Le leader du Pastef/Les patriotes multiplie, depuis le mois de juin, les rencontres avec la presse nationale et internationale, dans le but de rebondir sur les sujets brûlants de l’actualité : tournées politico-économiques de Macky Sall, loi sur le terrorisme, troisième vague de Covid-19. Ces déclarations à la presse, qui ont pour objet de segmenter l’information et d’imposer son propre agenda. Il urge, pour lui, de proposer une autre source d’information par rapport à l’actualité du moment et à installer un peu plus l’ancien candidat au scrutin présidentiel de 2019 comme le principal opposant au régime de Macky Sall.
Le rendez-vous se veut immuable et l’exercice réglé comme du papier à musique. Pour rien au monde, le leader des jeunes patriotes, Ousmane Sonko, n’entend rater sa rencontre avec le groupe de journalistes qui ont fait le déplacement jusqu’à son siège sis sur la VDN, afin d’assister à son point de presse du vendredi 31 juillet 2021. Le leader du Pastef compte rebondir sur l’actualité du moment, avec la flambée de l’épidémie de la Covid-19.
Très en verve derrière son pupitre, le député émet une kyrielle de griefs à l’encontre du régime de Macky Sall coupable, à ses yeux, de la dégradation de la situation sanitaire, avec la troisième vague de la Covid-19.
Le monologue de plus d’une heure de temps dans la langue de Kocc Barma (NDLR : wolof) s’achève sur une série de propositions pour redresser la barre. L’ancien candidat à la Présidentielle de 2019 semble être rompu à la tâche. Depuis la mi-juin, il multiplie les points de presse et autres déclarations (18 juin, 2 juillet, 31 juillet et 6 août). Il entend ainsi figer dans le marbre son adresse aux Sénégalais, à travers des échanges réguliers avec la presse nationale et internationale.
A travers cette tribune, l’ex-inspecteur des impôts veut aussi offrir un autre discours alternatif à la communication gouvernementale. Tout y passe : la loi sur le terrorisme (modification du Code pénal), tournées politico- économiques, le recours aux nervis, l’ingérence française au Sénégal, l’influence des conseillers occultes (Nicolas Sarkozy et Tony Blair) du chef de l’Etat, entre autres.
Ousmane Sonko entend, par ailleurs, occuper le champ médiatique, afin de se présenter comme la principale force d’opposition et de proposition contre Macky Sall.
Pour El Malick Ndiaye, Secrétaire national à la communication et l’image du Pastef, cette initiative en matière de communication entre en droite ligne des missions que s’est fixées Pastef/Les patriotes, dans sa volonté d’éveiller le peuple sur un certain nombre de sujets ayant trait à la gestion du pays.
‘’Ousmane Sonko a toujours été proche du peuple sénégalais. A chaque fois qu’il y a des sujets brûlants, il a toujours pris la parole pour dire aux Sénégalais la vérité. A mon avis, quand on aspire à diriger ce pays, il est tout à fait normal de faire entendre sa voix sur ces questions. C’est la situation du pays qui le demande. Il (Ousmane Sonko) peut rester deux à trois mois sans faire de déclaration. Cependant, si la situation du pays l’exige et qu’il y ait nécessité de faire une sortie médiatique, soyez sûr qu’on le fera’’, renseigne le cadre des patriotes.
‘’Il s’est imposé comme le principal opposant dans le pays’’
D’après lui, cette sortie veut aussi tordre le cou à certaines critiques qui accusent le leader du Pastef d’être le plus illustre pensionnaire du ‘’ministère de la Parole’’. Cette posture contribue à faire du Pastef un instrument de propositions pour tenter d’améliorer la vie des Sénégalais.
‘’Sur la Covid-19, ce sont les populations qui lui ont demandé de parler. Je pense que ça a porté ses fruits. Parmi les 14 propositions formulées par Sonko, lors de son dernier point de presse, le 31 juillet 2021, certaines ont été reprises par le ministère de la Santé (NDLR : redéploiement de certains secteurs de la santé pour assister tous les covidés). Par ailleurs, il y a aussi la suppression du HCCT et Cese pour libérer des fonds dans la lutte anti-Covid, soutient-il.
Cette volonté d’échanger régulièrement avec le peuple répond-elle à un besoin de cultiver une certaine rivalité avec Macky Sall et s’imposer, de facto, chef de l’opposition ? Le chargé de communication du parti botte en touche. ‘’Macky Sall est un homme du passé. On ne cherche plus d'antagonisme avec lui. Nous voulons qu’il termine son mandat pacifiquement. Il doit le faire. Macky Sall n’est pas un adversaire du Pastef. Notre logique, c’est nous et le peuple’’, déclare le responsable national des patriotes.
En outre, cette communication vise-t-elle à ‘’présidentialiser’’ un peu plus la figure d’Ousmane Sonko ? Oui, rétorque Moussa Diaw, enseignant en sciences politiques à l’UGB, qui estime que ce duel au sommet que recherche Sonko passe par une présence quasi permanente sur le terrain politico-médiatique.
‘’La volonté de Sonko et de ses camarades est de ne pas céder le terrain face à Macky Sall. Il fait en sorte que les citoyens se rappellent de lui, en développant sa stratégie communicationnelle très agressive envers le pouvoir. Et comme la nature a horreur du vide, il s’est imposé comme le principal opposant dans le pays. Donc, il se doit d’être à l’écoute des Sénégalais pour renforcer sa crédibilité. Il veut s’inscrire dans une perspective d’avenir et se proposer comme une alternative crédible aux yeux du peuple’’, analyse-t-il.
‘’Il est dans une logique de gouvernance et d’assurance, et de perspective pour le peuple’’
Selon plusieurs observateurs, ce désir de communication entend renforcer ce positionnement plus ‘’présidentialiste’’, en gommant progressivement cette figure de ‘’trouble-fête’’ et d’’’antisystème’’ au sein de la classe politique sénégalaise.
Dans ses points de presse, Ousmane Sonko s’emploie, désormais, à s’établir comme une force de proposition plus que de critique de l’action gouvernementale. Sur ce, son déplacement à Ngaye (12 juillet), après son point de presse du 2 juillet, pour faire la promotion du patriotisme économique, vient consolider ce nouvel ajustement de l’image de Sonko.
‘’Ousmane Sonko profite du déficit communicationnel dans la majorité pour établir un dialogue avec les Sénégalais et les rassurer, et de se projeter dans l’avenir. Il veut aussi montrer qu’il est prêt, si jamais les Sénégalais lui font confiance pour relever les défis auxquels le pays est confronté. Il est dans une logique de gouvernance et d’assurance et de perspective pour le peuple’’, argue l’universitaire.
Le flou sur le statut du chef de l’opposition profite à Ousmane Sonko
Pour Ibrahima Bakhoum, journaliste et analyste politique, le flou entourant le statut du chef de l’opposition prévu dans la loi, laisse le champ libre à Ousmane Sonko qui, de facto, s’est imposé comme le chef de cette même opposition à Macky Sall.
Par ailleurs, la mise en place de cette stratégie de rendez-vous régulier avec le peuple sénégalais peut être considérée comme un moyen de séquencer ses messages et d’offrir aux Sénégalais une lecture alternative par rapport à l’actualité présente.
‘’L’opposition au Sénégal existe à travers les visages et des voix. Si l’opposition reste muette, les premiers commentaires des journalistes seraient de dire qu’elle est inexistante ou invisible. Dans le cas d’Ousmane Sonko, le fait de donner rendez-vous aux Sénégalais dans des rencontres régulières, on peut en déduire qu’il a un programme et qu’il veut le délivrer de manière séquentielle. Il peut ainsi, sur la base de son programme, interpeller régulièrement les Sénégalais et leur proposer un certain nombre de solutions pour résoudre leurs difficultés’’, argue-t-il, avant de préciser que ce format peut entraîner des remous au sein de la mouvance présidentielle, dans la mesure où il dispose de sources d’informations venant des gens du pouvoir.
‘’Il peut semer la zizanie au sein du pouvoir, dans la mesure où personne ne sait qui informe Ousmane Sonko. Car les responsables au pouvoir peuvent être soupçonneux, car ils ne savent que ce qu’ils diront pourra être rapporté à Sonko. En outre, quand Sonko dit que le président a reçu des infos par rapport au virus Delta, dès le mois d’avril et qu’il n’a pas donné suite à cette alerte ; ce genre d’information peut mettre en mal tout le pouvoir’’, déclare Ibrahima Bakhoum.
Risque de banalisation de sa parole
Toutefois, cette volonté d'apparaître comme une source de proposition alternative et de critique permanente peut entraîner le risque d’une banalisation de la parole d’Ousmane Sonko et une perte d’intérêt pour son discours. ‘’Cet exercice est risqué, car ce n’est pas toutes les semaines qu’on aura des choses intéressantes à dire. Si Ousmane Sonko délivre le même message aux Sénégalais, il risque alors d’entre inaudible pour l’opinion publique et de voir son discours banalisé’’, poursuit-il.
Ainsi, l’ancien directeur de publication de ‘’Sud Quotidien’’ invite les journalistes à la prudence, dans la mesure où, le format adopté, la déclaration de presse, peut entraîner un changement de paradigme avec des politiques qui informent et des journalistes qui communiquent.
Selon lui, la seule manière de ne pas tomber dans ce piège, c’est de pousser les journalistes à renforcer leurs capacités à mener à bien le travail de vérification et d’investigation concernant les thèmes que développe Ousmane Sonko. ‘’Il y va de la responsabilité des journalistes de s’appuyer sur les déclarations d’Ousmane Sonko comme plan de base pour mener à bien leurs investigations. En cas de manquements et de contrevérités, ils doivent venir apporter la contradiction à M. Sonko et mettre côte-à-côte ses allégations par rapport à la réalité des faits ; montrer les vrais faits. Cette déclaration peut être une source d’investigation pour les journalistes. A eux d’aller faire le travail de vérification qui est à la base de leur métier’’, clame-t-il avec force.
En ce qui concerne la digitalisation des moyens de communication d’Ousmane Sonko, à travers l’importance particulière accordée aux plateformes numériques (Youtube, Tik Tok) et les réseaux sociaux (Twitter, WhatsApp, Facebook), le journaliste Ibrahima Bakhoum y voit l’avenir de toute forme de communication politique. ‘’Il est impensable, pour un parti politique, de faire sans la digitalisation, car les anciens meetings, on peut dire que c’est révolu. Chacun peut maintenant se faire son propre meeting, depuis la maison, tout en restant lié à des milliers de personnes via les réseaux sociaux. Ousmane Sonko et ses conseillers ont bien compris cela, car ils peuvent mobiliser des milliers de personnes, rien qu’en restant dans leurs locaux, car un meeting coûte cher’’, ajoute le formateur.