‘’L’avenir du monde se joue en Afrique…’’
Il est l’un de ceux qui représentent le Sénégal à cette 28e édition du Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (Fespaco). Saliou Waa Guendoum Sarr est le réalisateur de ‘’Doxandem, les chasseurs de rêves’’, un documentaire d’une heure 28 minutes. Il traite d’émigration. La thématique peut paraître redondante aux premiers abords. Mais ne jugez pas rapidement. Saliou Sarr présente la chose sous un angle intéressant. Le film a été projeté hier à Canal Olympia Pissy, à Ouagadougou.
Vous racontez l’émigration sous deux prismes : celui de l’Africain qui va en Occident et celui de l’Occidental qui vit en Afrique. Pourquoi cette dualité ?
On oublie souvent que le voyage est un fait humain. Ce n’est pas juste pour les Africains. Les migrants viennent de partout. L’humanité a grandi en migrant. On raconte l’histoire de ceux qui quittent ici pour aller en Europe, mais on ne parle pas de ceux qui sont ici. La migration permet la rencontre et le personnage de Mamadou et de Laura symbolise cette rencontre. Ils créent un troisième espace dans lequel ils construisent une utopie active. Ils essaient de recréer la façon de voir, de négocier, le nom, ce qu’on apporte de sa culture. Souvent, ce n’est pas un regard qui est posé. On pense que ceux qui viennent d’Europe ne cherchent rien. Ce qui n’est pas vrai. Ils se cherchent en fait. Ils profitent de notre société pour pouvoir gagner du sens. Il était important pour moi de parler d’eux et de montrer qu’ils vivent les mêmes problématiques que nous vivons ailleurs. Ce n’est pas mis en lumière parce qu’il y a ce complexe qui fait croire qu’ils vivent bien. Ils n’ont pas forcément tout. Certains sont en quête de quelque chose. Ils ont le matériel et il leur manque l’immatériel, le sens, la profondeur, les choses qui donnent un vrai sens à la vie.
Aussi, on ne parle souvent pas de ceux qui rentrent. On parle plus de ceux qui partent. Pour moi, il était important de parler d’eux.
Dans ce genre de documentaire, les réalisateurs prennent position et dénoncent clairement. Vous, vous vous limitez à montrer des histoires et laissez ceux qui regardent se forger une opinion. La dénonciation est subtile, ‘’innocente’’. Avez-vous peur de dire ce que vous pensez ?
J’ai beaucoup travaillé sur la migration. ‘’Doxandem’’ est mon deuxième film. Le premier racontait la route : le départ et l’arrivée. Ce film est sur le retour. Je ne me considère pas comme un donneur de leçons. Je filme une réalité et je laisse aux spectateurs la liberté d’interpréter et de choisir. Mais les messages des personnages sont clairs. Mamadou (le personnage principal) le dit : on parle d’émigration clandestine, on retient les jeunes ici et on oublie qu’ils ont le droit de voyager. On veut donc dire que tout le monde a le droit de voyager. Si on enlève ce droit aux jeunes, ils trouvent des alternatives. On veut également montrer que l’émigration a d’autres qualités. Elle ne se limite pas à la recherche de gains. Il y a la connaissance, l’expérience, la maturité, etc. Ce sont des aspects qu’on ne développe pas assez. On ne parle pas aussi de la liberté individuelle. On parle plus de la liberté collective. Dans nos sociétés très collectives, on ne laisse pas la place à l’individualité. Mamadou et Laura font preuve d’individualité dans cette société contraignante. Le voyage est une école de liberté où l’humain cherche à se déployer, à se découvrir, à grandir pour revenir faire grandir les siens.
La responsabilité individuelle est également pointée du doigt…
Dans l’individualité, il y a la responsabilité. Quand on fait un choix, on ne peut pas attendre ou accuser les autres. La responsabilité des jeunes Africains reste la leur. On voulait montrer cela, mais également mettre en lumière l’engagement de ces jeunes-là dans leurs communautés qui peut apporter un changement comme Mamadou à Gandiol et plein d’autres dans le Sénégal, mais que les caméras ne montrent pas. Ils font face à des problèmes administratifs, etc., mais ne lâchent pas.
Du point de vue de l’Europe, il y a des responsabilités à situer. On nous parle des morts et autres. Il faut que chacun assume ses responsabilités. Il faut que nous jeunes arrêtions d’attendre du gouvernement ou de qui que ce soit d’autre.
‘’L’avenir du monde se joue en Afrique’’. Cette citation de Felwine Sarr apparaît sur un mort dans le documentaire. Ce n’est pas fortuit. Quel message voulez-vous faire passer ?
L’avenir du monde se joue en Afrique, c’est clair. Les ressources naturelles nous le montrent. Nous avons les ressources les moins perdues, les moins pillées. La jeunesse de notre population est un plus. Dans dix ou vingt ans, sur dix jeunes, les huit ou les neuf seront africains. Il est important que l'on comprenne que l’avenir du monde se joue en Afrique d’un point de vue géopolitique, ressources humaines et ressources naturelles. Cette responsabilité nous incombe. L’Europe nous fait croire que l’avenir se joue ailleurs pour détourner notre regard et venir piller nos ressources, manipuler notre jeunesse. Tout est là, mais parfois, l'œil pour voir a besoin d’un peu de distance. Je souhaite à tous les jeunes Sénégalais et Africains d’avoir la capacité de bouger et de revenir pour voir ce que cette terre leur offre. Voyage ne veut pas toujours dire aller en Europe. C’est aller en Éthiopie, au Burkina Faso, aller à Tambacounda, etc. C’est découvrir des choses. L’école de la route permet d’apprécier ce que l’on a. Quand on rentre chez soi, même si l'on n’a pas d’argent, on revient avec quelque de plus valeureux que l’argent.
Le texte narratif est très poétique, la musique assez particulière. Qui en est l’auteur ?
Le texte, nous l'avons coécrit. Mamadou est poète. Je donne la direction et le laisse faire. C’est un travail collaboratif. Ce film est une œuvre collective. J’ai tenu à tourner avec une équipe jeune et sénégalaise. Le montage a été fait au Sénégal. On a tenu, dans la démarche du film, à donner la chance à des jeunes, qui n’ont jamais eu ce genre d’expérience, de montrer qu’ils sont capables de prendre part à d’aussi grands projets. C’est une belle expérience pour nous tous.
Pour la musique, je les ai toutes composées et j’ai travaillé avec Ibaku. J’ai presque composé un album qui va s’appeler ‘’Doxandem’’ qui est fait de polyphonies sérères. C’est un chant de bravoure pour soutenir tout ce qui est dit dans le film.