Publié le 2 Aug 2024 - 10:24
AUDIT DE LA DGPU (2017-2020)

Des irrégularités administratives et financières

 

La Cour des comptes a réalisé un audit de la Délégation générale à la Promotion des pôles urbains de Diamniadio et du lac Rose (DGPU). Les résultats mettent en évidence des irrégularités administratives et financières. Durant la période de l’audit, Seydou Sy Sall et Diène Farba Sarr étaient les deux délégués.

 

La Délégation générale à la Promotion des pôles urbains de Diamniadio et du lac Rose (DGPU) a été créée par le décret n°2014-23 du 9 janvier 2014. Elle a reçu les magistrats de la Cour des comptes. Durant la période sous contrôle, les fonctions de délégué général ont été respectivement assurées par Seydou Sy Sall, nommé le 26 septembre 2013, et Diène Farba Sarr, nommé le 19 septembre 2019.

En effet, pour concrétiser sa volonté de réaliser les nouveaux pôles urbains, l'État du Sénégal, selon le rapport parcouru par ‘’EnQuête’’, a affecté à la délégation des assiettes foncières de 1 644 ha et 7 000 ha dans les sites respectifs de Diamniadio et du lac Rose. En dehors des équipements publics et des voies et réseaux divers à sa charge, la DGPU a pour mission de contracter avec des opérateurs pour la réalisation des projets planifiés dans les différents arrondissements.

Selon le document, le Conseil d'orientation (CO) de la DGPU s'est régulièrement réuni durant la période sous revue. Or, à l’examen, il s’avère que son mandat est arrivé à terme depuis plus de trois ans. Bien que ce mandat soit arrivé à terme le 7 septembre 2017, sans être renouvelé, le président du conseil, soulignent les magistrats de la Cour des comptes, n’a pris aucune mesure pour en informer la tutelle. Alors que l’exercice, par un administrateur, d’un mandat arrivé à terme expose la délégation à des risques de conflit, car les délibérations peuvent être contestées par les parties concernées, en particulier si les opérations engagent le patrimoine foncier et financier dudit organisme.

Selon toujours le rapport, dans sa réponse parvenue à la cour le 2 mai 2023, le président du conseil indique qu’une correspondance avait été envoyée en septembre 2018 à la tutelle pour l’informer de la situation, mais qu’elle est restée sans suite. Sauf qu’il n’a pas produit une copie de ladite correspondance.

À cela s’ajoute que les deux représentants du secteur privé n’ont jamais participé ensemble aux séances du conseil.

Dysfonctionnement dans le contrôle de la gestion des deux délégations

Le rapport apprend, en outre, que par décision n°264/DGPU/SG du 20 février 2020, le délégué général a nommé un auditeur interne et contrôleur de gestion du nom de M. Mendy. À cet effet, il était chargé d’évaluer périodiquement le système de contrôle interne et de management des risques ainsi que de mettre à jour les procédures opérationnelles.

Or, malgré cette nomination, M. Mendy n’a exécuté aucune activité relative à sa mission. Alors que, selon la Cour des comptes, le fait de confier les fonctions d’audit interne et de contrôle de gestion à un seul agent constitue un cumul de fonctions incompatibles. Puisque le contrôle de gestion, en plus d’assister la direction générale dans la planification stratégique et opérationnelle, assure le suivi de l’exécution budgétaire et participe à la production des indicateurs et des tableaux de bord.

Ainsi, ses activités entrent naturellement dans le champ de contrôle de l’audit interne qui doit les surveiller et les apprécier. Alors que l’auditeur interne ne doit aucunement s’immiscer dans les activités opérationnelles.

Un audit interne fictif

Pire, depuis sa création en janvier 2014 jusqu'à mai 2020, le poste d’audit interne n’a pas été pourvu à la DGPU, alors qu’il devrait être le garant de l’efficacité du système de contrôle interne.

Selon le rapport, à l’instar des organismes publics, la DGPU est tenue d’instaurer un dispositif de contrôle interne et d’élaborer un manuel de procédures dont l'application fait l'objet d'un suivi permanent par un auditeur interne et d'une évaluation par l'organe délibérant.

Malheureusement, les dispositions du décret n°2014-23 du 9 janvier 2014 portant création, organisation et fonctionnement de la DGPU ainsi que le manuel de procédures élaboré en 2015 sont, tous les deux, restés muets sur la fonction d’audit interne qui n’existe que de nom.

Il apparaît, dès lors, que l’évaluation du dispositif de contrôle interne indispensable à la maîtrise des risques est totalement inexistante.

Ainsi, au sein de la DGPU, l’auditeur interne et contrôleur de gestion ne participe à aucune des différentes étapes du processus budgétaire. Alors que son intervention est gage d’efficience dans l’utilisation des ressources par la production de tableaux de bord comportant des indicateurs sur l’évolution de l’activité.

Les opérateurs doivent 12 milliards F CFA à la DGPU

Par ailleurs, le rapport pointe des insuffisances dans la mobilisation des ressources financières et des difficultés récurrentes à mobiliser les subventions de l’État. Les auditeurs en veulent pour preuve le taux de mobilisation global des ressources prévues qui a chuté de 47 % à 2 %, entre 2017 et 2018, avant d’augmenter à 49 % en 2019 puis à 53 % en 2020.

Selon le rapport, cela cache des disparités et des faiblesses. Le document renseigne que les transferts en capital à travers le budget consolidé d’investissement (BCI) et les subventions d’exploitation ont été faiblement mobilisés.

En effet, excepté les exercices 2017 et 2020 où le taux de mobilisation a franchi la barre des 50 %, la DGPU a rencontré des difficultés pour réaliser ses prévisions de ressources. ‘’C’est en 2018 que le taux est le plus faible avec seulement 1 %, du fait que l’État n’a pas respecté son engagement de verser les 28,5 milliards F CFA inscrits dans le budget approuvé. Il faut aussi y ajouter que les transferts en capital ont baissé d’année en année, en passant de 16 milliards à 1,8 milliard F CFA durant la période sous revue. En revanche, même si la délégation a mobilisé la totalité des fonds prévus pour son exploitation en 2018 et 2019, les taux de mobilisation de 2017 et 2020 sont respectivement de 50 % et 75 %’’, informe le rapport.

Les auditeurs ajoutent qu’au total, les opérateurs, toutes catégories confondues, doivent à la DGPU les montants de 3,5 milliards F CFA au titre des loyers et 7,8 milliards F CFA au titre des participations financières aux travaux. Soit des ressources propres estimées à presque 12 milliards F CFA.

Sur l’ensemble des exercices sous revue, les taux de recouvrement des loyers et des participations financières, poursuit le document, n’atteignent pas le quart (25 %) des créances dues. Cela montre, dit-on, que le délégué général, l’agent comptable ainsi que la Société civile professionnelle d’avocats (SCPA) MAG et associés, avec laquelle la DGPU a signé, le 7 février 2020, une convention de représentation, n’ont pas été en mesure de recouvrer intégralement ces créances.

Toutefois, renseigne-t-on, la SCPA a effectué 24 commandements de payer, une saisie-attribution de créances et signé quatre protocoles ayant permis d’encaisser les montants respectifs de 1 099 435 730 F CFA et 1 490 583 930 F CFA en 2020 et en 2021, soit un total de 2 590 019 660 F CFA.

De plus, elle a introduit une procédure contentieuse de recouvrement contre huit opérateurs le 20 août 2020 et le 13 octobre 2022.

Mais aucun de ces dossiers n’est encore vidé, en raison du défaut de production des justificatifs complémentaires à la SCPA. Les montants en cause sont estimés à 3 421 525 947 F CFA, renseigne le rapport.

Ainsi, on apprend qu’au total, 62 attributions ont été faites à des opérateurs pour accueillir des équipements publics ou privés sur des surfaces cumulées de 4 110 309 m². Mais aucun de ces opérateurs ne participe aux travaux de VRD, alors qu’ils ne disposent pas de décret de dispense. Sur la base des tarifs de l’arrêté 693, le manque à gagner est estimé à plus de 15,6 milliards F CFA par an.

En effet, selon la Cour des comptes, en sa qualité d’entité autonome disposant d’une personnalité juridique différente de celle de l’État et des autres organismes publics et privés, la DGPU ne peut affecter son patrimoine foncier sans demander, en contrepartie, le paiement des participations aux structures n’y étant pas dispensées par l’autorité compétente, en l’occurrence le président de la République.

Les auditeurs indiquent, ainsi, que si la DGPU fait les diligences appropriées, elle peut collecter annuellement auprès des développeurs immobiliers, lotisseurs-constructeurs et constructeurs individuels ne bénéficiant pas de dispense les montants respectifs de 8 930 117 900 F CFA, 6 624 930 000 F CFA et 117 380 000 F CFA, soit globalement 15 672 427 900 F CFA.

Ainsi, la DGPU disposerait ainsi d’une capacité d’autofinancement suffisante pour faire face aux charges inhérentes à la réalisation des travaux de VRD.

Des affectations erratiques et nébuleuses

Sur le plan organisationnel, le document apprend que l’organigramme adopté par la résolution n°2019-CO-05 du 21 décembre 2019 a été appliqué à partir de l’exercice 2020 avec plusieurs postes de direction assurés par intérim. Il s’agit des directions administrative et financière, de la promotion des partenariats et des financements, et de la planification urbaine et des aménagements. Ce n’est qu’en 2022 que les gestions intérimaires des directions ont été corrigées, à l'exception de celle de la Direction de la planification urbaine et des aménagements qui perdure, selon le rapport.

Par ailleurs, le contrôle physique du personnel et les entretiens ont révélé que certains agents sont affectés dans des directions sans fiches de poste.

Le rapport souligne aussi que les dépenses de fonctionnement ont fortement évolué, passant de 1,3 à 2,09 milliards F CFA, entre 2017 et 2020, soit un taux d’accroissement de 61 %. La part des dépenses de personnel dans le fonctionnement est passée de 49 % à 68 %.

Assainissement des eaux usées et pluviales

Par ailleurs, selon le rapport, le Programme d’urgence d’assainissement des eaux usées et pluviales enregistre un taux d’exécution significatif de 70,26 %, à la fin de l’année 2022. Le réseau d’assainissement des eaux usées doit comporter 12 km linéaires de canaux de drainage vers la station d’épuration existante et trois stations de refoulement. Pour les eaux pluviales, en plus de l’aménagement des lacs devant accueillir ces eaux, il est prévu un réseau de 4 km linéaires de canaux de drainage et trois stations de refoulement.

Les travaux de terrassement, de préfabrication des regards, de transport des latérites, d’installation des tuyaux de drainage des eaux, des accessoires et des radiers des systèmes de pompage sont en cours. ‘’Cependant, le cahier des charges n’a pas pris en compte la suggestion de l’Onos, lors de la réunion du 21 septembre 2018, de mettre en place une distribution gravitaire en lieu et place des stations de pompage. De même, l’étroitesse de la station de traitement des eaux usées est soulignée lors des rencontres avec les responsables de la DGPU. D’ailleurs, lors de sa session du 20 novembre 2020, le conseil d’orientation avait signalé l’urgence de son extension’’, renseigne le rapport.

Les conclusions du rapport

La DGPU a été dotée d’un immense patrimoine foncier s’étendant sur 8 644 ha. À l’examen, même si d’importantes réalisations ont été faites, des insuffisances majeures sont relevées et il importe de les corriger rapidement.

D’abord, soulignent les auditeurs, l’exercice des missions d’orientation et de contrôle du conseil d’orientation est plombé par sa composition obsolète, le défaut de prise en charge d’une bonne partie de ses prérogatives ainsi que l’absence de relations fonctionnelles avec le Comité consultatif des programmes et des projets (CCPP).

Ils notent aussi que la gestion des ressources humaines comporte des risques réels issus de l’application de la grille de rémunération et de l’organigramme sans arrêté présidentiel de validation. S’y ajoute le gaspillage de ressources né de l’affectation de plusieurs agents dans les services, sans fiches de poste indiquant clairement leurs attributions.

Selon toujours le rapport, la léthargie du dispositif d’audit interne et de contrôle de gestion n’est pas de nature à faciliter l’identification précoce des risques et la mise en place des moyens de mitigation appropriés. À cela s’ajoute l’inexistence d’un cadre de concertation fonctionnel et inclusif devant mettre en synergie l’ensemble des acteurs et prévenir les conflits. De plus, la volonté d’intégration du genre n’est pas encore totalement concrétisée, note-t-on.

Également, relève la Cour des comptes, la DGPU n’a pas finalisé la mise en place des instruments du cadre de performance, à savoir, notamment, un plan stratégique de développement, un contrat de performance et des rapports de performance. À cela s’ajoute la faiblesse des taux de mobilisation des financements de l’État, des partenaires techniques et des fonds propres qui sont des contraintes qu’il faut corriger sans délai.

Pour finir, les magistrats pointent les errements relevés dans la réalisation des études préalables d’aménagement, d’urbanisme et d’environnement.  

PAR CHEIKH THIAM

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