Les malheurs de Macky
Macky, le gaz, le pétrole et les autres
La malédiction du pétrole, comme le redoutait Abdoulaye Wade quand lui firent exposer les résultats prometteurs des explorations de pétrole sur le plateau continental du Sénégal, a-t-elle, déjà, frappé ?
Il y a une forte odeur de gaz et de pétrole dans le champ politique sénégalais et qui, en partie, explique pour beaucoup la rudesse des affrontements politiques et la cristallisation des antagonismes si menaçants et destructeurs pour la cohésion nationale et la stabilité du pays. Ce qui aurait dû être la bonne fortune de Macky Sall avec le début de l’exploitation des ressources gazières et pétrolières que ses trois prédécesseurs n’ont pas connue est, aujourd’hui, à la base de sa mauvaise posture politique dans son camp et dans l’opposition.
Pour un président élu par deux fois par le suffrage universel et qui a été le plus grand investisseur et bâtisseur parmi les quatre présidents qui ont exercé un magistère suprême depuis 1960, les appétits et les ambitions pour le contrôle de la prochaine manne pétrogazière du pays l’ont installé dans la peau de l’homme à abattre.
Ainsi, vit-il dans le silence, la solitude et surtout la désertion ce que le général De Gaulle a dit être le lot de tout monarque républicain. À savoir, être victime de la solitude et de l’ingratitude quand vos semblables pensent que votre pouvoir est à son terme ou que vous êtes à bout de souffle. Et dans le cas précis de Macky Sall, un autre de ses malheurs est d’être contaminé par le syndrome du ‘’canard boiteux’’ (Naked duck) comme le disent les constitutionnalistes et les politologues américains.
Au pays du blues, du gospel et du jazz, remarque a été faite depuis longtemps sur les infortunes qui frappent tout président américain bénéficiaire d’un second mandat dans la seconde moitié de celui-ci. Il est, alors, souvent observé dans la deuxième partie du second mandat d’un président américain un manque d’obéissance parmi certains de ses collaborateurs, une guerre de petits chefs autour de lui pour sa succession et pour couronner le tout, une recrudescence de la déloyauté, de la trahison et de la désertion.
Nul doute que ce syndrome du ‘’canard boiteux’’ a frappé en plein dans le mille au cœur du pouvoir de Macky Sall. Le président qui a vu, sous son magistère, le budget national passé de trois mille milliards à près de huit mille milliards en douze ans avec un taux de croissance supérieur à 6 % sans interruption sur près de dix ans, devrait plutôt être plébiscité comme un performeur qui prend trop tôt sa retraite. Ses succès à lui ont fait son malheur et sa réussite a aiguisé les appétits et rendu les ambitions plus féroces et redoutables au point que tout le reproche qui lui est fait porte sur un bilan dit ‘’immatériel’’ où il serait moins performant que sur le registre économique et social.
Ce n’est peut-être pas faux en partie, mais pour autant, la balance lui est-elle défavorable ? Ou alors, comme le dit une certaine morale, ne cède-t-on pas seulement à l’ingratitude en procédant comme avec celui qui veut noyer son chien et qui l’accuse de rage et qui veut, donc, que l’on jette le bébé avec l’eau du bain !
Où va le Sénégal ?
Cette célèbre interpellation est bien connue de certains acteurs politiques, intellectuels et universitaires du pays. Elle a fait florès durant les années 1970, au plus fort moment de contestations de l’impérium du président Senghor sur le Sénégal alors sous domination du Parti socialiste. Cette interpellation est, de nouveau, sur la table, car avec la décision prise de faire reporter l’élection présidentielle de février à décembre 2024, le président Macky Sall convie à un banquet des intelligences et des générosités afin de faire sortir le pays du blocage dans lequel il s’est englué et qui risque de nous embourber.
Nul doute, de mon point de vue, que cette agora pourrait prendre les allures d’une conférence nationale, car le pays, au-delà du blocage politique, a aussi besoin de la négociation d’un nouveau contrat social pour régir de nouveaux comportements sociaux sur le vivre-ensemble.
Le président Sall cherche à obtenir la paix des braves avant d’aller à la prochaine consultation pour élire le 5e président de la République, mais aussi pour être en règle et en conformité avec son serment de veiller à la bonne marche du pays, à sa stabilité, à sa cohésion et à sa sécurité. Tout le pays, toute la société dans sa diversité et ses différences, mais avec toutes ses composantes ont intérêt à la tenue de ces échanges, à leur bonne organisation et à l’obtention d’un consensus sur la marche à suivre et les étapes à mettre en place pour une sortie intelligente et pacifique de la situation actuelle. Toutes les guerres se terminent autour d’une table de négociations, a-t-on l’habitude de dire, mais l’erreur serait de croire que seule la politique est à la base de la détérioration du climat social qui fait craindre toutes les dérives et les surenchères.
Cela fait plus d’une décennie que des sociologues, des anthropologues et autres spécialistes alertent le pays sur la mauvaise santé de notre société. Et celle-ci revêt plusieurs aspects, plusieurs couleurs, frappe dans tous ses segments et la situation politique ne sert que d’exutoire et de révélateurs à cela. Le pays va mal, comme le chante le rasta ‘’poué’’ ivoirien Tiken Jah Fakoly au plus fort moment de la confrontation entre le président Gbagbo et le Premier ministre Alassane Ouattara. Il faut s’en souvenir et se rappeler que le défaut de générosité et l’hypertrophie des ego ont plongé la Côte d’Ivoire, ce beau et magnifique pays, dans une guerre civile avec une partition entre le Nord et le Sud. Dix ans après la résolution de la crise politique ivoirienne, ce pays peine, encore, à effacer tous ses stigmates, même si elle est redevenue incontestablement la locomotive de l’UEMOA et la deuxième puissance économique de l’Afrique de l’Ouest après le Nigeria et avant le Ghana.
Nous avons intérêt à aller au dialogue, à négocier et à trouver des consensus pour éradiquer les tares d’une société trop ostentatoire et dépensière, qui empêche la constitution d’une épargne nationale forte et solide pour le financement de l’économie nationale, installant, ainsi, l’État dans une posture de faiblesse devant le capital étranger, car toujours dépendant des investissements bilatéraux ou multilatéraux.
Il serait aussi opportun, lors de ces assises, de dépoussiérer les actes de la Commission nationale de réformes des institutions (CNRI), de se pencher sérieusement sur l’école sénégalaise qui a atteint des limites et qui a besoin des réformes radicales.
Le report d’une élection ne saurait, alors, être une ligne rouge à ne pas franchir, car depuis l’ère socialiste, en passant par l’époque ‘’sopiste’’, des élections locales et législatives ont toujours fait l’objet de report sans que cela ne soit un prétexte pour tenter de brûler le pays.
Et d’ailleurs, contrairement à la légende urbaine actuelle, ce report de la Présidentielle 2024 de février à décembre n’est pas une première depuis l’indépendance.
Pour rappel, après avoir évincé Mamadou Dia en décembre 1962 et s’être fait élire par l’Assemblée nationale comme président de la République, le président Senghor a repoussé l’élection présidentielle de décembre 1967 à mars 1968. Le président-poète a pris prétexte du changement du mode de scrutin, car passant d’une élection au suffrage indirect, par le biais des députés, à celui d’un suffrage universel par le vote direct des électeurs comme raison.
Peut-être, faut-il dire par-là, il y avait, toujours, une permanence de l’influence de la France sur la vie de ses anciennes colonies, le suffrage universel par le vote citoyen venait d’être installé en France en 1965 par le général De Gaulle, après la fin de son premier mandat obtenu avec le vote des parlementaires de la IVe République dite celle des partis et que la nouvelle Constitution française rédigée sous la direction du professeur Michel Debré dite celle de la Ve République enterrée. À la suite du général De Gaulle, tous les présidents francophones, admirateurs de son œuvre et de son action, adoptent, alors, le mode de scrutin au suffrage direct de la nouvelle République française.
Senghor en fit de même avec le changement du mode de scrutin pour l’élection du président de la République. D’où le report, alors, de 1967 à 1968.
Abdoulaye Bamba DIALLO
PS : L’APR est-il un parti ? L’isolement et la solitude du président de la République est tout de même une question incontournable. De 2012 à maintenant, le nombre de personnes qui ont bénéficié de sa signature pour obtenir sinécures et prébendes sont des milliers et pourtant, s’il est incontestable que tout le monde, dans sa majorité, reconnaît son pouvoir, en retour, il me semble que Macky Sall n’a pas un régime. Peut-être une armée mexicaine avec beaucoup d’officiers généraux et de nombreux officiers de rang, mais pas de troupes pour aller avec lui au combat.
À une époque avec le Parti socialiste, à chaque fois que le président de la République ou son gouvernement faisait face à une situation difficile ou traversait une période de turbulences, les sections communales, départementales et régionales du PS rivalisaient de déclarations de soutien avec des motions venant de toutes les instances du parti.
L’évanescence de l’APR tient-elle, donc, seulement à sa non-structuration depuis sa création en 2008 ?