Publié le 6 Jan 2022 - 22:48
LA DANSE DES BEQUILLES’’ DE YORO LIDEL NIANG

L’abnégation d’une femme en béquilles

 

A travers son film ‘’La danse des béquilles’’, le réalisateur Yoro Lidel Niang - qui est lui-même en situation de handicap - invite ses citoyens à changer le regard négatif qu’ils portent sur les personnes à mobilité réduite. Il invite surtout les parents qui ont un fils victime d’un handicap à plus d’indulgence et à croire aux potentialités de ce dernier. ‘’La danse des béquilles’’ dénonce la mendicité.

 

‘’La danse des béquilles’’ du réalisateur Yoro ou Yoro Lidel Niang est un film engagé qui aborde le thème du handicap. Personne à mobilité réduite, passionnée de danse, Penda, le personnage principal, a un incroyable talent. Mais sa mère est une ancienne danseuse qui croule sous le poids de la pauvreté. Et cette dernière vit grâce aux offrandes que sa fille reçoit quotidiennement dans la rue. C’est dans la rue, par le plus grand des hasards, que Penda obtient l’opportunité de voir son rêve d’enfant se réaliser. Un jour, sur sa chaise roulante, écouteur aux oreilles, visage magnifiquement maquillé comme toujours, dansant sur sa chaise et se moquant du regard des passants, elle rencontre Balla, un maître de danse qu’elle admire.

Ébahi par le talent de la dame, Balla va pouvoir l’aider à accéder sur scène, mais Penda devra également convaincre sa mère. Fuyant le risque de ne plus avoir d’entrée d’argent, dans un premier temps, cette dernière refuse de laisser sa fille pratiquer la danse, indiquant qu’elle la protège contre d’éventuelles moqueries. Penda, l'héroïne du réalisateur qui est lui-même dans une situation de handicap, défie les idées reçues et donne parole au corps. Ambitieuse et courageuse, elle poursuit son chemin dans une société conçue pour les personnes dites ‘’normales’’. Lorsqu’elle est en action, elle dégage une force incroyable, une énergie vive.

Ainsi, bien qu’elle soit victime d’un handicap, Penda a réussi à montrer à sa mère et à la société qu’elle peut faire carrière dans la danse et réussir là où d’autres personnes ont échoué. D’ailleurs, sa mère a finalement chanté ses louanges lorsqu'elle l’a vue sur scène et lui a ainsi donné sa bénédiction.

 ‘’La danse des béquilles’’ est porté par les productions Cinekap (Sénégal) et Onezik (Burkina). Il a fait partie de la sélection officielle de la 4e édition du festival Dakar Court. Il a également été sélectionné lors de la 6e édition du Festival international du film de Bruxelles (FIFB). C’est la danseuse Coumba Dème aka Anna qui a incarné le personnage principal du film.

YORO LIDLE NIANG (REALISATEUR DU FILM)

 ‘’La carte d’égalité de chances ne sert à rien’’

Quelle leçon doit-on retenir après avoir visionné ‘’La danse des béquilles’’ ?

‘’La danse des béquilles’’, c’est l’histoire d’une femme qui est en situation de handicap. Toutes les personnes qui sont dans la même situation, qui sont obligées de faire une action qu’elles n’aiment pas, peuvent s'identifier à elle. Penda est obligée de mendier par sa mère, alors qu’elle cela ne lui convient pas. Elle voulait faire autre chose que la manche. Malgré tout cela, sa maman l’a forcée à mendier dans la rue.  Un jour, elle rencontre un artiste, Balla. Après quelques périodes de fréquentations, elle décide d’abandonner la manche. La danse n’est pas facile, même pour une personne valide. Donc, émouvant de voir une personne qui décide de danser. Penda est courageuse, malgré les regards de la société, malgré tous les obstacles et les réticences de son maître, Balla. Il était réticent lui aussi. Il n’y avait que sa cousine Binta  qui l'encourageait à aller danser. Finalement, elle (Penda) est devenue une célébrité. Ce qu’on peut retenir de là, c’est que malgré les difficultés, on doit se battre.

Comment pouvez-vous expliquer ce rapport de force entre Penda et sa maman ? Parce que beaucoup peinent à comprendre le rôle de la mère.

Mais beaucoup de gens qui mendient ici sont obligés par les parents. C’est à cause de ces derniers que beaucoup de jeunes prennent des pirogues pour aller en Italie ou en Espagne. Partout, ce sont les parents qui sont derrière, quand il s’agit de business, de ‘tekki’ (réussir à tout prix, NDLR). L’esprit ‘tekki’ là, c’est eux qui sont derrière et c’est trop violent. Penda ne peut pas aller au port pour travailler en tant que bonne ; sa maman à penser que pour avoir de l’argent, ce serait mieux qu’elle aille mendier. Parce qu’elle doit aussi gérer la maison, entretenir la famille…

La maman est une ancienne danseuse. Elle a arrêté la danse parce qu’elle n’a pas de soutien financier. Elle lui a même dit : ‘’Moi, j’étais une grande danseuse, mais j’ai dû arrêter. Toi, tu as des béquilles ; tu penses que tu peux y arriver ?’’  Elle ne croyait pas que sa fille avait ces aptitudes. Alors, même dans la vie réelle, rares sont les parents qui ne demandent pas à leur enfant en situation de handicap d’aller mendier. D’abord, ils disent que c’est notre coutume : une personne handicapée ne doit pas aller à l’école, ne doit pas travailler, ne doit pas porter de belles chaussures, etc. C’est la perception que les gens ont sur les couches vulnérables de façon générale. Moi, j’ai joué durant 20 ans au basket. Quand je porte mon maillot, on me demande comment je fais pour jouer au basquet (c’est un genre de question qu’on ne pose pas à tout le monde, NDLR). Quand on jouait pour la première fois, plus de 500 personnes sont venues suivre le match.

Est-ce que vous vous êtes inspiré d'une histoire vraie ?

On peut dire. Mais c’est la vie de personnes victimes d’un handicap. Moi, à chaque fois, on me dit : ‘’Tu es handicapé, pourquoi tu fais ça ? Tu dois rester ici, tu dois rester là. C’est par rapport à la nature, par rapport à l’inaccessibilité… Moi, j’habite à Guédiawaye ; les bus ne sont pas accessibles, les écoles et les toilettes non plus. Quand je vais quelque part, je peux rester une journée sans aller… (Il fait une pause). Ce n’est pas normal. Donc, c’est une réalité.

Ce n’est pas l’histoire en tant que telle, mais je me suis inspiré de beaucoup de réalités pour faire ce film. Ces gens (les personnes en situation de handicap) sont laissés en rade. Il y a la loi d’orientation sociale, la Convention internationale relative aux personnes en situation de handicap, nos coutumes et cultures, et il y a nos religions. Tout ça, on l’utilise théoriquement, mais il n’y a pratiquement rien. Dernièrement, j’étais allé dans une mosquée qui se trouve à côté de chez moi et qui était en chantier. Les gens n’avaient pas prévu de rampes.

Ce film serait-il une affirmation de soi ?

Non, je ne le vois pas ainsi. Je devais juste faire un film sur une personne engagée. J’ai pris une personne en situation de handicap. Je pouvais prendre un jeune qui n’a pas de travail ou une fille qui est délaissée par la société, etc.  J’ai choisi de prendre une personne en situation de handicap, parce qu’il y a d’abord l’image, l’esthétique, l’histoire que l’on doit raconter.

Pourquoi avez-vous fait appel à de vrais danseurs pour qu’ils incarnent des personnages dans votre film ? 

J’ai choisi de prendre des danseurs, parce si vous faites un film qui ‘’bouge’’, un film de combat ou de danse, le mieux, c’est d’avoir des gens qui sont déjà dans la pratique.

Pensez-vous que l’organisation de la Journée mondiale des personnes en situation de handicap change quelque chose ?

Personnellement, je ne participe pas à ce genre d’activité. Je n’ai pas envie de perdre mon temps. Je demande aux gens d’éviter d’en faire une fête. Ce n’est pas une fête, c’est une journée de bilan. Il y a l’approche droit ; cette journée est décrétée par les Nations Unies pour faire valoir les droits des personnes en situation de handicap. On a voté la loi d’orientation au Sénégal depuis 2010. Aujourd’hui, qu’est-ce que cette loi a changé depuis lors ? Cette journée doit servir à ça. Ici, au lieu de faire une journée, on prend une semaine.

C’est seulement au Sénégal qu’on a du 3 au 10. Ma carte d’égalité de chances est là ; elle ne me sert qu’à remplir mes poches. J’ai offert un conteneur de 45 millions que j’ai collecté à Bordeaux, à l’hôpital Roi Baudouin. Deux ans après, je reviens à l’hôpital, je n’ai même pas eu de fauteuil roulant où m'asseoir, alors que j’avais la jambe plâtrée. (Pourtant), dans ce conteneur, il y avait des fauteuils roulants, des lits, etc. Beaucoup de bagages. De plus, la personne qui m’a accueilli m’a dit qu’elle ne connaît pas la carte d’égalité de chances. C’est un problème. 

Comment est-ce que vous vous définissez ?

Je suis dans le développement inclusif. Ce n’est pas par rapport aux handicapés, mais par rapport aux enfants. J’ai un festival qui s'appelle Abri des enfants. J’ai fait quatre éditions avec la Direction de la cinématographie. Je suis directeur de collectivité éducative ; j’emmène des enfants en colonie. Il ne s’agit pas de faire un projet de protection des enfants talibés. Pour moi, enfant égale enfant : enfant talibé, enfant vivant avec un handicap, enfant vivant avec le sida, enfant riche. Car, même l’enfant d’un richard a besoin d’être protégé. 

BABACAR SY SEYE

 

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