‘’Notre objectif est de faire de l’agroécologie la règle’’
Famara Diédhiou est le chargé de programme pour l’Afrique de l’Ouest de l’Alliance pour la souveraineté alimentaire en Afrique (Afsa) qui regroupe différents acteurs de la société civile, dans le cadre de la lutte pour la souveraineté alimentaire en Afrique, par le biais de l’agroécologie. Dans cet entretien avec ‘’EnQuête’’, il évoque les avancées notées dans le cadre de ce combat et l’objectif final de l’alliance qui est de faire en sorte que l’agriculture conventionnelle ou les pratiques agricoles non durables deviennent l’exception.
Depuis quelques années, l’on parle de plus en plus de transition vers l’agroécologie. Comment se porte ce secteur en Afrique de l’Ouest ?
Je commencerai par dire que lorsqu’on parle d’Alliance pour la souveraineté alimentaire en Afrique de l’Ouest, il s’agit, véritablement, d’une vision et d’un objectif. Notre outil principal demeure l’agroécologie. Tout ce que l’on dit autour de la souveraineté alimentaire tourne autour l’agroécologie. Par exemple, on dit agroécologie et semences, agroécologie et gestion foncière, agroécologie et changement climatique, agroécologie et nutrition, etc.
Donc, c’est l’agroécologie qui est notre outil principal pour aller vers la souveraineté alimentaire.
Pour répondre à votre question, je dirai que l’agroécologie au Sénégal et d’une manière générale en Afrique de l’Ouest se comporte bien. Les avancées sont super positives. Depuis quelques années, trois, voire cinq ans, il existe un Programme d’appui à la transition agroécologique pour l’Afrique de l’Ouest. Ce programme est logé au niveau de la Communauté des États de l’Afrique de l’Ouest (CDEAO). Des pays pilotes sont en train de mettre en œuvre ce programme. Ces pays ont proposé des projets dans le cadre de cette transition. Parmi eux, le Sénégal, le Mali et le Burkina Faso, entre autres.
Au niveau des États, des pays comme le Sénégal ou encore le Togo ont élaboré, en lien avec les programmes agricoles des États que je viens de citer, un document de contribution à la politique de transition agroécologique. Un autre élément qui montre que des avancées très significatives ont été notées dans la promotion de l’agroécologie, c’est que dans ces pays que je viens de citer et particulièrement au Sénégal, dans le budget pour l’agriculture, il existe des lignes budgétaires spécifiquement dédiées à des questions d’agroécologie, notamment les fertilisants. Au niveau de l’Union africaine aussi, de réels changements ont été enregistrés.
Vous avez, l’année dernière, certainement entendu parler du sommet des Nations Unies sur les systèmes alimentaires. Je vais vous révéler que depuis 2016, chaque deux ans, l’Afsa, qui est une alliance continentale, organise une conférence sur les systèmes alimentaires en Afrique. Lors de cette rencontre, nous mettons l’accent sur l’agroécologie. Mais à partir de 2018, nous ne parlons plus de systèmes alimentaires, mais plutôt de politique alimentaire pour l’Afrique. Un autre élément qui montre que l’agroécologie avance réside dans notre lutte pour la promotion des semences paysannes que nos parents conservent et utilisent depuis des millénaires.
Chaque pays dispose, désormais, d’un catalogue de variétés de ces semences. Ce sont celles-ci que les acteurs multiplient à grande échelle et les distribuent aux paysans à travers des programmes. Le système industriel n’a pas reconnu ou a voulu combattre cette autonomie des paysans. Nous savons qu’en Afrique, les petits paysans ou les exploitations familiales sont pourtant dominantes.
Il fallait donc se battre pour la reconnaissance de ces semences et leur soutien par nos États. Avant 2021, l’on parlait de semences informelles, parce qu’elles provenaient des villages et des paysans. Cette appellation à une connotation très négative. Alors que la valeur de ces semences est super positive en matière nutritive, en matière de capacité d’adaptation à différents climats, mais surtout en matière d’autonomie des paysans et de souveraineté alimentaire. Nous avons lutté pendant longtemps et nous avons créé le concept de ‘’Système semencier paysan (SSP)’’ qui est beaucoup plus respectueux. Heureusement que l’Union africaine a compris notre message.
En 2021, elle a élaboré les Lignes directrices pour l’harmonisation des réglementations semencières en Afrique (LDHRSA) que chaque pays, chaque région (comme la CDEAO) devrait s’inspirer pour voir comment développer ces semences dans sa zone.
Ces lignes directrices sont donc un instrument mis à la disposition des États par l’Union africaine ?
Oui ! Et dans ce document, l’on ne parle pas de semences informelles, mais de système semencier paysan (SSP) à côté du système dit conventionnel. Pour nous, il s’agit, véritablement, d’une autre forme de reconnaissance de l’agroécologie. J’ai parlé de politique alimentaire, j’ai parlé de programme de transition agroécologie, j’ai parlé de changement de concept et d’appellation. Tout ceci montre que l’agroécologie, sur le plan institutionnel, est en train de marquer des points à côté des efforts que ne cessent de fournir, au quotidien, sur le terrain, les acteurs, notamment les femmes membres des associations de femmes rurales (AFR) membres du mouvement panafricain Nous sommes la Solution (NSS).
Nous avons l’impression que vous êtes passés, depuis, excusez-moi du terme, l’étape d’aboyeurs, d’activistes, de dénonciateurs à une force de propositions d’idées, de concepts et de politiques ?
Oui ! Il y a quelques années, certaines institutions et certains acteurs nous regardaient comme des aboyeurs. À chaque fois qu’un État ou les gouvernants proposent quelque chose, nous dénoncions. Oui, nous l’avons fait. C’était une façon de se faire entendre, à l’époque. Cela faisait partie de nos stratégies.
Aujourd’hui, nous sommes passés à une autre étape dans le plaidoyer, qui consiste à dire : nous ne voulons pas ceci, voilà ce que nous voulons. À l’Alliance pour la souveraineté alimentaire en Afrique, nous avons deux mains. Avec l’un des bras, nous dénonçons à chaque fois que le besoin se fait sentir. Avec l’autre bras, nous disons : voici ce que nous voulons. Oui, nous sommes devenus une force de proposition. La question de la ‘’politique alimentaire africaine’’ est une idée qui provient de la société civile. Nous avons fait savoir à nos États et à nos décideurs qu’il y a de l’incohérence par rapport à ce qu’ils font dans le domaine alimentaire en général.
Un ministère de l’Agriculture, par exemple, va dire que nous allons faire ceci par rapport à tel aliment, par rapport à telle semence. Exactement sur le même point, le ministère de l’Environnement dit le contraire ou bien ne s’en préoccupe pas du tout sur des questions de pesticides ou de traitement, alors que le tout va finir dans le ventre de l’humain. Nous avons été écoutés, notamment dans le cadre de la mise sur pied de structures de dialogue interministérielles ou intersectorielles pour parler de ces questions. Nous avons proposé à nos institutions et à nos États les voies à prendre pour un mieux-être des populations.
Vous voulez dire que vos préoccupations sont désormais prises en charge par les autorités étatiques et au niveau de l’Union africaine ?
Oui ! Parmi nos préoccupations, la question des semences occupait une place de choix. Je disais qu’on est passé de semence informelle à ‘’système semencier paysan’’. Il y a aussi la question de la gestion foncière. Au moment où l’on développait les lignes directrices pour la réglementation semencière en Afrique, il a aussi été question de lignes directrices pour la gouvernance foncière en Afrique. Nous avons, lors des consultations et les échanges, fait savoir qu’il ne s’agit pas d’une question de terre, de géographie ou de dimension. Pour nous, il fallait plutôt penser à comment faire pour une gestion durable des terres pour que chaque acteur puisse y trouver son compte. Nous avons soutenu que la meilleure manière de gérer durablement est la gestion agroécologique. Nous avons fait cette proposition et dans le document final relatif à la gestion des terres, il a été mentionné : ‘’Gestion durable de la fertilité des terres et des sols.’’
La question de la dimension femme a aussi été évoquée. Nous n’avons pas la prétention de déstructurer la société, la sociologie, la gouvernance culturelle africaine des terres et des sols. Nous avons dit que si l’on se réfère aux données actuelles, le nombre d’agriculteurs femmes pourrait être supérieur au nombre d’agriculteurs hommes. Donc, en développant les lignes directrices par rapport à la gouvernance des terres, il faut une meilleure prise en charge des besoins des femmes.
En résumé, l’Union africaine nous écoute sur la politique alimentaire, la gouvernance semencière et foncière, ainsi que sur des questions liées au changement climatique. Nous sommes présents dans 13 pays africains ou nous travaillons à insérer, à inclure les approches agroécologiques dans la stratégie nationale d’adaptation face changement climatique.
Oui, l’agroécologie se porte bien. Les gens comprennent que c’est la voie à suivre.
Maintenant, il ne faut pas lâcher. Nous continuerons à influencer les politiques et à promouvoir les solutions africaines pour la souveraineté alimentaire. Notre souhait, c’est que l’agriculture conventionnelle ou les pratiques non durables deviennent l’exception, parce que jusqu’aujourd’hui, l’agroécologie semble être l’étranger et l’exception. Notre combat de tous les jours est de renverser cette tendance.
PAR HUBERT SAGNA