Amadou Hott préconise des réformes
Pour avoir un plus grand secteur pharmaceutique et moins de fragmentations en Afrique, il est nécessaire de réformer certains domaines tels que la fiscalité, les codes pharmaceutiques, etc. C’est ce qu’a soutenu le ministre sénégalais de l’Economie, du Plan et de la Coopération, Amadou Hott, qui s’exprimait hier, à la cérémonie de clôture des Assemblées annuelles de la Banque africaine de développement.
La pandémie de la Covid-19 a souligné la nécessité de développer l’industrie pharmaceutique africaine, selon les panélistes de la cérémonie de clôture de l’édition 2021 des Assemblées annuelles de la Banque africaine de développement (Bad) qui se sont déroulées du 23 au 25 juin.
Intervenant à ce propos, le ministre sénégalais de l’Economie, du Plan et de la Coopération a souligné que pour y arriver, il urge de mettre en œuvre certaines réformes. ‘’Au Sénégal, 90 % des produits pharmaceutiques sont toujours importés. Il faudrait changer cette situation, réformer les codes pharmaceutiques. Dans plusieurs pays comme le nôtre, les codes datent d’avant ou d’après les indépendances. Mais ils ne répondent plus à nos besoins. De même, le secteur privé n’est pas très bien impliqué. Au Sénégal, jusqu’à récemment, pour avoir une usine pharmaceutique, les actionnaires devaient être des pharmaciens. Or, cela ne devrait pas être le cas. N’importe qui devrait pouvoir investir dans une entreprise pharmaceutique, puis inviter les experts pour gérer l’entreprise en votre nom’’, préconise Amadou Hott.
De plus, il relève que les systèmes de fiscalité devraient également être modifiés, pour accorder des avantages comparatifs pour la production locale. ‘’Cela est fait en Afrique du Nord. En plus, les marchés restent fragmentés. Il est important que les pays africains puissent travailler ensemble pour avoir les mêmes systèmes réglementaires d’approbation de médicaments. Ceci, pour qu’un médicament produit au Sénégal puisse être vendu au Nigeria ou en Côte d’Ivoire, sans devoir passer par la validation. Toutes ces réformes sont nécessaires pour avoir un plus grand secteur pharmaceutique et moins de fragmentations. On peut aussi avoir un modèle de financement mixte’’, ajoute-t-il.
S’appuyer sur des partenariats public-privé
Pour faire face aux obstacles liés à la chaine de valeur pharmaceutique et trouver la résilience à travers des investissements dans les productions locales, la directrice du Bureau régional de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) pour l'Afrique a relevé que les chefs d’Etat du continent ont formulé une ambition d’aller vers plus d’industrialisation. Le Dr Matshidiso Moeti estime que la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf) aura un rôle à jouer. ‘’Ce qui nous permettra de traduire de manière concrète cette volonté politique de manière collective. Cette semaine, nous avons l’illustration avec le premier transfert technologique de vaccins ARN au niveau du continent africain. Cela doit s’appuyer sur des partenariats public-privé. Ce n’est qu’ainsi que nous pourrions mettre en place les infrastructures, disposer de ressources humaines pour combler le fossé de l’accès aux vaccins sur le continent. La Banque africaine de développement aura un rôle prépondérant à jouer pour accompagner le continent, ensemble aux côtés de la Commission de l’Union africaine et des Centres des maladies africaines’’, dit-elle.
D’après la patronne de l’OMS en Afrique, la question de la collaboration entre les Etats sera ‘’essentielle’’ dans ce processus et qu’ils ont appris, de leurs actions collectives, que cela est ‘’difficile’’. ‘’Alors, comment garantir des systèmes, utiliser les technologies afin de veiller à ce que l’ensemble des parties prenantes jouent leur partition ? Malheureusement, nous ne pouvons pas rattraper les opportunités qui sont perdues. Il existe de l’expertise sur le continent. Malheureusement, ces parties prenantes n’opèrent qu’à un faible niveau. Nous pourrions tirer de nombreux avantages sur le continent avec les économies d’échelle. Nous savons bien que les parts de marché sont dominées par des méga producteurs tels que l’Inde et la Chine’’, renchérit le Dr Moeti.
Ainsi, cette spécialiste en santé publique et administratrice médicale pense qu’il leur faut alors réfléchir à comment développer la production locale. ‘’La développer oui, mais de manière pérenne, afin de saisir les opportunités du marché et ainsi garantir que les pays africains aient accès à un approvisionnement de base, même en l’absence de pandémie. Il faut également réfléchir à la compétitivité. Il nous faut explorer tout ceci, parvenir à un consensus au-delà des frontières, poursuivre une approche pluri-pays et, surtout, ne pas retarder la prise de décision. Le rôle des réglementaires sera essentiel pour la création de marché, l’approvisionnement, le contrôle qualité, l’acquisition et la passation de marchés à l’appui d’une production locale pour obtenir des résultats le plus rapidement possible’’, poursuit le Dr Matshidiso Moeti.
La taxation liée parfois faible
La directrice régionale du Bureau Afrique de l’OMS trouve qu’il faut réfléchir à la manière mettre en place un partenariat inédit entre les pays africains. ‘’On dispose, malheureusement, de faibles ressources et au niveau de l’OMS, nous travaillons aux côtés des pays pour renforcer l’environnement réglementaire en vue d’une excellence pharmaceutique à travers le Forum réglementaire africaine et, par ce biais, nous pouvons partager des approches et des outils. Pour renforcer, accélérer le renforcement de cet environnement réglementaire à l’appui de la production, nous avons déployé de nouvelles initiatives. Malheureusement, elles se heurtent à la question de la fiscalité, de la qualité et de la pénurie sur les chaines d’approvisionnement’’, explique le Dr Matshidiso Moeti.
En dehors de ces challenges, celle-ci note que la taxation liée aux produits pharmaceutiques est parfois ‘’faible’’ dans les pays. D’où la nécessité, pour elle, de trouver un ‘’équilibre’’. ‘’En ce sens, nous avons, d’une part, une imposition faible. Et, d’autre part, il faut financer les populations. Il y a donc une opportunité pour des institutions telles que la Bad d’appuyer les pays pour trouver comment compenser les pertes à court terme et des investissements, risques associés. Les investisseurs trouvent des investissements à faible risque, ailleurs, hors du continent et comment les attirer, interagir avec le secteur privé’’, préconise-t-elle.
Le Dr Matshidiso Moeti a aussi rappelé que les entreprises et les particuliers ont mis en place des mesures pour lutter contre la Covid. Pour saisir cette dynamique à l’appui du renforcement de l’industrie pharmaceutique sur le continent africain, selon elle, il y a la question des transferts de technologies et des brevets qui est la clé pour le continent, de même que les échanges entre les gouvernements et le secteur privé. ‘’Il urge de voir comment faciliter l’émergence d’une industrie pharmaceutique locale. Le secteur des vaccins sur le continent est en croissance et allant de pair avec le développement humain. Il faut donc plus d’expertise, plus de partenariats à travers les secteurs et les filières. Mais aussi créer des opportunités pour mobiliser la diaspora africaine, avec des mesures incitatives’’, fait-elle savoir.
Pour le directeur des Centres africains de contrôle et de prévention des maladies (CDC) de l’Union africaine, il faut renforcer la main-d’œuvre, sinon, à la prochaine pandémie, les pays africains seront dépassés. ‘’Je crois que nous étions en train de nous préparer. Malheureusement, la pandémie a été très précoce. Pour l’industrie pharmaceutique, les outils de diagnostic ne sont pas disponibles sur le continent. Il y a beaucoup de discussions sur la production de vaccins, mais pas suffisamment sur le diagnostic. Si on veut combattre un virus, on doit faire un diagnostic des vaccins et des traitements. Ces trois éléments sont interdépendants et il faut trouver une solution et une approche africaine. Au niveau institutionnel, la faiblesse des investissements en Afrique est problématique. Et le quatrième point, c’est le partenariat avec le secteur privé. Il faut une approche proactive dans chaque dimension et travailler avant que la pandémie ne survienne, renforcer les systèmes de santé’’, souligne le Dr John Nkengason.
MARIAMA DIEME