La clinique et cinq agents du corps médical face à la justice

Le silence était pesant dans la grande salle 4 du tribunal de grande instance de Dakar, hier. Et pour cause : la chambre correctionnelle a évoqué une affaire à la fois douloureuse et technique, celle de la mort d’un nouveau-né survenue dans la nuit du 8 au 9 octobre 2021 à la clinique de la Madeleine. Cinq prévenus, un pédiatre, un gynécologue, une infirmière, une aide-soignante et la clinique elle-même sont poursuivis pour homicide involontaire. Tous ont nié les faits. Le père de l’enfant, présent à la barre, accuse la chaîne médicale d’avoir brisé sa famille par négligence.
Le bébé, né par césarienne le 7 octobre 2021, aurait été en bonne santé, selon les premiers constats. Mais dès le lendemain, le pédiatre, Dr Hussein, détecte une jaunisse. Il décide de prescrire une photothérapie, un traitement courant pour les nouveau-nés. L’enfant est donc placé sous la lampe bleue pendant plusieurs heures, avec des pauses de deux heures, conformément au protocole. Mais le matin du 9 octobre, le corps sans vie du bébé est découvert. La température affichée est de 41 degrés.
À la barre, le Dr Hussein n’a pas pu contenir ses larmes : ‘’Ce bébé était entre mes mains. J’ai compati dès qu’on m’a annoncé la nouvelle. J’ai couru à l’hôpital. J’ai retrouvé une partie de sa peau sur le matelas.’’ Selon lui, le bébé n’était pas brûlé, mais portait des lésions cutanées causées par une maladie génétique. Il réfute aussi avoir demandé à l’aide-soignante de cacher l’absence de scope, un appareil vital pour la surveillance en photothérapie.
Le directeur de la clinique dans la tourmente
Le gynécologue-directeur de la clinique, Mahmoud Aydibe, est lui aussi formel : ‘’Je n’ai jamais senti d’odeur de brûlé. Il ne s’agissait pas de brûlures, mais d’un décollement de l’épiderme.’’ Mais sa version a laissé perplexe le tribunal. Sans informer les parents ni l’autorité judiciaire, il aurait envoyé un prélèvement de la peau du bébé à un laboratoire en France. Une initiative jugée ‘’douteuse’’ par le procureur, surtout qu’elle visait à prouver l’existence d’une maladie génétique écartée par ledit laboratoire.
L’aide-soignante Adja Seynabou Diallo a reconnu qu’elle devait surveiller plusieurs nourrissons en même temps. ‘’Ce soir-là, j’avais cinq bébés à gérer’’, dit-elle. Si elle affirme que le bébé ne présentait pas de brûlures avant d’être retrouvé inerte, le juge a pointé les conditions de travail, à savoir une salle surchauffée, l’absence de scope, une machine dégageant une chaleur anormale. Elle a également admis que la direction lui avait demandé de ne pas mentionner cette carence aux enquêteurs.
Des parents anéantis en quête de vérité
Le père du bébé, M. Saleh, était le seul parent présent à l’audience. Sa voix tremblait : ‘’Ce n’est pas juste une erreur. C’est de la négligence. Ce bébé, on l’a vu partir en bonne santé. Et on l’a retrouvé brûlé, avec une température corporelle de 41 degrés.’’ Il a dénoncé le silence, le manque d'explications et les prélèvements envoyés à l’étranger sans leur accord : ‘’On a charcuté notre enfant. Il a été sacrifié sur l’autel de l’incompétence.’’
Pour les avocats des parties civiles, cette affaire est un drame évitable. Maitre Abdou Aziz Diop a plaidé pour une condamnation sévère : ‘’Ces machines étaient obsolètes. L’enfant a été abandonné dans une photothérapie sans surveillance. Le rapport médical est formel. Il fait état de brûlures au premier degré et d’une mort par asphyxie’’, a souligné la robe noire. L’avocat de la partie civile demande au tribunal de reconnaître la clinique et les prévenus coupables d’homicide involontaire. Il sollicite également la condamnation solidaire à verser 200 millions F CFA à chacun des parents pour le préjudice moral et surtout un milliard de francs CFA pour tous les préjudices subis, y compris psychologiques. La clinique Madeleine devrait, selon ses demandes, supporter cette charge, avec la Sonam Assurance tenue comme garante.
Le substitut du procureur a précisé : ‘’Ce bébé n’est pas mort dans son sommeil. Il a souffert. Longtemps. En silence.’’ Il a requis la relaxe pour le directeur de la clinique, mais deux ans de prison, dont six mois ferme contre les autres prévenus, assortis d’une amende de 300 000 F CFA chacun.
Maitre Khadim Kébé de la défense a rappelé que les causes de la mort ont toujours été contestées par le Dr Hussein. ‘’Dans cette affaire, une contre-expertise aurait pu aider. Relaxez-le ainsi que le directeur de la clinique Mahmoud », a plaidé Me Kébé.
Le tribunal rendra son verdict le 23 juillet 2025.
MAGUETTE NDAO