Publié le 22 Sep 2021 - 04:55
BIRAM NDECK NDIAYE, PAROLIER 

‘’Une œuvre de qualité résiste au temps et s’adapte à toute génération’’   

 

Auteur de plusieurs œuvres musicales sénégalaises, en l’occurrence le célèbre hymne ‘’Ça Kanam’’, interprété par les plus grands chanteurs, à l’occasion de la Coupe du monde 2002, Biram Ndeck Ndiaye figure aujourd’hui dans le cercle des meilleurs paroliers du Sénégal. Conscient de l’importance de cette partie de la production musicale, l’écrivain milite pour une révision profonde des textes dans la chanson sénégalaise. Dans cet entretien réalisé dans le cadre du salon journalistique Ndadjé, initiative du Goethe Institut, il donne quelques leçons essentielles à l’élaboration d’un texte musical réussi.  

 

Quelle est l’importance d’un texte dans une œuvre musicale ?

Le texte est le langage, le message à faire passer. C’est ce que l’interprète transmet à son auditoire. C’est la parole qu’on juge apte à être délivrée. Parler, c’est procéder à une élection de mots. Il faut bien voir les mots que l’on choisit et ce que l’on élimine. Qui choisit élimine, qui dit élection dit sélection. Les paroles de musique sont un genre spécial, c’est dans la musique qu’on trouve un refrain ou un chœur, des choses qui reviennent régulièrement comme pour dire ‘’est-ce que vous me suivez ?’’. Une chanson peut galvaniser un peuple, servir de cri de ralliement, un sit-in de patriotisme pour défendre une cause.

Quelle lecture faites-vous de la musique sénégalaise actuelle ?

Actuellement, on constate une course au succès ici au Sénégal sans grande considération pour la qualité. Mais il y a des exceptions, fort heureusement. Et je pense que dans tout ce que l’on fait, il faut y aller avec beaucoup d’attention, beaucoup d’égard pour ceux qui vous écoute et pour le grand public. Le fond et la forme doivent être réunis en parfaite harmonie. Une bonne musique, une œuvre de qualité résiste au temps, reste intemporelle et s’adapte à toute génération. Les exemples classiques sont encore là : Oum Kalthoum chez les Arabes. Combien d’autres exemples aux États-Unis et dans tous les genres jazz, soul, pop ainsi de suite, jusqu’au rap. Aujourd’hui, on a des exemples à Cuba, Porto-Rico, en Afrique, en Europe et chez nous au Sénégal.

La musique comme les autres domaines peut être un métier, c’est aussi du professionnalisme et il faut comprendre cela. Dans tous les métiers, le sérieux, la détermination, la bonne volonté, la bonne organisation, les recherches peuvent aider. Je pense qu’il faut sans cesse s’améliorer, ne pas chercher coûte que coûte le succès, parce que quand on cherche à faire une bonne œuvre, le succès peut venir. Sinon, s’il est là au rendez-vous sans grandes recherches, sans grandes concentrations, ça risque de ne pas trop durer.

Comment appréciez-vous le contenu des œuvres musicales du rap sénégalais et du mbalax ?

Le rap, par rapport au mbalax, me semble plus fouillé en textes. Le débit est plus rapide. Il y a plus de longueur dans le texte. Mais est-ce que le son, la majorité des Sénégalais s’y adapte ? Le mbalax est peut-être beaucoup plus populaire.  C’est indéniable, mais de plus en plus de jeunes, aujourd’hui, s’initient au rap et il y a un changement de mentalité dans ce sens et la mode vient de façon très cyclique.

Pour ce qui est du thème, des textes, il faut dire que les rappeurs, pour la plupart, ont fait le lycée, certains ont été jusqu’à l’université, ils ont appris à écrire des textes, comprennent les genres, comment aborder un thème. Cela aide dans la technique.

Comment améliorer les textes dans la chanson sénégalaise ?

Dans toute œuvre artistique ou littéraire, il faut se mettre au travail sérieusement. Le choix des thèmes, l’originalité demandent un investissement en temps et en recherche. Mais le talent est un élément fondamental qu’il faut acquérir, mais qui peut être aussi presque inné, mais que l’on perfectionne sans cesse. Chacun doit faire des investigations, des études dans son corps de métier.

Il faut également apprendre des meilleurs, des devanciers. Il faut lire, connaître le secret de leur réussite, de leur durée au niveau le plus élevé, essayer de boxer dans les grandes catégories. Il y a certes des techniques d’écriture qui peuvent aider à améliorer le contenu des chansons. Il faut également lire et écouter les grands auteurs. C’est vraiment très important. Je le crois sincèrement.

Peut-on cumuler le fait d’être compositeur, auteur et interprète à la fois ?

Il ne suffit pas de cumuler, mais de bien cumuler, d’être à la hauteur avec ces deux fonctions dont chacune a des exigences de compétences différentes. Cela exige donc beaucoup de talent. Que je sache, il est difficile d’être excellent partout, même si quelques artistes interprètes sont également de bons auteurs. Cependant, l’exception tend à devenir la règle, malheureusement. Il faut retenir que ce sont deux fonctions différentes : la voix et la plume. L’écriture et la voix (chanson) ne forment pas toujours un couple inséparable. Il faut dire au départ que dans beaucoup de pays, ils sont dissociés. L’auteur ne chante pas forcément et le chanteur n’écrit pas obligatoirement. Toutefois, il y a des génies presque partout, mais cela demande un sacré apprentissage et très tôt, beaucoup de volonté, de soif de maîtrise de son sujet. Il faut en tenir compte.

A qui appartiennent les paroles d’une chanson ?

Les paroles d’une chanson, au plan juridique, sont considérées comme des écrits littéraires et celui qui les a créées est un auteur. On peut traiter tous du même thème, mais on ne peut reprendre des paroles mot à mot pour leur mise en forme. On risque d’être condamné pour contrefaçon. L’idée peut être reprise, mais non pas le squelette, la trame, comme le dit si bien Guy Homo. La traduction aussi de paroles exige l’autorisation de l’auteur, mais aussi le respect de l’œuvre qu’il ne faut ni dénaturer ni lui faire subir une modification substantielle.

Vous arrive-t-il d’écrire un texte et d’aller à la rencontre d’un interprète pour le lui proposer ?

A cette question, je répondrai que d’habitude, c’est l’interprète qui cherche les textes qui conviennent à l’œuvre musicale. Cependant, un texte peut convenir plus à un chanteur déterminé qu’à un autre. A une femme plutôt qu’à un homme, à un interprète plus mûre, plus âgé qu’à un autre comme un rôle au théâtre. L’auteur peut également écrire un texte qui répond à la personnalité d’un artiste déterminé comme au cinéma.

Pour ma part, je ne cours pas les rues à la recherche d’un chanteur pour interpréter un texte. Des rencontres sont faites et je voudrais vraiment remercier monsieur Youssou Ndour qui est le premier artiste interprète à avoir interprété mes textes et à leur avoir donné une dimension que moi je n’imaginais pas. Merci pour ça avec son sacré talent. Je remercie également tous les autres avec qui j’ai eu une collaboration jusqu’à la Coupe du monde où plusieurs artistes étaient réunis en 2002, quand j’écrivais ‘’Ça Kanam’’.

Quel message lancez-vous à la nouvelle génération ?

Un message me semble plus adapté à toutes les générations. C’est de prendre son travail au sérieux, étudier, réfléchir, faire des recherches et toujours se remettre en cause, s’améliorer, aller le plus loin possible dans son domaine d’activité. Il faut refuser la facilité, ‘’l’art kleenex’’ (à jeter aussitôt après consommation). Les bonnes œuvres sont éternelles. Il faut que les plus jeunes retiennent des anciens l’art de se maintenir au sommet par le travail. Le progrès, c’est quand l’élève dépasse le maître. Il faut tenir compte de l’environnement, de la société dans laquelle on évolue avec ses valeurs qu’il faut respecter.

L’aspect physique compte aussi, c’est ce qu’on a à l’intérieur de soi, une bonne moralité, le respect du public. Il faut, avec responsabilité, être conscient de l’influence que l’on exerce sur la société, sur les jeunes en particulier qui sont l’avenir d’une société. Il faut que les jeunes artistes chanteurs prennent conscience du vaste public hétérogène qui peut les écouter. Toutes les tranches d’âge, toutes les catégories socioprofessionnelles sont à inclure dans la cible jusqu’aux religieux qui sont attentifs à ce qui se fait. Si l’on tient compte de nouveaux outils de diffusion de leurs œuvres, ils doivent vraiment faire très attention. 

 ARAME FALL (STAGIAIRE)

Section: 
PREMIÈRE ÉDITION SOTILAC : Le Sénégal hisse les voiles du tourisme de croisière
ATELIER ‘’DAKAR AU FIL DES ARTS’’ À L’IFD : Une ville contée en sonorités
EXPO "TRAITS ET LETTRES" AU CARRÉ CULTUREL : Le pouvoir de l'art dans l'éducation et la transformation sociale
AVANT-PREMIÈRE « AMOONAFI » DE BARA DIOKHANE : L'art, l'histoire et le droit au service de la mémoire
EXPOSITION "SYMBOLES DE LA VIE : AU-DELÀ DU REGARD" : Réflexions sur la condition humaine
LE SYNPICS ET CONI IA LANCENT UNE FORMATION : Vers une révolution technologique du secteur médiatique
LIBERTÉ DE PRESSE ET DROIT À L’INFORMATION : RSF appelle les députés à instaurer quatre réformes
BIENNALE OFF : L'Orchestre national raconté à Douta Seck
EXPOSITION FALIA La Femme dans toutes ses facettes
MUSIQUE À L’IMAGE : Plusieurs jeunes formés au Sénégal
CÉLÉBRATION 50 ANS DE CARRIÈRE : L’Orchestra Baobab enflamme l’Institut français de Dakar
15e ÉDITION DE LA BIENNALE DE DAKAR : Seulement deux prix remportés par le Sénégal
BIENNALE DE DAKAR : Un éveil artistique, selon Bassirou Diomaye Faye
CÉRÉMONIE D'OUVERTURE DE LA 15e ÉDITION DE LA BIENNALE DE DAKAR : Dak’Art pour un voyage culturel
EXPOSITION ‘’FAIRE LIEU’’ À DAKAR : Cinq lieux africains comme espaces de transformation
BIENNALE DE DAKAR   - EXPO ‘’DEVOIR DE MÉMOIRE’’ : Un modèle d’engagement culturel
Goncourt 2024
PRÉSENTATION TAARU SÉNÉGAL : La première Symphonie d'Amadeus
PARTICIPATION DES USA À LA BIENNALE DE DAKAR : Mettre en lumière l’influence de la culture africaine sur l'art américain
MARIAM SELLY KANE - JOURNALISTE : Une voix pour les femmes et les enfants