Le Sénégal, particulièrement sa capitale, risque de renouer avec les manifestations de rue. Le passage, aujourd’hui, devant l’Hémicycle, du projet de loi modifiant le code pénal et le code procédure pénal, cristallise les tensions. L’opposition parlementaire décèle une tentative de musèlement de la démocratie.
24 heures après la célébration des 10 ans du M23, un autre projet de loi en gestation risque d’installer le pays dans l’instabilité. Il s’agit du projet de loi visant la modification, du code pénal et celui visant le code de procédure pénale sur lesquels se penchera l’Hémicycle aujourd’hui en procédure d’urgence.
Dans le lot des modifications, les sanctions qui entourent les manifestations et troubles à l’ordre du public interpellent le plus l’opposition parlementaire. En conférence de presse, hier, ses leaders ont dénoncé ‘’un projet de loi qui risque de mener le pays à la dérive’’. D’ailleurs, aux yeux du président du Pastef, le Président Macky Sall, dans sa logique d’obtenir un troisième mandat, veut museler les Sénégalais, en les privant de leur droit de manifester. Ousmane Sonko en veut pour preuve l’introduction dans la loi d’un article : ‘’dénommé titre 2 de la piraterie maritime des actes de terrorisme et des actes assimilés’’. Et le chapitre 1er, poursuit le parlementaire non-inscrit, évoque ‘’des actes de terrorismes, les attentats et complots visés par les articles 72 et 84 du droit pénal, c’est tous ce qui remet en cause l’intégrité territoriale ou attentat, complot et autre infraction contre l’autorité de l’Etat’’.
Des dispositions que, selon lui, le code pénal avait déjà définies et sanctionnées, avec des peines allant de 10 ans à 20 ans. ‘’Actuellement, ces délits sont assimilés au terrorisme et ce qui est qualifié de terrorisme vise la condamnation à perpétuité’’, souligne Ousmane Sonko.
A cela s’ajoute, d’après les parlementaires, les crimes commis par participation à un mouvement insurrectionnel visés par les articles 85 et 87. Des peines, qui ne dépassaient pas, jadis, 20 ans, sont désormais sanctionnées par une peine à perpétuité. Toujours dans les modifications figurent les violences ou voie de fait commises contre des personnes et les destructions, lors des rassemblements même autorisés. Ces cas, qui étaient réprimés de 1 à 5 ans, sont désormais assimilés à du terrorisme et condamnés à perpétuité.
‘’Les rassemblements, comme ceux organisés ce 23 juin, entrent dans ce cadre-là. Le pouvoir peut aller infiltrer les rassemblements, les perturber et faire porter le chapeau aux organisateurs qui seront poursuivis pour terrorisme et condamnés à perpétuité’’, avertit Ousmane Sonko. Des délits comme les enlèvements, séquestration, destruction, ou dégradation des biens appartenant à l’Etat ou intéressant la chose publique prévus par l’article 225, comme le saccage des bus ou édifices publics, notés durant les manifestations sont aussi passibles d’une peine à perpétuité.
Les projets de loi qui passeront, aujourd’hui, à l’Hémicycle n’épargneront pas, d’après les parlementaires de l’opposition, ‘’les associations de malfaiteurs, vagabondages et mendicités, les menaces, les blessures et coups volontaires ainsi que les vols et exécutions prévues par les articles 364 à 372, soustractions frauduleuses, ainsi que les infractions liées aux technologies de l’information’’, liste Sonko. Pour qui ces règles n’existent dans aucun pays normal au monde. Pis, soutient-il, le procureur jouit désormais des pouvoirs de confiscation et de contrainte par corps.
‘’Ce sont des méthodes que les Israéliens utilisent pour molester les Palestiniens accusés d’attentat terroriste. C’est de la pure méchanceté. Il a un pouvoir de contrainte par corps sur les délits politiques. Le juge d’instruction peut, à partir de soupçons, mettre un citoyen sur écoute et l’intercepter, en surveillant ses gestes et mouvements’’, renseigne le Parlementaire.
‘’La thèse du terrorisme pour neutraliser l’opposition’’
D’après Ousmane Sonko, tous les ‘’régimes dictatoriaux’’ évoquent la thèse du terrorisme pour neutraliser leur opposition. Aux yeux du leader du Pastef, le recrutement massif effectué récemment dans les rangs de l’armée n’est pas fortuit. Il s’agit, rappelle-t-il, de 3000 policiers et 3000 gendarmes. ‘’Il a renforcé sa sécurité et opérer des changements à la tête de ces corps. C’est le volet répressif de la police et de la gendarmerie. Il ne s’est pas limité là, mais souhaite à présent mettre sur pied un arsenal juridique, avec des lois qu’il a inclues dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, pour museler les Sénégalais et mettre en garde les potentiels manifestants’’.
Suffisant pour Ousmane Sonko d’indiquer que ce projet de loi est inacceptable. A l’en croire, le Président Macky Sall ne se cache plus. ‘’C’est un véritable dictateur’’. ‘’Si les Sénégalais acceptent que cette loi passe, tous nos acquis démocratiques seront nuls’’, avertit-il. Sonko estime d’ailleurs le régime en place manipule la communauté internationale.
Car, dit-il, Macky Sall profite de la sensibilité de la question du terrorisme aux yeux de cette communauté pour faire passer ce projet. ‘’Il nous fait aujourd’hui un projet de loi liberticide de confiscation de toutes les libertés, de tous les droits, qualifiant de terrorisme toutes les infractions y compris celle mineures qui étaient déjà cataloguées par le code pénal et le code de procédure pénal. Macky Sall, aujourd’hui, classe toutes ces infractions dans la rubrique terrorisme, y compris les infractions politiques, pour pouvoir se servir de cela avec son procureur, son juge, son ministre de la Justice, pour casser de l’opposant et perpétuer ou confirmer son projet de troisième mandat’’.
VOTE, CE MATIN, DU PROJET DE LOI PORTANT CODE PENAL
La coalition Le Peuple appelle à la résistance
Les membres de la coalition Le Peuple seront, ce matin, à l’Assemblée nationale, pour s’opposer au vote du Projet de loi n°10/2021 modifiant la loi n°65-60 du 21 juillet 1965 portant Code pénal. La bande à Aliou Sané la considère comme attentatoire aux libertés et jure qu’elle ne passera pas.
CHEIKH THIAM
‘’L’heure est grave. La dernière fois que j’ai participé à un point de presse à cette heure, c’était en 2011. C’était au plus fort du combat contre Abdoulaye Wade pour un 3e mandat. Nous ne sommes pas des terroristes, mais des Sénégalais qui appartiennent à ce vaillant peuple qui dit non, face à un pouvoir à qui on prêtait une dictature rampante. Maintenant, elle est debout et on la voit, tous. Cette loi qui doit passer, demain (aujourd’hui) à 10 h. Ce que je tiens à dire, au nom de toutes les forces vives de ce pays, est que cette loi ne devra pas passer. Elle ne passera pas. Nous nous opposerons à cette loi et nous résisterons’’.
Cette mise en garde est du porte-parole du jour du mouvement Le Peuple qui a organisé une conférence de presse, tard dans la soirée d’hier.
Selon Aliou Sané, ils vont user de leur droit constitutionnel pour résister face à une loi aussi ‘’pernicieuse’’ que ‘’dangereuse’’ pour la démocratie sénégalaise. C’est pourquoi il a lancé un appel au peuple sénégalais dans toute sa diversité à se rendre à l’Assemblée nationale. ‘’Nous leur demandons de dire non, de s’opposer et de résister à cette loi. Tout le monde sait ce qu’est cette loi, ce qui arrivera, si elle passe. Elle ne devra pas passer. Je le répète : elle ne passera pas, parce qu’on s’y opposera. On résistera. Ce projet de loi, qui devait passer en catimini, est dangereux pour nos vies, pour celle de tous les Sénégalais qui se battent, depuis, et qui pensent qu’il est important de faire face au régime, au pouvoir, pour émettre un autre son de cloche, qui participe à l’enrichissement du débat public’’.
Le coordonnateur de Y en a marre de rappeler que la gravité de cette loi a été déclinée par les députés de l’opposition, un peu plus tôt.
‘’Le souhait de Macky Sall, à travers cette loi, est de bâillonner tout le peuple’’
De l’avis de Guy Marius Sagna, le souhait de Macky Sall, à travers cette loi, est de bâillonner tout le peuple. Que personne ne parle plus de ses difficultés. Leur interdire leur droit de marche, de parler, de dire non, de se faire entendre. ‘’S’il y a un seul terroriste ici dans ce pays, c’est lui, car il impose la terreur. Il a utilisé des armes non-conventionnelles pour emprisonner Khalifa Sall et Karim Wade. Il voulait le faire pour Ousmane Sonko. Ce n’est pas une question pour une tierce personne, mais pour tous. Cette loi met tout le monde en danger. Il veut nous l’imposer pour une seule chose : avoir un 3e mandat. C’est la raison pour laquelle on doit se mobiliser, être comme une seule personne, résister et faire face à cela. II faut le faire’’, déclare l’activiste.
Guy Marius demande au peuple de répondre présent, pour montrer son désaccord pacifiquement, constitutionnellement, comme la loi le leur permet.
‘’Levez-vous et montrez votre résistance partout où vous vous trouverez dans le pays. Un troisième mandat ne vaut pas cela. Nous n’allons pas l’accepter et nous avertissons la communauté internationale. Que Macky Sall sache qu’un contrôle judiciaire, liberté conditionnelle, emprisonnement, rien ne peut nous empêcher de dire ce que nous devrons dire. Ce n’est pas cette loi qui va nous en dissuader. Le mandat qu’il aspire, le troisième mandat qu’il souhaite, il va l’amener loin comme un mandat, mais ce ne sera pas un troisième, mais un mandat de dépôt’’, raille-t-il.
Cheikh T. Dièye du Mouvement pour la défense de la démocratie (M2D) de son côté, a lancé un appel à l’endroit des familles religieuses et coutumières à se prononcer sur la question, avant qu’il ne soit trop tard. Mais aussi, au chef de l’État Macky Sall de retirer le projet de loi, avant que le pays sombre dans le chaos.
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