La campagne vire aux slogans racistes
Autrefois ‘’idyllique’’, la relation entre Français et Africains vire de plus en plus au ‘’je t’aime moi non plus’’. De part et d’autre, des politiciens surfent dessus pour faire les yeux doux à des électorats gagnés par un regain de nationalisme.
Une campagne qui vire au racisme. Tant que c’était Éric Zemmour qui agitait cette théorie saugrenue du grand remplacement pour légitimer sa volonté d’expulser des millions d’Africains de la France, cela ne semblait pas choquer grand monde. Mais depuis quelques jours, ce sujet est en passe de devenir le thème central de la campagne pour la Présidentielle. Faudrait-il en déduire que l’extrémisme gagne du terrain en France ?
Analyste géopolitique et communicant politique, Régis Hounkpé explique : ‘’Clairement oui. Et des candidats comme Éric Zemmour et Marine Le Pen vont rivaliser d'imagination pour user et abuser du sujet, car il est politiquement attractif dans une France partiellement recroquevillée sur elle-même, réactionnaire et favorable au discours anti-immigration, anti-Noirs, anti-Arabes, anti-Juifs, anti-tout ce qui n'est pas blanc de souche.
En des termes plus simples, le grand remplacement, c’est l'idée selon laquelle on assiste à la substitution de la population française par une population étrangère. Dans la bouche de Zemmour et Cie, cela signifie tout simplement que les Africains vont remplacer les Français dans les années à venir. Selon cette théorie qualifiée de fantasme par beaucoup d’analystes, ce remplacement sera favorisé par deux facteurs principaux : la natalité et les flux migratoires. Pour barrer la route à ce processus, le candidat raciste à la Présidentielle française n’y va pas du dos de la cuillère. Pour lui, il faut tout simplement supprimer les nombreux avantages qu’il considère comme des ‘’pompes aspirantes’’ qui encouragent les Noirs et les musulmans à se rendre en France.
Plus que l’immigration clandestine, Zemmour veut aussi mettre un terme à l’immigration légale. Il assume : ‘’L’augmentation de la population, c’est d’abord l’immigration. Et moi, je veux mettre l’immigration à zéro, c’est-à-dire réduire l’immigration légale. Je dis bien légale et c’est ce qui me différentie de mes concurrents, en particulier de Mme Pécresse. Je veux m’en prendre à l’immigration légale : c’est-à-dire arrêter le droit au regroupement familial, arrêter le droit d’asile en le réduisant à quelques dizaines ou à quelques centaines, réduire drastiquement le nombre d’étudiants étrangers, supprimer de nombreuses allocations (familiales, vieillesses, logements…).’’ Décidé à mettre un terme à l’immigration et à chasser les Noirs et les musulmans, il préconise de renvoyer tous les Africains au bout de six mois sans travail. Last but not least, il ne sera plus question d’avoir la nationalité française simplement parce qu’on est né en France. Il faudrait, en plus, être de parents français. L’objectif de Zemmour pour le quinquennat, c’est d’expulser deux millions d’étrangers.
Jusque-là, ce champ, c’était la chasse-gardée de Zemmour, qui voulait en faire le thème central de la Présidentielle en France. Il pourra remercier Valérie Pécresse, candidate de l’un des plus grands partis français Les Républicains de Nicolas Sarkozy et de Jacques Chirac. Dans son meeting du 13 février à Paris, elle a affirmé ‘’qu’elle ne se résignait "ni au grand remplacement ni au grand
déclassement". Malgré ses propos visant à discréditer la théorie dégainée par Éric Zemmour, la candidate n’a recueilli qu’une salve de critiques des observateurs politiques’’, lit-on sur France 24. Plus tard, face au tollé suscité par son discours jusque dans les rangs de son parti, elle s’est défendu de danser sur le même tempo que Zemmour. ‘’J'ai toujours répété que je ne me résignais "ni au grand remplacement ni au grand déclassement", ce qui signifie que je ne me résigne pas à ces théories d'extrême-droite : c'est ce que j'ai toujours dit et tout le monde me fait dire le contraire’’, a-t-elle tenté de se justifier.
Ce qui laisse perplexes bien des analystes qui estiment que c’était plutôt un clin d’œil à l’électorat d’extrême droite.
Alors que les candidats de l’extrême droite et maintenant de la droite n’ont eu de cesse de surfer sur ce concept raciste, antisémite et xénophobe, beaucoup d’analystes affirment que cela ne correspond pas à la réalité des chiffres de l’immigration en France. ‘’Selon l’Insee, quelque 6,8 millions d'immigrés vivaient en France en 2020, soit 10,2 % de la population totale. Sur ces immigrés, seuls 46 % d'entre eux provenaient d'Afrique, le reste étant essentiellement d'origine européenne, asiatique, américaine et d'Océanie.
Il s’agit surtout d’une ‘’peur qui échappe à toute argumentation rationnelle", selon François Héran, Professeur au Collège de France, dans un article paru dans ‘’Le Monde’’.
Par ailleurs, ce que Zemmour et les théoriciens du grand remplacement semblent ignorer ou essaient d’ignorer pour asseoir leurs thèses suprémacistes, c’est que la plupart de ces Noirs et Arabes visés par leurs propositions sont plus français, européens qu’africains.
REGIS HOUNKPE, ANALYSTE GEOPOLITIQUE ‘’Il y a de l’imposture…’’ Spécialiste de la communication politique, Régis Hounkpé revient sur les enjeux autour de ce concept qui fait fureur dans les milieux de l’extrême droite. Quelle compréhension devrait-on avoir de ce concept de ‘’grand remplacement’’ ? La théorie du ‘’grand remplacement’’ a été vulgarisée en France par un écrivain d'extrême droite, Renaud Camus, et qui tend à faire croire que l'Occident blanc se ferait remplacer dans un prochain avenir par des peuples issus de l'immigration, c'est-à-dire les Arabes et les Noirs. Mais elle peut être sourcée encore plus loin dans les années 1900, avec Maurice Barrès, un nationaliste français qui pensait que les étrangers finiraient un jour par remplacer les Français dans leur propre pays. Cette théorie fumeuse a commencé graduellement à s'infuser dans le débat public au début de 2010, mais a retrouvé un véritable souffle politique avec Éric Zemmour, polémiste d'extrême droite qui, à longueur de tribunes, conférences, émissions et livres, en a fait l'arc principal de son idéologie politique. De mon point de vue, il y a à la fois de la posture et de l'imposture, quand des personnalités politiques supposées se situer dans le cordon républicain agitent ce concept. Peut-on en déduire une poussée de l'extrémisme en France ? Clairement oui. Il y a évidemment du cynisme dans la démarche de Valérie Pécresse qui n'est ni d'extrême droite ni raciste. D'ailleurs, son propos vise à contester le grand remplacement et le grand déclassement, le pendant économique et à se dresser contre. Mais dans un débat de campagne présidentielle, ces sujets deviennent explosifs dans la bouche de candidats républicains. Ce passage a littéralement phagocyté toute sa "prestation". Par contre, Éric Zemmour et Marine Le Pen vont rivaliser d'imagination pour user et abuser du sujet, car il est politiquement attractif dans une France partiellement recroquevillée sur elle-même, réactionnaire et favorable au discours anti-immigration, anti-Noirs, anti-Arabes, anti-Juifs, anti-tout ce qui n'est pas blanc de souche. Quel impact cela pourrait avoir sur la politique migratoire en France, si ces chantres du concept du ‘’grand remplacement’’ remportent la prochaine Présidentielle ? Une stigmatisation encore plus accrue sur l'immigration. Mais beaucoup ignorent, concernant l'Afrique, que les Africains émigrent généralement en Afrique et parfois en Amérique du Nord, en Amérique latine, en Asie et dans la péninsule arabique. Une telle perspective ne pourrait-elle pas permettre d’accélérer la fin de la Françafrique qui semble être souhaitée dans les deux sens ? Le dernier clou qui doit fermer le cercueil de la Françafrique n'est certainement pas en possession de ces réactionnaires et entrepreneurs de la haine qui ne cherchent qu'à diviser. Le requiem de la Françafrique sera initialement rédigé par les générations africaines qui n'en peuvent plus de cette relation de mépris et d'humiliation qui n'a que trop duré. |
MOR AMAR