Publié le 20 Dec 2021 - 20:35
CHRONIQUE PAR PHILIPPE D’ALME

L'homosexualité en question

 

La proposition de loi, issue de la branche la plus conservatrice de la société civile et visant à criminaliser, plus qu'elle ne l'est déjà, l’homosexualité au Sénégal, a déjà d'autant plus du plomb dans l'aile qu'elle navigue à contre-courant de l'inclination des décideurs politiques à ce qui est devenu, au fil du temps, un enjeu géopolitique.

Enjeu auquel le Sénégal, en dépit de sa forte empreinte religieuse et morale, a visiblement du mal à se soustraire. Mais des mouvements comme And Sam Jikko Yi semblent faire de la résistance et Oustaz Makhtar Sarr ajoute une note menaçante à ses pressions sur les députés, en agitant des troubles sociaux qui pourraient naitre d'une éventuelle dépénalisation de l’homosexuel.

C'est que l'air du temps est à cette perspective et les rodomontades de la société civile semblent désormais plus procéder d'un ultime baroud d'honneur que d'une posture optimiste.

Manifestations, signatures de pétitions, pressions sur les élus émaillent depuis plusieurs semaines la vie civile. Objectif : obtenir du Parlement un durcissement de la législation sur l'homosexualité. Ainsi, les peines passeraient de 5 à 10 ans de prison pour les personnes reconnues coupables d'actes sexuels "contre-nature". Le Rassemblement islamique sénégalais, avec toutes les factions qu'il agrège, porte pathétiquement l'illusion d'une espérance : que le Sénégal se désolidarise du courant planétaire qui "normalise" une "infamie" aussi bien morale que religieuse et refuse de se nourrir du pain de l’"abomination" de ceux qui imposent les remugles de leur morale en échange de leur générosité.

Combat moralement et religieusement défendable : si le Coran n'aborde pas explicitement la question de l'homosexualité, elle en indique le caractère outrancier et transgressif : dans le Coran, il est indiqué que les membres du peuple de Loth, Prophète et neveu d'Abraham, étaient les premiers parmi les mondes à avoir une population homosexuelle. Loth dit à son peuple : ‘’Vous livrez-vous à cette turpitude que nul, parmi les mondes, n'a commise avant vous ? Certes, vous assouvissez vos désirs charnels avec les hommes au lieu des femmes ! Vous êtes bien un peuple outrancier.’’  Sourate 7/80-81 [2]

Dans la Bible, l'épisode de la tentative de viol des Sodomites sur des anges, dans le livre de la Genèse, l'interdiction des relations homosexuelles masculines dans le livre du Lévitique et des versets de trois épîtres de Paul de Tarse servent traditionnellement à condamner l'homosexualité.

Mais la question des droits des homosexuels est très vite devenue une "nouvelle frontière", un nouveau paradigme des Droits de l'homme. L'homosexualité, extraite du champ des dérèglements moraux et de la pathologie psychique, délestée du poids de la malédiction religieuse, s'est transformée en sujet de "soft power" et a investi le champ diplomatique. Celui-ci a eu tôt fait de l'imposer en enjeu géopolitique : universaliser un droit nouveau en l'identifiant comme principe de dignité et de respect humains. En faire, au besoin, un instrument de pression politique sur les pays qui revendiquent au nom de la morale et de l'ordre éthique, opposition et rejet.

Et cela n'a pas mal marché. Aujourd'hui, sur le continent africain, 27 pays, désormais, répriment et condamnent l'homosexualité. Quatre condamnent les auteurs d'actes homosexuels à la peine de mort. Les autres affichent une indifférence positive quand ils ne légalisent pas radicalement le mariage homosexuel.

Aujourd'hui, les droits des homosexuels se sont imposés en droits humains purs et simples, par l'action de la communauté internationale, rendant de fait et par les textes illégale, toute criminalisation de l'homosexualité. Ainsi, les pays où cette criminalisation subsiste, sont tenus comme " hors-la-loi", aux yeux d'un principe à vocation universel, fabriqué de toutes pièces par des lobbies LGBT qui, par le pouvoir de l'argent, ont imposé au monde les lois de leurs instincts. Et si l'homosexualité a pu réussir une telle "décomplexisation" en l'espace de deux décennies, c'est précisément  parce qu'elle a investi toutes les couches sociales, toutes les couches professionnelles, notamment dans les pays les plus puissants, ce qui lui a permis de relever la tête, de se débarrasser de la "honte" qui la lui faisait baisser. Il n'y a, ensuite, eu, plus qu'à actionner le levier de la "reconnaissance"...

On imagine mal comment le Sénégal restera longtemps en marge de cette trajectoire :  à défaut de se soumettre à toutes les injonctions des mouvements LGBT et des transformations qu'ils envisagent pour la société sénégalaise, il lui sera quasi impossible de durcir les lois existantes. Le modèle démocratique qu'il s'est donné ne le lui permet pas. Pas plus qu'il ne lui permet une marginalisation de fait, par rapport à la communauté internationale, qu'induiraient les options conservatrices d'une société civile en perte de vitesse.

 

Section: