Publié le 15 Nov 2024 - 21:10

Nationalisme ou patriotisme ? Le duel idéologique qui secoue la campagne électorale

 

Dans une réplique cinglante, Tahirou Sarr, leader des Nationalistes, a fustigé Ousmane Sonko sur le sujet sensible : l’immigration et les questions de carte de séjour exacerbant un débat politique déjà enflammé à l’approche des élections législatives du 17 novembre 2024. Le Sénégal est-il prêt à affronter cette lutte idéologique qui divise l’opinion publique ?

 

Dans une intervention au vitriol, Tahirou Sarr, le leader des Nationalistes, a attaqué frontalement Ousmane Sonko hier (14 novembre 2024) á tarvers un point de presse. Ce dernier avait pris la parole à Guédiawaye, en pleine campagne électorale, pour clarifier sa position sur le nationalisme, semant le débat au sein de l’opinion publique.

Depuis son discours à Guédiawaye et á Keur Massar, Ousmane Sonko s’est efforcé de faire une distinction claire entre patriotisme et nationalisme. « Je voulais aborder avec vous, militants, l’idéologie qu’on appelle le nationalisme, » a-t-il déclaré. « Cette idéologie, lorsqu’elle est poussée à l’extrême, cause plus de tort que de bien dans un pays. Nous ne sommes pas nationalistes, nous sommes patriotes. Le patriotisme n’exclut personne. Le Sénégal est un pays d’ouverture et de tolérance, pas un pays d’ostracisme qui accuse des étrangers d’être la cause de tous les problèmes, sans même s’appuyer sur des faits. »

Sonko a également mis en garde contre les discours xénophobes, rappelant des propos discriminatoires circulant au sujet de certaines communautés : « Ceux qui prétendent que nos problèmes viennent des Guinéens ou des Libanais se trompent. Lors de ma sortie de prison, j’avais déjà demandé d’arrêter ces discours. Certains disaient qu’Amadou Ba n’était pas Sénégalais mais Guinéen. Je leur ai répondu qu’Amadou Ba est bien Sénégalais : né ici, ayant étudié ici, travaillé ici et exercé des fonctions au service de ce pays. C’est un Sénégalais rusé, peut-être, mais un Sénégalais tout de même. Quant à ceux qui parlent de la 'présence des étrangers' ici, ils ignorent même combien de Sénégalais vivent en dehors de nos frontières. »

Cette prise de position d’Ousmane Sonko a suscité une vive réaction de Tahirou Sarr, qui n’a pas mâché ses mots. Lors de sa sortie acclamée par ses partisans, Sarr a accusé Sonko de propager des mensonges et a affirmé que les chiffres avancés par le leader de Pastef sont erronés. Il a réfuté l’existence de tout projet de carte de séjour pour les étrangers dans le programme de Pastef. « Il n’y a rien de tel dans leur projet, c’est une contre-vérité que Sonko utilise pour tromper les Sénégalais, » a-t-il martelé.

L’appel à la responsabilité de Sonko

Au cours de son discours, Tahirou Sarr a également souligné qu’il faisait partie de la mouvance présidentielle et a rappelé qu’il avait aidé l’actuel Premier ministre dans des moments difficiles. Il a exhorté ce dernier à faire preuve de courage et à cesser de « dire des contre-vérités aux Sénégalais ». Pour lui, l’un des problèmes majeurs du pays réside dans la présence des immigrés, qui, selon lui, prennent les emplois des Sénégalais et les empêchent d’obtenir des papiers légaux. Il a également suggéré que Sonko se montre plus responsable dans sa gestion des questions d’immigration.

Le leader des Nationalistes a même révélé qu’Ousmane Sonko l’avait contacté pour le convaincre de rejoindre Pastef, offre qu’il avait déclinée. Selon lui, ce refus pourrait être à l’origine de la frustration de Sonko. Pour clore sa réplique, Tahirou Sarr a proposé un débat public à la tête de liste de Pastef, affirmant qu’il était prêt à se joindre à son meeting pour affronter ses idées.

Les positions de Tahirou Sarr ne laissent personne indifférent. Au début du mois de la campagne, Thierno Alassane Sall, une autre figure de la scène politique sénégalaise, a rapidement condamné ces discours. Dans un message posté sur les réseaux sociaux, il a critiqué la montée de la xénophobie et plaidé pour un Sénégal inclusif. « Un discours anti-étrangers prend racine de façon inquiétante au Sénégal, il est attisé par des marchands de la haine, » a-t-il écrit. Selon Sall, il est important de préserver la Teranga, l’esprit d’accueil qui fait la singularité du Sénégal.

Il a ajouté que le Sénégal est une terre de métissage, et que sa richesse réside dans cette diversité culturelle et humaine. « Le Sénégal que nous devons chérir et préserver est celui de la culture, du savoir, de l’innovation et de l’ouverture, qui a porté des modèles : Cheikh Anta Diop, Fatou Sow Sarr, Léopold Sédar Senghor, » a-t-il conclu, appelant à bannir la xénophobie de la société sénégalaise.

La migration : un objet politique de plus en plus central

Le débat autour de l’immigration n’est pas nouveau, mais il prend de l’ampleur à l’approche des élections. Ce sujet, longtemps évité ou marginalisé, s’impose de plus en plus comme un enjeu de campagne. Pour les observateurs politiques, la position de Tahirou Sarr pourrait renforcer sa base électorale, mais elle risque aussi de diviser les partisans de Pastef, dont certains partagent des sympathies avec ses idées nationalistes. La migration, qu’elle soit perçue comme une menace ou une opportunité, devient un terrain de bataille idéologique.

L’immigration est souvent présentée comme un fléau par certains leaders, alors que d’autres mettent en avant l’apport économique et social des étrangers au Sénégal. Ousmane Sonko, pour sa part, s’est efforcé de maintenir une position équilibrée, soulignant la nécessité de réguler l’immigration tout en condamnant les discours haineux.

Lors de la campagne électorale pour les législatives, Ousmane Sonko a également abordé la question des marchands ambulants, un autre sujet brûlant qui divise. Cette problématique est au cœur des préoccupations de nombreuses communes, où les jeunes cherchent désespérément à s’en sortir en vendant dans la rue. À Keur Massar, où Sonko a rencontré des cette classe de la population, il s’est montré empathique envers ces jeunes, appelant à l’indulgence des autorités locales.

« Il faut soutenir ces jeunes qui cherchent à gagner dignement leur vie, » a déclaré Sonko, prônant un encadrement des marchands ambulants en attendant de trouver des solutions pérennes. Son projet de raser une partie de la Foire pour construire un centre commercial destiné à ces vendeurs a suscité des réactions diverses. D’un côté, les jeunes marchands voient en cela une opportunité d’améliorer leurs conditions ; de l’autre, les autorités municipales craignent les conséquences d’un tel projet sur l’urbanisme.

Il s’est cependant montré intraitable sur certaines pratiques, comme l’installation anarchique de points de vente devant les écoles et les hôpitaux. « Ces pratiques vont à l’encontre des normes de sécurité et d’un cadre de vie sain, » a-t-il déclaré, mettant en avant l’importance de respecter les règles d’urbanisme.

La proposition de Tahirou Sarr d’organiser un débat public avec Ousmane Sonko pourrait marquer un tournant dans la campagne. Si Sonko accepte, ce débat pourrait éclairer davantage les positions des deux camps sur des sujets aussi sensibles que l’immigration et le sort des marchands ambulants. Mais au-delà des affrontements verbaux, ce sont les solutions concrètes qui seront attendues par les électeurs, désireux de voir émerger des politiques publiques efficaces.

Dans un contexte où la migration est instrumentalisée par certains et défendue par d’autres, le Sénégal se retrouve à la croisée des chemins. Reste à savoir si la campagne électorale permettra de faire émerger des solutions viables ou si elle continuera à alimenter les clivages. Ce qui est certain, c’est que la question migratoire et les préoccupations des marchands ambulants continueront de cristalliser les débats, rappelant à chacun l’importance de la responsabilité politique dans la gestion de ces enjeux complexes.

Au final, la migration est devenue un miroir qui reflète les défis économiques, sociaux, et politiques du Sénégal. Entre discours nationalistes et appels à l’ouverture, le pays devra trouver un équilibre pour préserver son identité tout en s’ouvrant au monde. Le débat est loin d’être clos, et les prochains mois seront décisifs pour l’avenir du pays.

 Amadou Camara Gueye

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