour mieux protéger leurs innovations avec une réduction des coûts. On peut faire cela sur le continent’’, préconise la Secrétaire exécutive de la CEA.
A ce propos, le chef de l’Etat kenyan a relevé que les technologies numériques peuvent avoir un impact positif sur les économies de leurs pays. Elles peuvent accroître, selon lui, les opportunités et occasions que peuvent saisir les jeunes, les femmes et aussi pour améliorer la prestation de services et cela permettra également de transformer leurs sociétés. De surcroît, Uhuru Kenyatta pense que les technologies numériques peuvent leur permettre de brûler les étapes en contournant l’étape de construction d’infrastructures physiques, les obstacles institutionnels.
‘’Ce qui nous permettra d’apporter un nouvel élan dans la croissance économique de nos pays. En définitive, les technologies numériques font partie de notre stratégie de riposte face à beaucoup de choses y compris la Covid-19 et avec toutes les mesures qui ont été imposées par la pandémie, la technologie a permis aux gouvernements, aux entreprises et particuliers de coopérer, au plan international, de nouer des dialogues. Nous avons tous pu le faire de manière pérenne. Cela a également permis à nos enfants, de continuer leur scolarisation, à l’école, à la maison. On doit faire davantage dans ce domaine afin de combler la fracture numérique qui existe à travers le continent’’, souligne le Président kenyan.
Créer un environnement réglementaire favorable
Cependant, pour que les écosystèmes numériques réussissent, Uhuru Kenyatta recommande à ses homologues d’encourager, de façon continue, un système dynamique, solide, en matière d’économie numérique. ‘’D’où, l’impératif de créer un environnement réglementaire favorable, avec des structures de soutien durables en matière d’économie et de finance et aussi de pouvoir inviter un grand nombre d’acteurs technologiques. Il nous reste encore du chemin à faire pour atteindre cette ambition notamment pour l’expansion des opportunités d’emplois pour les Petites et moyennes entreprises (PME) et les Très petites entreprises (TPE). Dans le cadre de la stratégie de réinsertion économique et de gestion de la pandémie, et en se basant sur les règles issues de l’accord de la Zlecaf, nous cherchons à accélérer cette intégration. Ceci, en vue d’un marché numérique dynamique. Il faudrait aussi qu’on puisse renforcer nos normes standards en faveur de ces plateformes numériques’’, préconise-t-il.
Toutefois, signale Véra Songwé, s’il n’y a pas d’énergie, il n’y a pas de Tic et s’il n’y a pas de Tic, il n’y aura pas de prospérité. ‘’Nous pouvons avoir une production énergétique renouvelable. Pour 7 millions de dollars investis dans l’énergie, seulement 2% est consacré à l’énergie renouvelable. Il y a encore beaucoup à faire. Tant qu’on attend de l’aide externe, on ne s’en sortira pas. On va créer un consortium de producteurs africains d’énergie pour travailler ensemble et toutes les institutions financières africaines devraient travailler pour la mise en place d’un financement durable qui soit abordable’’, défend la Secrétaire exécutive de la CEA.
Certes, il y a beaucoup d’innovations numériques, d’avancées sur le continent mais, Mme Songwé note qu’il y a un énorme fossé entre les genres. Or, une grande partie de ces innovations dans les Tic sont le fait des femmes. ‘’Elles ont besoin de financement. La CEA a lancé le fonds d’investissement des femmes entrepreneures et on espère que cela attira beaucoup plus d’investissements dans le secteur des Tic. A la fin de l’année dernière, nous avions 2000 femmes issues de 54 pays avec les autres agences des Nations unies, l’Onudi, qui travaillaient à distance en utilisant différents appareils et c’était vraiment formidable. Si les femmes ont accès au financement, à la technologie, elles pourront avoir les meilleures performances’’, notifie-t-elle.
Kenyatta, un Président féministe
Même s’il se veut un peu nuancé sur le fait d’être féministe et bien qu’ayant nommé une femme à la tête du ministère de la Défense de son pays, le Président Uhuru Kenyatta a relevé que les femmes représentent plus de 50% de la population africaine. Ce qui veut dire qu’elles sont la moitié de la main-d’œuvre du continent. ‘’D’où, l’impératif de reconnaître l’importance de mettre les femmes au cœur de nos programmes de développement et ceci notamment dans le secteur des Tic. Et cela commence par l’accès à l’enseignement, qui est le point de départ. Et nous sommes contents de constater que la parité est une réalité au Kenya en matière d’enseignement. Je ne sais pas si je peux dire que je suis féministe, mais, je suis convaincu que la femme a la même capacité sinon plus que l’homme. Je crois sincèrement que ce l’on a refusé aux femmes c’est les opportunités pour qu’elles puissent démontrer leurs capacités et leurs compétences’’, fait-il savoir.
Ainsi, personnellement, le chef d’Etat kenyan a pris l’engagement en tant qu’homme politique de s’assurer que les femmes de son pays soient capables de profiter des opportunités comme les hommes sinon plus. ‘’On dit en Afrique que si on appuie une femme, on appuie toute une famille. Alors que si on appuie un homme, on n’appuie qu’un individu. On a grandi en entendant cela. C’est quelque chose qu’on a compris. Et le courage et le pouvoir de la femme peuvent être le moteur du développement pour faire avancer la société et personnellement, je suis prêt à jouer mon rôle, pour créer cet espace pour les femmes. Nous allons continuer à jouer notre rôle d’encourager tous les gouvernements à faire appel à des solutions innovantes. Il faut se débarrasser des obstacles qui empêchent à la femme de trouver sa place sur le marché’’, informe-t-il.
A côté des femmes, M. Kenyatta admet également qu’aujourd’hui il est quasiment impossible, pour la plupart des jeunes d’Afrique, d’obtenir un emploi avec l’expérience professionnelle qu’exigent les employeurs. ‘’L’expérience viendra d’où, si on n’a pas travaillé ? Donc, on doit revoir ce type d’aptitude. Il faut créer des produits financiers, des incitations financières qui permettraient aux institutions financières de prêter de l’argent aux jeunes, aux femmes, sur la base de leurs programmes d’activités.
Et les pouvoirs publics pourront jouer leur rôle pour réduire le risque lié à ce type d’investissement. Par exemple, ne pas appliquer des taux d’intérêts exorbitants. Il faut créer des opportunités et accorder 30% de nos marchés aux jeunes et aux femmes et voir aussi, comment les gouvernements peuvent les aider avec leurs partenaires internationaux, avec des mesures financières particulières. C’est ainsi que les jeunes et les femmes pourront trouver leur place légitime, en tant que partenaires pour l’avenir, le développement de l’Afrique’’, conclut-il.
MARIAMA DIEME