Publié le 21 Aug 2022 - 16:25
BABACAR NDIAYE (AUTEUR, STATISTICIEN, FINANCIER...)

 “Les solutions que je propose pour redresser nos économies...’’

 

Statisticien, financier et actuaire de formation, Babacar Ndiaye est l’auteur du livre ‘’La France à fric’’. Il a dispensé des cours dans plusieurs écoles et instituts supérieurs en France et au Sénégal. Épris de paix et de justice, engagé et soucieux de la bonne marche du monde, M. Ndiaye propose, dans son livre, des solutions pour redresser l’économie du Sénégal et de l'Afrique. Dans cet entretien accordé à ‘’EnQuête’’, le fondateur du cabinet Deprice Consulting revient, entre autres, sur son parcours, souligne les grandes lignes de son livre.

 

Monsieur Babacar Ndiaye, vous êtes l’auteur du livre ‘’La France à fric’’. Parlez-nous davantage de vous.

Je suis sénégalais, statisticien, financier et actuaire de formation. J’ai passé une partie de mon cursus scolaire au Sénégal et l’autre en France. J’ai commencé ma carrière professionnelle au sein d’Axa Global P & C à Paris, en 2010. Ensuite, j’ai rejoint des cabinets internationaux en France avec un petit passage aux Pays-Bas. Parallèlement, j’ai dispensé des cours et travaux dirigés de classification automatique et d’actuariat aux niveaux Master 1 et 2 à l’Institut de mathématiques appliquées (IMA) où j’ai été formé. Je suis rentré au Sénégal en 2017. C’est ainsi que j’ai mis en place un cabinet de conseil et de formation : Deprice Consulting.

Dans ce cadre, nous avons eu à travailler avec des cabinets de finance et d’expertise comptable, le Bureau international du travail (BIT), le ministère des Finances (Direction des Pensions plus précisément), le ministère de la Culture, etc. Parallèlement aussi, j’ai dispensé des cours dans plusieurs écoles et instituts supérieurs au Sénégal. Actuellement, je travaille au sein du groupe Baobab en tant que responsable du Pôle études et analyses. Engagé et très soucieux de la bonne marche du monde, je suis persuadé que la meilleure façon de servir mon pays, de servir le monde, est d’être un acteur de la vie économique, politique et sociale.

Quelles réflexions vous ont amené à rédiger ce livre ?

  Cet ouvrage est un essai ayant pour but ultime de contribuer à l’édification d’un monde meilleur, rempli de paix et d’amour. Cela passe forcément par une justice sans faille au sein de la famille humaine. Ces derniers siècles, le continent africain a subi trop d’injustices. Après avoir été vidé de sa population jeune et saine pour bâtir un monde meilleur ailleurs, il a été morcelé, entraînant une humiliation morale, un affaiblissement politique et une dépendance intellectuelle chronique. Cette situation a installé, au fil des années, des réflexes d’assisté dans l’esprit de certains Africains.

Ainsi, nous pensons inconsciemment que les solutions doivent nous parvenir d’ailleurs. En même temps, nous réclamons une indépendance. Cette dernière restera une utopie, tant que l’Afrique ne parviendra pas à concevoir ses propres modèles. L’idée m’est ainsi venue de donner de l’impulsion à travers le partage d’une vision et des propositions de solutions concrètes, tout en tenant compte de l’intérêt de tout individu du monde pour un équilibre bénéfique à tous.

 Qu’est-ce qui justifie le choix du titre du livre ?

Le livre s’intitule ‘’La France à fric’’. ‘’La France’’, puisque nous parlons beaucoup d’elle dans l’ouvrage. ‘’À fric’’ (phonétiquement : Afrique) puisque nous parlons beaucoup d’elle également. ‘’A fric’’ parce que nous parlons beaucoup de monnaie et d’économie. ‘’La France à fric’’ pour faire allusion à la Françafrique, puisque nous parlons beaucoup des relations entre la France et les pays d’Afrique francophone, même si je me suis plus focalisé sur le cas du Sénégal que je connais mieux, naturellement.

Toutefois, les propositions émises sont valables pour plusieurs pays d’Afrique, à quelques ajustements près, etc.

Quels sont les avantages et les inconvénients de la création monétaire ?

Tout d’abord, rappelons de façon simple que la création monétaire peut être définie comme le processus par lequel la masse monétaire d’un pays ou d’une zone est rehaussée. Elle présente effectivement des avantages et des inconvénients. Citons-en quelques-uns pour exemple. Avantages : la création monétaire présente l’avantage de relancer une économie. En effet, lorsque la Banque centrale baisse le taux directeur, par exemple, les taux d’intérêt des banques commerciales baissent eux aussi. Ainsi, il y a plus de crédits accordés, entraînant un processus de création monétaire et donc une hausse de la masse monétaire. Par conséquent, l’économie est relancée, stimulée. Aucune richesse réelle n’est créée. Certes, l’effet positif ici, déclencheur de la relance de la machine économique, semble psychologique, entre autres. Inconvénients : la création monétaire a des effets inflationnistes sur un pays ou une zone monétaire dans son ensemble, car la monnaie est dépréciée. De même, elle peut engendrer des crises financières mondiales lorsqu’elle est excessive, comme nous l’avons vu par le passé avec la crise des subprimes de 2007-2008. Tout le monde s’en souvient douloureusement.

Que pensez-vous du franc CFA ?

La question précédente abordait les avantages et inconvénients de la création monétaire. Une de nos analyses est en lien avec cela. En effet, si la Banque centrale européenne (BCE) crée de la monnaie en cas de crise (Covid-19 par exemple), la zone euro profite d’une injection de liquidités pour relancer sa machine économique. Toutefois, en contrepartie, l’euro est déprécié, c’est un des inconvénients. Le franc CFA aussi, à cause de la parité fixe, c’est mécanique.

En résumé, l’Europe bénéficie seule des avantages et partage les inconvénients avec les zones UEMOA et CEMAC, à savoir la dépréciation monétaire. C’est injuste. Même s’il ne s’agit pas de création monétaire, toute baisse de l’euro, quelle qu’en soit la cause, entraîne systématiquement celle du franc CFA, que cela nous arrange ou pas. En termes simples, nous, pays des zones franc CFA, n’avons pas notre propre monnaie, ne menons pas notre propre politique monétaire, nous subissons. Le franc CFA n’est pas notre monnaie, c’est une subdivision fixe d’une autre qu’est l’euro, complètement déconnectée de nos réalités économiques et nos besoins en politique monétaire.

Quel diagnostic faites-vous du système éducatif sénégalais ?

Notre système éducatif est confronté à d’énormes difficultés. Nous avons axé notre analyse sur trois points fondamentaux : un modèle éducatif non approprié à notre structure démographique, un problème de langue (déjà mentionné dans les documents publics, mais l’analyse mérite d’être poussée) et enfin des contenus et programmes non conformes à nos besoins et réalités. Nous avons une proposition pour corriger l’inadéquation de notre système éducatif à notre structure démographique.

Que proposez-vous ?

Le Sénégal, à l’instar des pays africains, se distingue par une population particulièrement jeune. Il est nécessaire de penser un modèle éducatif approprié. Celui que nous proposons s’appelle le modèle ‘’Diang Diangalé’’. Il entraînera une réforme en profondeur de tout le système pour donner des résultats qui répondent aux besoins de développement du pays à moindre coût. Ce modèle part du constat selon lequel nos Daara traditionnels (à vocation purement éducative) ont formé des millions de savants dans tout le pays avec de maigres moyens financiers.

Comment est-ce possible ?

Ce modèle repose sur une solidarité intergénérationnelle et une décentralisation de la transmission des connaissances, comme l’ont réussi les grands Serigne Daara.

Quelques principes fonctionnels du modèle ‘’Diang Diangalé’’ (non exhaustif) : à partir d’un certain niveau scolaire d’équilibre déterminé périodiquement en fonction des besoins (input du modèle), les étudiants peuvent choisir un module que nous pouvons appeler option ‘’Enseignement’’. Par exemple, un étudiant en 2e année en mathématiques peut encadrer des élèves de 5e pour les exercices, le cours étant assuré par un professeur titulaire. De même, il pourra assister le professeur titulaire sur certaines tâches comme la préparation des cours et des exercices, la correction de certains devoirs, etc.

En contrepartie, l’État accorde une majoration (à déterminer périodiquement par le modèle) de la bourse des étudiants ayant opté pour ce module ‘’Enseignement’’. Au fur et à mesure, l’étudiant prendra plus de responsabilités en cas de bonnes prestations.

Ce modèle induira l’entrée en vigueur d’une loi portant sur un statut nouveau de type ‘’étudiant/enseignant assistant’’ par exemple. L’étudiant sera noté sur ce module. Les modalités d’évaluation de ce module seront scrupuleusement étudiées et impliqueront probablement l’appréciation du professeur titulaire, des élèves, des responsables de l’établissement, etc. 

Dans l’esprit du modèle, on veillera à ce que l’étudiant ne soit pas perturbé dans ses études supérieures. Pour cela, il faut un équilibre entre ses études (‘’diang’’) et ses interventions (‘’diangalé’’). Ainsi, l’étudiant intervient à temps partiel et de façon bien calculée…

D’après une première estimation brute, les économies réalisables grâce à ce modèle pourraient, avec le temps, se chiffrer à plus de 100 milliards de francs CFA par an, tout en assurant un meilleur résultat scolaire.

Ce modèle suppose un ralentissement du recrutement de nouveaux professeurs à temps plein. Pour cela, une bonne partie des économies réalisées devrait être allouée pour financer ces professeurs dans la recherche, l’entrepreneuriat, etc. La mise en œuvre du modèle se fera progressivement.

La liste est loin d’être exhaustive. Je vous renvoie au livre pour plus de détails sur le modèle ‘’Diang Diangalé’’, ainsi que sur les analyses portant sur la langue, le contenu et les programmes. Avec les experts, nous approfondirons ce modèle dans la deuxième phase du projet où nous élaborerons un programme politique pour le Sénégal.

Quelles solutions préconisez-vous pour redresser les pays africains qui ont longtemps subi des injustices qui plombent leur économie ?

Je défends l’idée selon laquelle il est plus facile de trouver des solutions globales au profit de toute l’humanité que d’en trouver pour un pays ou un continent. Il faut ‘’réfléchir monde’’. Un pays qui trouve ses solutions en lésant les autres consciemment ou inconsciemment, est en train de différer ses propres problèmes, puisque ceux-ci lui reviendront tôt ou tard sous une autre forme. À méditer.

Je me suis focalisé sur l’Afrique et sur le Sénégal en particulier à cause de l’injustice subie depuis fort longtemps. Je ne veux pas non plus que l’Afrique cherche des solutions qui la favorisent en lésant les autres. Ce monde doit être juste et solidaire, ainsi régnera paix et amour partout. Les solutions que je propose pour redresser nos économies, surtout celles des pays d’Afrique francophone passent par : La monnaie et la finance internationale, notamment par la création de notre monnaie, à défaut de la mise en place d’une monnaie mondiale unique qui pourrait garantir une justice monétaire au sein de la famille humaine.

Toutefois, pas de précipitations, vu le caractère sensible de la monnaie. Des phases transitoires pourraient être envisagées. Dans le livre, vous y trouverez des propositions détaillées. L’économie, qui est caractérisée par des secteurs primaire et secondaire délaissés et un secteur tertiaire relativement dynamique, mais avec une forte extraversion. Ces paragraphes développés dans le livre avec des propositions parlent d’eux-mêmes :

Secteur primaire : y retourner ;

Secteur secondaire : le relancer ;

Secteur tertiaire : le récupérer ;

Secteur quaternaire : se rattraper.

A propos de l’informel, l’accompagner.

La corruption, avec l’usage des moyens digitaux, entre autres, pour réduire drastiquement son niveau.

Après tout cela, prioriser la santé et la protection sociale pour le bien-être de tous. Redresser nos pays passera nécessairement par ces volets, le reste suivra sans difficulté.

*Livre disponible chez L’Harmattan/Sénégal ou Amazon à l’international

BABACAR SY SEYE

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