Publié le 18 Oct 2022 - 23:17
PROJET D’EXPLOITATION DU GAZ AU LARGE DE SAINT-LOUIS

Legs-Africa fait le diagnostic de l’étude d’impact environnemental et social 

 

En mettant en rapport l’étude d’impact du projet Grand Tortue/Ahmeyim (GTA) avec les attentes des parties prenantes, le think tank espère contribuer à une gouvernance transparente et démocratique, économiquement et écologiquement responsable du pétrole et du gaz au profit du bien-être des populations sénégalaises.

 

Le Sénégal peut se  réjouir de l’exploitation prochaine de ses ressources naturelles en gaz et en pétrole. Lors du Conseil des ministres du mercredi 5 octobre 2022, le président de la République, Macky Sall, s’est réjoui de l’évolution favorable du projet de loi de finances pour l’année 2023 qui est projeté à plus de 6 400 milliards de francs CFA, avec une croissance espérée à 10,1 %, à la faveur du début d’exploitation des hydrocarbures à travers les projets Grand Tortue/Ahmeyim (GTA) et Sangomar.

Ainsi, plus de 1 400 milliards devraient renforcer le budget du Sénégal, grâce aux ressources naturelles, rien que la première année.

Cette  manne financière s’accompagne, toutefois, de risques environnementaux et sociaux liés à l’exploitation des hydrocarbures. D’où l’exigence, dans ce genre de projet, d’une étude d’impact environnemental et social (EIES). En ce qui concerne le projet GTA, ce document stratégique a été étudié et mis à l’épreuve par Legs-Africa, un groupe de réflexion panafricain d’orientation scientifique, politique, économique et sociale. Leurs résultats ont été partagés à travers un rapport dénommé ‘’Revue critique de l’étude d’impact environnemental et social du projet gazier Grand Tortue/Ahmeyim (GTA)’’.

Le document constitue, selon ses auteurs, une sorte d’évaluation ou suivi-évaluation concertée de toutes les parties prenantes. S’il juge acceptable l’EIES, il estime qu’il ne couvrait que la phase de construction et juste sur un an, ce qui ne permet pas le recul nécessaire pour apprécier l’efficacité du plan sa globalité.

Des réserves estimées à 1 milliard de barils

En 2015, un gisement de gaz naturel offshore, doté d’un potentiel de 15 billions de pieds cubes de gaz avec des réserves estimées à 1 milliard de barils, a été découvert entre le Sénégal et la Mauritanie. Dans l’optique d’une exploitation conjointe de cette ressource transfrontalière, les deux pays ont signé un accord de coopération dénommé ‘’Projet de production de gaz Grand Tortue/Ahmeyim (GTA)’’ le 9 février 2018.

Pour éviter tous les risques environnementaux et socioéconomiques d’un tel projet, l’EIES, concernant la première phase réalisée par Golder Associés Itée (Golder) et CSA Ocean Sciences inc. (CSA), a été publiée en juin 2019 sous l’égide des deux gouvernements.  

À travers son action, Legs-Africa a présenté aux parties prenantes les risques environnementaux, sociaux et économiques d’une exploitation du pétrole et du gaz. Les discussions ont permis de dégager un plan d’actions locales pour le suivi des engagements contractuels. Ce qui pourrait servir à améliorer le plan de gestion environnementale et sociale (PGES) à l’adapter à l’évolution du projet.

Le projet GTA, au Sénégal, s’établit sur quatre zones, en mer et sur le continent : la zone offshore située à environ 125 km de la côte, la zone de terminal du Hub GNL à environ 10-11 km de la côte, la zone de pipeline, un corridor étroit posé sur le fond marin reliant les infrastructures offshores aux infrastructures proches des côtes, ainsi que la zone d’opération de soutien située au port de Dakar. La zone concerne notamment les communautés côtières de N’Diago et de Saint-Louis, situées à proximité de la zone du terminal du hub GNL près des côtes. Ces espaces géographiques regroupent de fortes potentialités économiques et environnementales.

Les communautés côtières de N’Diago et de Saint-Louis, les plus exposées

La zone d’étude restreinte de l’EIES englobe les secteurs ou les impacts que les activités de routine du projet pourraient potentiellement causer. La zone d’étude élargie comprend une superficie plus vaste pour prendre en compte la possibilité que des hydrocarbures déversés accidentellement soient transportés par les courants et les vents ambiants, précisément la ville de Saint-Louis et ses environs.

Les risques environnementaux encourus concernent les trois grandes étapes du développement de GTA ; chacune présentant ses propres risques avec l’utilisation de produits chimiques, dangereux et non dangereux et de matières dangereuses : la préparation, la construction et l’installation des équipements ;  les opérations de production ; et la fermeture et la mise hors service. En plus des produits chimiques, les moteurs utilisés pendant toutes les phases du projet produiront des émissions atmosphériques qui varieront en fonction de la taille du moteur, de la source de combustible, de la charge du moteur et de sa durée de fonctionnement.

Concernant l’environnement biophysique, le projet est situé dans la partie sud du grand écosystème marin du courant des Canaries (CCLME), un des grands écosystèmes marins de remontée d’eau froide (upwelling) les plus productifs au monde. Il possède la plus importante production de pêche de tous les grands écosystèmes marins africains. Les principales composantes biologiques présentes dans les zones d’études de l’EIES comprennent du plancton, des communautés benthiques, des poissons et d’autres ressources halieutiques, des oiseaux, des mammifères marins et des tortues de mer. Les aires protégées et les autres zones d’importance pour la conservation ont aussi été caractérisées dans l’EIES.

L’écosystème, les activités de pêche, les routes maritimes impactées : 9 incidents impliquant des pêcheurs

Pour ce qui est de l’environnement social, la portion sénégalaise de la zone d’étude restreinte de l’EIES comprend une bande côtière entre Dakar et Saint-Louis, particulièrement les pêcheurs de la langue de Barbarie. Rien qu’en 2019, la pêche maritime a comptabilisé 451 964 tonnes en prises, soit plus de 182 milliards de francs CFA. Principale activité économique des populations locales, elle représente l’un des principaux piliers de l’économie sénégalaise et est d’une importance capitale, tant sur le plan social que sur le plan de la sécurité alimentaire.

D’ailleurs, le rapport annuel ESIA (Évaluation d’impact environnemental et social) 2021 a répertorié neuf incidents impliquant des pêcheurs dont les filets de pêche ont été pris dans la zone d’exclusion, nécessitant parfois l’intervention de la marine. Toutefois, il n’a été signalé aucun conflit dû au refus par des pêcheurs de respecter la zone d’exclusion.

En plus de la pêche, le transport maritime est une activité économique importante pour cette zone. Si le trafic maritime transitant par le port de Dakar est dense, la route principale maritime est située en dehors de la zone d'étude restreinte. Un corridor de transport maritime international traverse la partie ouest de la zone d’étude restreinte de l’EIES dans un axe nord - sud, mais avec un trafic d’intensité modérée. Et les activités côtières sur la zone comprennent le tourisme et les loisirs sur la plage.

Pour permettre aux décideurs d’adopter les meilleurs choix et décisions afin de profiter pleinement des ressources pétrolières et gazières tout en respectant l’environnement et les activités économiques des populations locales, Legs-Africa a formulé un certain nombre de recommandations. Parmi elles, le renforcement des capacités des parties prenantes en touchant à toute la chaîne des valeurs du secteur. Malgré la formation d’une première cohorte de techniciens supérieurs et d’ingénieurs bientôt opérationnels, le groupe de réflexion estime que ‘’dans l’optique d’une prise en main progressive du secteur des hydrocarbures, il faut accélérer la mise en œuvre des mesures relatives au contenu local, notamment en matière d’emploi et de formation’’.

Car le projet GTA est pourvoyeur d’emplois dans ses phases de confection des blocs avec l’entreprise française Eiffage. Dans ce sens, assure l’organisation de la société civile, ‘’un mécanisme peut être trouvé pour impliquer davantage les travailleurs, ainsi que les entreprises locales dans le cadre de sous-traitance’’.

Délocaliser la Direction de l’Environnement et des Établissements classés (DEEC) à Saint-Louis

Le think tank incite au renforcement du cadre juridique et institutionnel, à travers l’actualisation du Code de l’environnement ‘’devenu obsolète’’, et le suivi-évaluation de la mise en œuvre des différentes lois qui encadrent le processus, ainsi que leur décret d’application et les éventuels gaps par rapport à la réalité. Deux organes de contrôle ont été plébiscités pour être renforcés. 

En effet, suggère le rapport, ‘’la DEEC doit être renforcée en matière de ressources humaines, financières et matérielles, pour mieux faire face à ses tâches, surtout au niveau local avec les autres acteurs de base.’’ Aussi, les moyens mis à sa disposition doivent être décentralisés au niveau de Saint-Louis, pour plus d’efficacité dans les interventions, le suivi social et technique des engagements du PGES et du plan de suivi.

Dans le même sillage, une meilleure implication des services de protection de l’environnement à Saint-Louis, par exemple la Direction des Aires marines protégées (AMP) est décrite comme nécessaire.

La plateforme de Saint-Louis se trouve sur une zone de pêche. C’est pourquoi un dialogue avec les différents acteurs de la filière locale a été préconisé pour lever les nombreuses incompréhensions autour de la plateforme. Malgré ce qui a déjà été instauré à travers le plan de gestion environnemental et social, les ateliers menés par LEGS Africa dans la zone montrent que la communication est ‘’encore insuffisante’’. Cela offrirait l’occasion d’aborder les questions liées à la nécessité de mettre en place un plan de compensation, car les acteurs impactés doivent être compensés par une ‘’réinstallation économique’’.  

Dans le cadre de ‘’la délocalisation économique’’, qui pourrait en découler, l’ONG estime qu’il faut accompagner les acteurs locaux vers des moyens d’existence alternatifs ou complémentaires des communautés de pêcheurs. ‘’Cela peut passer par la promotion de l’économie verte et de l’économie bleue, en collaboration avec les institutions de formation professionnelle, d’éducation supérieure et de recherche, etc. Ce sera à la fois l’occasion de lutter contre la pauvreté et les changements climatiques’’, explique-t-elle.

Lamine Diouf

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