Mystère autour d’un document fantôme
Bien que cité dans les visas des différents décrets relatifs aux attributions des ministères, le décret sur la répartition des services, supposé être pris depuis le 5 avril, est toujours absent de tous les circuits administratifs. La plupart des hauts fonctionnaires interpellés disent ne pas l’avoir vu. Certains ont saisi le Secrétariat général du gouvernement, en vain.
Mais où est donc le décret portant répartition des services de l’État ? C’est la grande question que l’on se pose chez la plupart des puristes de la haute administration. ‘’EnQuête’’ a essayé de se renseigner en se rapprochant de plusieurs services centraux. Le constat est unanime : ‘’Personne n’a encore vu ce fameux décret de répartition des services. Nous attendons encore sa publication’’, confie ce fonctionnaire non sans préciser qu’ils ont saisi le Secrétariat général du gouvernement pour savoir si ledit décret est publié, mais ils ont dit que ce n’est pas encore le cas.
Pourtant, le texte, qui n’est pas encore publié, figure dans le visa des différents décrets relatifs aux attributions des différents ministères. Il en est ainsi du décret 2024-946 sur les attributions du ministère de l’Énergie, du Pétrole et des Mines qui vise : la Constitution, le décret 2024-921 du 2 avril 2024 portant nomination du Premier ministre, le décret 2024-939 du 5 avril 2024 portant nomination des ministres et secrétaires d’État et fixant la composition du gouvernement, et enfin le décret 2024-940 du 5 avril 2024 portant répartition des services de l’État et du contrôle des établissements publics, des sociétés nationales et des sociétés à participation publique entre la présidence de la République, la primature et les ministères.
Les experts en accord sur l’irrégularité de viser un décret non publié, mais divisés sur le reste
‘’Comment ils peuvent publier les décrets sur les attributions des ministères sans celui sur la répartition des services ? Pourquoi le décret sur la répartition des services pris depuis lors, selon leurs propres dires, n’est pas encore publié ?’’, s’interroge ce puriste sorti de l’École nationale d’administration qui estime que c’est une anomalie et une irrégularité qu’il faut corriger le plus rapidement possible.
Si, pour la seconde question, nos interlocuteurs s’accordent à reconnaitre une irrégularité, pour la première, les points de vue divergent.
En vérité, explique ce haut fonctionnaire, ce n’est pas un problème que les décrets sur les attributions puissent être publiés avant celui sur la répartition des services, même si la pratique nous a habitués à l’inverse. ‘’On peut comprendre que tout n’est pas encore en place et que c’est pourquoi le décret de répartition n’a pas encore été publié. Pour assurer le fonctionnement normal des services, on a pris les décrets relatifs aux attributions. Il n’y a rien d’illégal...’’
Toutefois, enchaine-t-il, ce qui est un peu incompréhensible, c’est le fait qu’ils l’aient mis dans les visas des décrets relatifs aux attributions. ‘’Ils ne devaient pas le mettre dans le visa, puisqu’il n’a pas encore fait l’objet de publication’’.
Les sources de conflits pouvant retarder la publication du décret
Mais ce point de vue ne fait pas l’unanimité. D’autres soutiennent que c’est parce que le décret sur les attributions doit s’adosser à celui portant répartition des services qu’ils l’ont mis dans le visa, alors même que personne ne l’a vu, non sans ajouter que ‘’l’une des conditions d’applicabilité d’un décret est qu’il soit publié dans le Journal officiel. Et ce qui est clair, et tous les services en conviennent, c’est que le texte est absent du circuit. C’est anormal de l’utiliser dans les visas’’.
Mais en l’absence du décret de répartition, sur quoi on s’est basé pour fixer les attributions des différents ministères ?
Selon le premier interlocuteur qui soutient que la pratique n’est pas illégale, ‘’les attributions des ministères peuvent être fixées à partir de la vision et des grandes orientations du président de la République, tenant compte des fonctions traditionnelles des différents ministères et de la nécessité de la continuité de l’État’’.
Sur les lenteurs dans la publication du décret de répartition, tout en prônant plus de célérité dans les procédures, il renseigne que c’est loin d’être une nouveauté : ‘’Il est arrivé, par le passé, de constater une certaine lenteur dans l’élaboration de ce texte. Mais on espère qu’ils vont vite le finaliser et le rendre accessible.’’
D’autres interrogent la pertinence de mettre un fonctionnaire de la BCEAO au Secrétariat général du gouvernement. ‘’On se rend compte que la nomination d’un agent de la BCEAO au Secrétariat général du gouvernement est une erreur. Il n’est pas de l’Administration et ne connaît pas les procédures’’, désapprouvent certains.
Al Aminou Lo et Abdourahmane Sarr, des choix en question
D’habitude, ce sont les arbitrages et certains caprices des fonctionnaires qui font que la répartition n’est pas toujours une chose aisée. C’était le cas entre Abdoulaye Daouda Diallo (ministre des Finances et du Budget) et Amadou Hott (ministre de l’Économie, des Finances et du Plan). Sous le duo Amadou Ba-Bibi Baldé (Plan) également, il y a eu quelques difficultés avec des fonctionnaires peu enclins à quitter les Finances où il y a plus d’argent avec les fonds communs.
Abdourahmane Sarr et Cheikh Diba échapperont-ils à cette loi des séries ? La question se pose avec acuité au niveau des régies. ‘’Nous savons tous que Sarr s’est positionné surtout sur la monnaie ; Ousmane Sonko le cite souvent sur ces questions-là, alors que cette question, traditionnellement, est gérée par les Finances. Il ne peut avoir de mainmise sur cette question’’, explique ce fonctionnaire des régies. Il en serait de même de la dette.
À en croire notre interlocuteur, ‘’lors de la passation de service, le nouveau ministre a fait tellement de développements, alors que traditionnellement, c’est le ministère des Finances… Habituellement, ce sont des questions qui sont sujettes à des tiraillements entre techniciens. Cela peut générer parfois certaines lenteurs’’.
L’autre interrogation, c’est par rapport à la répartition des services entre la présidence de la République et la primature. Autant de questions qui doivent être prises en charge par le décret de réparation des services. ‘’Tant qu’on ne s’entend pas sur ces questions, cela va rendre difficile le travail. Il en est de même pour la dette’’, confie la source.
MOR AMAR