La plume et l’encre au service d’une communication politique
À l’approche de la présidentielle, beaucoup de candidats s’essayent à la publication de livres-programmes pour essayer de se démarquer de la grande masse des autres candidats et faire connaître leurs idées politiques. Néanmoins, ce choix de l'écriture dans un pays où le vote est plus affectif que rationnel interroge sur le rapport de nos politiques avec la plume.
Après Boubacar Camara et Abdourahmane Diouf, c’est au tour de Mame Boye Diao de se prêter au cérémonial du livre-programme. Le maire de Kolda et candidat déclaré à l’élection présidentielle a synthétisé à travers ‘’Le Sénégal qui vient’’, dont il a tenu la séance de dédicace le samedi 25 novembre, sa vision et les axes de son programme de gouvernance politique au Sénégal. L’ancien directeur de la Caisse des dépôts et consignations (CDC) entend, à travers cette nouvelle méthode, exposer ses idées, se démarquer de la masse. Le responsable politique de Kolda fait un état des lieux du secteur primaire (agriculture, pêche…) et la dernière partie de son livre est consacrée à la refondation du pays.
Quelques mois plus tôt, Boubacar Camara, économiste et ancien directeur général des Douanes, de s’essayer à cet exercice. Le candidat à l’élection présidentielle avait aussi procédé à la présentation de son livre-programme pour la présidentielle de 2024, le 15 janvier 2023. Dans cet ouvrage de 298 pages et découpé en neuf chapitres, le leader du Parti pour la construction et la solidarité (PCS)/Jengu Tabax, expose ses propositions pour construire le Sénégal du futur. Selon lui, chaque proposition de ce livre-programme a fait l’objet d’études de recherche approfondies depuis 2015. L’ouvrage balaie tous les secteurs de l’économie nationale et la refonte de l’Administration publique.
Abdourahmane Diouf, président du parti Awalé, avait profité de la cérémonie de dédicace de son nouveau livre ‘’Démocratie de concordance’’, pour officiellement lancer, le 30 octobre 2021, son nouveau parti politique à la place du Souvenir africain. Dans ce livre, l’ancien directeur général de la Sones a décliné les grands axes de son projet d’instauration d’une nouvelle République sénégalaise basée sur nos propres valeurs et réalités sociétales. Et cette semaine, il va encore présenter onze ouvrages qu'il a écrit au cours d'une cérémonie.
Selon plusieurs observateurs de la vie politique sénégalaise, cette volonté des politiques de prendre la plume répond à un besoin de suivre les pas d’Ousmane Sonko qui a bâti une partie de sa popularité dans la publication de plusieurs ouvrages : ‘’Solutions pour un Sénégal nouveau’’, ‘’Pétrole et gaz au Sénégal. Chronique d’une spoliation’’ et ‘’Territoires du développement’’. L’avant-dernière publication du maire de Ziguinchor qui a entretenu pendant plusieurs mois le débat public autour de la gestion de nos ressources naturelles.
Le chef de l’État n’est pas en reste. En décembre 2018, Macky Sall publie son autobiographie ‘’Sénégal au cœur’’ où il retrace son parcours, parle de sa famille et des événements récents au Sénégal.
Pour Seydi Sow, éditeur aux Éditions Salemata, cette volonté de nos politiques de prendre la plume doit être encouragée, dans la mesure où les Sénégalais sont en attente de ce genre d’ouvrage. ‘’Pour le moment, je n’ai pas été approché pour publier les livres-programmes, mais c’est une belle initiative de voir nos politiques s'essayer à l’écriture. Le livre leur permet de dresser les contours de leur pensée politique et de susciter le débat. Ils peuvent même s’enrichir de débats contradictoires émanant de ce livre. On doit exiger de chaque politique qui veut diriger ce pays de publier au moins un livre’’, soutient-il. D’autant plus, ajoute-t-il, c’est très rentable commercialement pour la maison d’édition.
Quant au peu d’enthousiasme de nos concitoyens face à tout ce qui ressemble à un programme écrit, l’éditeur se veut optimiste : ‘’Je crois que les gens lisent ce qu’ils ont envie de lire. Contrairement à l’oral, le livre est un élément froid qui peut susciter l’échange et l’interaction entre le candidat et l’électeur dans un climat apaisé de dialogue et d’échange’’, dit-il.
Ibrahima Bakhoum, politologue : “Le bouquin peut permettre d’enrichir le débat politique et d’ouvrir des pistes de réflexion pour les générations futures.”
Même son de cloche du côté du politologue Ibrahima Bakhoum qui indique que le livre est un instrument de communication qui ne peut à lui seul parler à tous les Sénégalais. ‘’Le livre est un bel instrument pour établir un débat et faire des synthèses sur les différentes aspirations du candidat. Il permet de toucher, à travers l’expression de différentes idées, certaines personnes parmi la masse silencieuse et qui à leur tour pourront le vulgariser. C’est une bonne chose pour nos politiques qui, à travers le livre, lèguent quelque chose à la postérité. Néanmoins, le livre ne vous dispense pas d’aller au contact, car il ne faut pas oublier qu’au Sénégal, le vote est plus affectif que rationnel’’, affirme-t-il.
Poursuivant son propos, l’analyste politique renseigne que dans un monde où l’on convoque tout le temps le savoir et la connaissance, il est important pour le politique de laisser une empreinte durable et solide de ses idéaux dans un livre. ‘’Le bouquin peut permettre d’enrichir le débat politique et d’ouvrir des pistes de réflexion pour les générations futures. Ces dernières peuvent s’approprier les idées d’un politicien dans cinq ou 10 ans. Un politique, même s’il n’est pas élu, les idées énoncées dans un livre peuvent fleurir à long terme et s’avérer bénéfiques pour lui lors d'échéances électorales futures’’, déclare-t-il.
MAMADOU MAKHFOUSE NGOM