Publié le 13 Dec 2024 - 20:47

Des arrestations et convocations en série

 

Les convocations et interpellations d’opposants au régime se multiplient. Si certains pensent que cela relève de l'application normale de la justice, d'autres craignent que le régime du duo Diomaye-Sonko marche sur les traces de ses prédécesseurs qui ont tous, de Senghor à Sall, recouru à la justice pour neutraliser des adversaires.

 

Les périodes d’après-alternance sont généralement mouvementées pour la justice. Entre reddition des comptes, règlements de comptes, volonté de musellement d’adversaires dangereux… tous les moyens semblent bons pour mettre en branle la machine judiciaire. De Senghor à Macky, en passant par Diouf et Wade, aucun régime n’a résisté à la tentation d’instrumentaliser la loi, soit pour neutraliser des adversaires politiques soit tout simplement pour les mettre hors d'état de nuire. L'histoire rapporte qu'à son arrivée au pouvoir en 1981, Abdou Diouf avait recouru à la Cour de répression de l'enrichissement illicite pour museler ses potentiels adversaires à l'intérieur même du Parti socialiste.

Pour sa part, Abdoulaye Wade avait certes épargné son prédécesseur Abdou Diouf, mais certains ténors du régime socialiste vaincu en 2000 ont dû payer de leur liberté leur appartenance au camp des vaincus ; d'autres accepteront de transhumer pour avoir la paix.

Mais, à n'en pas douter, l'instrumentalisation de la justice pour traquer des adversaires a atteint des proportions rarement égalées sous le régime du président Macky Sall. 

Avec la nouvelle alternance notée depuis le mois de mars 2024, l'espoir est immense de ne plus avoir à vivre de telles pratiques de vengeance et de règlements de comptes politiques. Face à un ministre de la Justice jusque-là intransigeant sur certains principes, Pastef est en train de peser de tout son poids pour faire bouger certains dossiers.

Le summum a été atteint dans l'affaire relative à l'affrontement entre la garde rapprochée de Barthélemy Dias et des militants du parti au pouvoir à Saint-Louis. C'est le Premier ministre Ousmane Sonko lui-même qui est monté au créneau pour enjoindre publiquement aux autorités judiciaires de poser des actes. Dans la foulée, un communiqué officiel avait annoncé l'interpellation de dizaines de personnes membres du personnel de sécurité du maire de Dakar. L'un d'eux a d'ailleurs perdu la vie en prison, à la suite de leur placement sous mandat de dépôt dans des conditions qui restent à élucider.

Barthélémy Dias, ayant reçu une convocation de la justice, il faudra voir si elle se rapporte à cette affaire de gros bras et de coups et blessures.

Toujours est-il que, pendant qu'il fustigeait ce qui s'est passé à Saint-Louis et qui a abouti à l'arrestation des éléments de la sécurité de M. Dias, le Premier ministre restait presque muet sur l’incendie du siège de Taxawu Sénégal à Dakar ; il a été en tout cas bien plus mesuré dans ce dossier qui aurait pourtant pu conduire à mort d'homme. Idem pour ce qui s'est passé à Koungheul entre militants de Benno Bokk Yaakaar et éléments de sécurité du président de Pastef.

Comme à Saint-Louis, là également, les gros bras ont semé la terreur, au vu et au su de tout le monde. Le régime de Pastef a voulu réduire l'affaire à une simple histoire de riposte à une provocation.

Pour beaucoup d'observateurs, cela sonne comme du deux poids deux mesures. 

Depuis l'avènement du nouveau régime, plusieurs opposants ont été interpellés et envoyés en prison. Si certaines de ces arrestations peuvent paraitre tout à fait légitimes, d'autres étaient largement évitables. L'opinion a largement commenté les cas de l'activiste républicain Bah Diakhaté, Ahmad Suzanne Camara, commissaire Keita. Et la liste est loin d'être exhaustive.

Dernièrement, s’est ajouté à la liste Moustapha Diakhaté. Hier, un autre proche de Macky Sall, Madiambal Diagne, a reçu une convocation de la justice. Il rejoint la liste de tous ces journalistes qui ont eu à être interpellés ou convoqués à la police pour des articles ou commentaires dans les médias. 

À côté de ces délits liés à l’exercice de la liberté d’expression, il y a les affaires attachées à de supposées malversations financières. Les plus en vue sont : Lat Diop qui commence à durer en prison, Kadim Ba de Locafrique et le dernier en date est Samuel Sarr. Tous ont pour dénominateur commun d'avoir été très proches de l'ancien régime. 

Cela dit, à ce jour, malgré les velléités affichées par certaines pontes du régime de vouloir régler leurs comptes à des membres ou proches de l'ancien régime, il faut noter que jusque-là, les autorités judiciaires et policières ont eu des comportements assez légalistes. Malgré les critiques et les pressions qui fusent de tous bords. À telle enseigne que de nombreux sympathisants du régime les prennent pour cibles, sous le prétexte qu'ils sont trop lents. Dernièrement, toujours dans l'affaire des gardes du corps de Barth à Saint-Louis, le directeur général du Port autonome de Dakar était lui-même monté au créneau pour s'en prendre aux forces de sécurité. “Si la police n'arrête pas Barthélemy et Assane Diouf, nous les arrêterons”, fulminait-il sur sa page Facebook, avant de se justifier en ces termes : “Ce sera de la légitime défense.”

Et Waly Diouf Bodiang est loin d'être le seul responsable de Pastef à avoir ce genre de discours. Ce qui n'est pas de nature à rendre la justice dans des conditions sereines et loin de tout soupçon de parti pris.  

MOR AMAR

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