Le refus d'une spoliation foncière
Des affrontements entre forces de l’ordre et populations de Ngor ont marqué la journée de ce vendredi. Les heurts, qui ont duré plusieurs heures, ont occasionné la mort d’une personne à Ngor. Une partie de la maison de Farba Ngom a été incendiée.
Alors que beaucoup étaient en fête, vendredi dernier, Ngor vivait une journée d’enfer. Toute la journée, les populations de Tank ont affronté la gendarmerie. Elles promettent de remettre cela, aujourd’hui. La maréchaussée veut construire une brigade à l’entrée de la commune de Ngor, sur un parking de 6 000 m2. Les Ngorois disent niet. Unis comme un seul homme, ils sont descendus dans les rues et ont barré les routes à l’aide d’objets hétéroclites, dont des tables renversées et des pneus brûlés. Les jeunes de Yoff et ceux de Ouakam sont venus leur prêter main-forte. Armés de pierres et de cocktails Molotov, ils ont fait face aux pandores qui ont dû appeler des renforts. Les heurts ont duré plusieurs heures. Il y a eu plusieurs blessés et un mort a été enregistré.
Selon les témoins et les vidéos qui circulent, les gendarmes ont attaqué des manifestants jusque dans les maisons et n’ont pas hésité à tirer des projectiles sur eux. La victime, une vieille dame, serait morte à cause d’une grenade lacrymogène lancée dans le domicile où elle se trouvait.
Face à la colère des manifestants, la maison de Farba Ngom a été attaquée et brûlée. Il n’y avait personne dans la maison du député membre de la coalition Benno Bokk Yaakaar. Ce dernier serait impliqué dans plusieurs conflits fonciers à Dakar, ce qui est à l’origine de la frustration des jeunes.
À noter que lors des manifestations, des individus armés en tenues civiles ont tiré des balles en direction des manifestants, d’après des vidéos largement diffusées sur les réseaux sociaux. ‘’Si les Ngorois n’ont pas la paix, aucune autorité qui habite dans la commune de Ngor ne doit vivre en paix. La commune de Ngor a trop souffert de l’injustice. Après le remembrement des Almadies, c’est le bradage des terres de l’ancien aéroport, sans donner la possibilité aux autochtones d’en bénéficier. Je peux donner plusieurs noms de responsables du régime qui bénéficient de terrains sur l’espace aéroportuaire. La densité de la population est de 10 000 habitants au kilomètre carré’’, menace un jeune.
Pour calmer la situation, il a fallu l’intervention de certains chefs coutumiers dont El Hadj Babou Samb.
La genèse de cette affaire
Comment tout ça est arrivé ? Si on en est là aujourd’hui, c’est parce que la gendarmerie de Ngor est hors service, depuis le dernier hivernage. Les gendarmes ont ainsi décidé, le 1er mars dernier, de déplacer le poste à Ouakam. Mais les autorités de la commune n’étaient pas d’accord. ‘’On s’est tous levés pour dire que ce n’est pas possible, vu l’insécurité qui règne, notamment à Ngor. On a demandé aux gendarmes de revenir. Ils nous ont fait comprendre que toutes les conditions ne sont pas réunies. Ainsi, pour rester, ils nous ont demandé un terrain plus approprié pour y construire un poste sur fonds propres’’, explique le maire de Ngor Maguèye Ndiaye.
Lors de cette réunion avec la gendarmerie, alors que les autorités communales prenaient le temps d’identifier un lieu, le colonel Abdou Mbengue a porté son choix sur le parking en face de la Brioche dorée de Ngor. Mais les autorités communales et coutumières ont proposé d’autres sites différents. ‘’Le soir du 2 mars, le colonel est revenu pour obtenir 500 m2 sur le parking. Je lui ai expliqué qu’il n’y a plus d’espace à Ngor’’, indique Maguèye Ndiaye.
Ainsi, d’après l’édile, le général Moussa Fall leur avait parlé d’une installation de brigade provisoire avec des conteneurs. Mais sans aviser, les pandores ont fait une descente sur les lieux avec l’intention de tout occuper.
‘’A notre grande surprise, dimanche dernier, la gendarmerie est venue déposer sur le site du béton, une grande quantité de ciment et du fer. En tant que maire, je n’étais pas informé. Le soir, vers 23 h, on m’appelle pour me dire qu'il y a des gens qui sont en train de poser des briques. Le lendemain, ils ont commencé à creuser, sans que je ne sois informé. J’appelle le Jaraaf et l’imam au téléphone, mais tous les deux m’ont dit qu’ils n’étaient pas au courant. Donc, toutes les autorités coutumières qui étaient à la réunion n’ont pas été avisées’’, regrette M. Ndiaye, qui a décidé d’aller jeter un coup d’œil sur le chantier en compagnie des chefs coutumiers et religieux.
‘’On est allé sur les lieux pour constater et voir sur quelle base légale ils décident de construire. On nous a sommés de déguerpir. Les gendarmes ont commencé à tirer des lacrymogènes sur l’imam, le Jaraaf et moi’’, témoigne le maire.
Dénonciations
Devant la tournure des événements, les populations de Ngor ont décidé de s’ériger contre l’érection de cette brigade de gendarmerie à cet endroit, car elles déclarent avoir des priorités autres que la question sécuritaire.
En effet, alors que la population ne cesse de gonfler, cette commune n’a ni CEM ni lycée. Or, en termes de budget, elle arrive en deuxième position.
D’ailleurs, en marge de la prière de l’Eid El Fitr, l’imam de Ngor a tiré à boulets rouges sur les autorités et les forces de l’ordre. ‘’Ce qui s’est passé à Ngor, ce vendredi, tout le monde l’a vu. Ces derniers jours, la population de Ngor a vécu des moments durs. Ils sont venus récupérer nos biens, brimer la population qui réclame ce qui lui appartient’’, peste-t-il. ‘’Ils nous ont empêchés d’effectuer la prière du vendredi, avant de lancer des grenades lacrymogènes dans la mosquée et le cimetière. Ce qui est anormal dans ce pays, surtout pour des populations qui ne font que réclamer leurs biens’’, poursuit-il.
Condamnations de la classe politique
Ainsi, les réactions se multiplient pour dénoncer ce qui se passe à Ngor. Thierno Alassane Sall a réagi sur Twitter. Il dénonce le recours systématique à la répression qu’il assimile à Gaza. ‘’Pour une fois, de mémoire de Ngorois, il n'y a pas eu de prière de vendredi à Ngor où l'on se croirait à Gaza. RV-Reewum Ngor dénonce le recours systématique à la répression, face à des populations qui revendiquent un espace vital rendu exigu par la boulimie foncière’’, regrette le président de la République des valeurs (Réewum Ngor).
Avant lui, l’ancien maire de Dakar a fustigé les violences exercées sur les populations et a appelé à la paix. ‘’Je suis profondément préoccupé par les affrontements notés dans la commune de Ngor. Je dénonce vigoureusement les violences commises contre les populations’’, indique le président de Taxawu Sénégal. Khalifa Sall d’ajouter :’’Je regrette, également, les cas de blessés enregistrés et apporte mon soutien aux autorités municipales et coutumières. J’en appelle à un dialogue constructif entre les différentes parties pour trouver une solution à ce problème et préserver la paix, l’harmonie et le vivre-ensemble.’’
BABACAR SY SEYE