New deal pour la presse

Un paysage médiatique africain fragilisé ! C'est ce que révèle le rapport de Reporters Sans Frontières pour cette année 2025. La liberté de la presse est de plus en plus restreinte, selon l’organisation. Pour la première fois, la situation devient "difficile" à l’échelle mondiale et cette dernière met en avant une fragilisation économique généralisée des médias. Le Sénégal est classé 74e sur près de 180 pays.
Publié hier, le classement mondial de Reporters Sans Frontières place, dans son rapport, le Sénégal à la 74e place. La situation du pays est qualifiée de problématique et le rapport souligne des points tels que la transparence au niveau des réformes.
"Au Sénégal (74e), leur transparence est au cœur de réformes en cours, non sans contestation de la profession, qui fait aussi face à des contrôles fiscaux intensifiés et à la suspension de conventions publicitaires avec des entités publiques", indique le rapport. Toutefois, il ne s'agit pas que du Sénégal. Il semblerait que ce soit toute l'Afrique qui n'échappe pas à cette tendance. Et d'après le communiqué, il apparaîtrait que c’est le continent ou le score économique des médias qui s'est le plus détérioré avec 80 % des pays concernés.
Toutefois, dans ce contexte préoccupant, le Sénégal se distingue par une progression encourageante, gagnant 20 places dans le classement global de la liberté de la presse. Une amélioration relative dans un contexte continental que l'on peut traiter de dégradé. Cette concentration est notamment remarquable dans des pays comme le Nigeria (122e qui gagne 10 places), la Sierra Leone (56e) ou encore le Cameroun (131e). "Elle s’accompagne d’une dépendance aux revenus publicitaires, majoritairement alimentée par les budgets de communication de l’État et de grandes entreprises. C’est le cas au Bénin (92e) et au Togo (121e).
Cette situation accroît la pression sur les rédactions poussées à l’autocensure par crainte de perdre ces financements. Au Kenya (117e), ’The Nation’ en a fait les frais : le journal a vu ses publicités retirées par l’opérateur Safaricom, après avoir révélé le rôle de celui-ci dans la surveillance des communications de citoyens". Autrement dit, alors que des pays comme le Burkina Faso (-19 places), le Cameroun (-10) ou encore la République démocratique du Congo (-10) reculent de manière significative en raison de crises sécuritaires, de concentration médiatique et de dépendance aux annonceurs publics, le Sénégal (74e en 2025) s’engage sur la voie de réformes structurelles.
Onze recommandations de la part de RSF pour un New Deal pour le journalisme
Après avoir présenté l’état actuel de la presse et révélé des menaces sur l’effondrement de la sécurité économique des médias par le classement mondial de la liberté de la presse 2025, il a été proposé onze points importants afin de peser sur l’indépendance éditoriale des rédactions et le pluralisme de l’information. Dans un premier temps, Reporters Sans Frontières (RSF) appelle les pouvoirs publics, les acteurs privés et les institutions régionales à s’engager pour un New Deal pour le journalisme. Et cela passe par ''La fragilisation économique des médias (qui) s'impose comme l'une des menaces pesant sur la liberté de la presse".
En effet, d'après les résultats du classement mondial de la liberté de la presse 2025, les conditions d’exercice du journalisme sont mauvaises ("difficiles" ou "très graves") dans la moitié des pays du monde. Une réalité encore plus alarmante sur le plan économique : trois quarts des pays connaissent une mauvaise situation en la matière.
Par ailleurs, des engagements concrets semblent essentiels pour préserver la liberté de la presse et le droit à l’information ainsi que pour sortir les médias de cette spirale économique délétère qui menace leur indépendance et leur survie, d'où l’appel de RSF pour un New Deal pour le journalisme.
Dans un premier temps : "Protéger le pluralisme via la régulation économique.’’ D'après RSF, les médias ne sont pas des entreprises comme les autres et ne fournissent pas un service comme un autre. S’ils sont, pour la plupart, des entités privées, ils mènent une action d’intérêt général : la bonne information du public, élément fondamental de la démocratie. "À ce titre, explique-t-elle, il est nécessaire de garantir le pluralisme, non seulement dans sa dimension externe (pluralité des médias sur un même marché), mais également dans sa dimension interne (pluralité des courants de pensée exprimés dans un même média), indépendamment de tout changement d’actionnaire".
RSF souligne notamment qu'en France (25e), les débats autour de la concentration des médias, avec le groupe Bolloré, illustrent les risques pesant sur le pluralisme. En Afrique du Sud (27e), l’Autorité de la concurrence a quant à elle engagé une réflexion sur les solutions à apporter face aux risques que fait peser l’économie des plateformes sur le pluralisme de l’information en ligne.
Pour la deuxième recommandation, elle souligne l'adoption de la JTI comme référentiel commun des médias. Géants du numérique et États sont appelés à s’emparer collectivement de la Journalism Trust Initiative (JTI) portée par Reporters Sans Frontières. "Déjà adoptée par plus de 2 000 médias dans 119 pays, cette initiative propose un référentiel commun, non pour juger le contenu, mais pour évaluer les processus de production de l'information, avec pour objectif d'améliorer la transparence sur la propriété des médias et les processus éditoriaux ainsi que de mettre en valeur les médias fiables".
Autrement dit, cette certification offre, en effet, un socle pour orienter les financements publics, guider les politiques de référencement et permettre aux plateformes et moteurs de recherche de valoriser l’information digne de confiance, tout en prémunissant contre les stratégies de désinformation.
S'en est suivi le fait d'instaurer une responsabilité démocratique des annonceurs. "Les États pourraient mettre en place une responsabilité démocratique des entreprises à l’image de la responsabilité sociale des entreprises (RSE). Une priorité que devrait intégrer, en premier lieu, les annonceurs qui, en transférant leurs budgets vers les plateformes technologiques ou, pire, vers des sites nourrissant la désinformation, portent une responsabilité dans la situation économique du journalisme", peut-on lire.
Par ailleurs, il s'agirait d’inciter les annonceurs à conditionner leurs investissements publicitaires à des critères de fiabilité et d’éthique journalistique. L’alignement des stratégies publicitaires avec l’intérêt général est un levier décisif pour un écosystème médiatique sain et relève d’une nécessité démocratique. "Cette responsabilité démocratique des entreprises a notamment été prônée par le comité de pilotage des États généraux de l’information en France et pourrait figurer dans le projet de loi examiné en 2025 à l’Assemblée nationale", dit le rapport.
À côté, il faut "encadrer la puissance des ‘gatekeepers’ du numérique. Les États démocratiques doivent imposer aux plateformes numériques l'obligation de visibiliser et de rémunérer les sources d'information fiables.
Par ailleurs, l’Union européenne, avec la directive sur le droit d’auteur et l’Australie (29e) avec la première législation contraignant Google et Facebook (News Media Bargaining Code) ont adopté des lois obligeant les principales plateformes à rémunérer les contenus journalistiques en ligne. Le Canada (21e) a engagé des réformes similaires, mais se heurte à de fortes résistances de la part notamment de Meta qui a chassé les médias de ses plateformes en réaction.
Afin d’assurer une juste répartition de la valeur économique dérivée des contenus journalistiques en ligne, leur application effective et la généralisation de ces lois sont nécessaires. Pour cela, les autorités publiques doivent garantir la sincérité des négociations, afin d’éviter que les médias ne soient victimes du rapport déséquilibré avec les acteurs technologiques.
Pour finir, l'essor de l’intelligence artificielle (IA), qui devient crucial d’assurer une juste rétribution des créateurs de contenus à savoir les articles, les images et les vidéos utilisés pour entraîner ou alimenter des modèles d'IA. "Cette nouvelle réalité renforce la nécessité d'une réglementation adaptée pour protéger la valeur de la création journalistique face aux nouvelles formes d'exploitation technologique", souligne l’organisation.
Mettre en place une taxation des géants de la Tech pour financer l'information de qualité
L’introduction d’une telle taxe doit viser à redistribuer tout ou partie de la valeur injustement captée par les géants du numérique au détriment des médias. Son produit serait redirigé vers les médias et permettrait de financer la production d’une information de qualité. Plusieurs États ont déjà engagé des réformes pour taxer les grandes plateformes numériques, mais quasiment aucune ne vise spécifiquement à soutenir la production de l'information indépendante.
L’Indonésie (127e) a introduit une taxation des services numériques étrangers, tout en obligeant les plateformes à rémunérer les médias pour utiliser leurs contenus à partir de 2024. La France a, elle aussi, instauré une taxe spécifique sur les revenus des entreprises du numérique en 2019.
Pour la sixième recommandation, il s'agirait simplement de renforcer l'information indépendante et combattre les déserts informationnels grâce à l'aide publique au développement. Face à la multiplication des crises, des conflits et des régimes autoritaires, il est essentiel de soutenir l'information indépendante et de lutter contre l'émergence de déserts informationnels.
D'après RSF, "l'aide publique au développement (APD) doit intégrer le soutien au journalisme indépendant, en tant que facteur indispensable, non seulement au développement économique, mais également au renforcement de la gouvernance démocratique et de la paix. Car il est proposé de consacrer au moins 1 % de l'APD au financement de médias libres et indépendants pour en garantir la pérennité".
Cependant, triste est de constater que certains dispositifs de soutien, comme celui de l'Agence des États-Unis pour le développement international (USAID), sont menacés, l'engagement des États donateurs devient plus crucial que jamais.
Il cite pour, illustrer cette affirmation, des exemples : "Des engagements positifs. Notons l’effort de l’Australie (29e) et de la Nouvelle-Zélande (16e) pour soutenir des programmes régionaux de renforcement des médias, notamment dans les îles du Pacifique."
La question du financement et celle de la transparence dans les aides aux médias sont abordées. RSF affirme dans ses recommandations qu'il faudrait encourager des modèles de financement hybrides et innovants. À l’instar du Fonds de renforcement d'urgence du journalisme (Ifrum) proposé en Ukraine (62e) par RSF, il est essentiel de développer des outils de soutien qui croisent des financements publics et des contributions privées (dons, investissements et prêts). Pour diversifier les financements, les États pourraient renforcer les incitations fiscales aux investisseurs et élargir l'accès aux donateurs au-delà de leurs résidents et contribuables.
Et surtout, "garantir la transparence et l’indépendance dans l’attribution des aides aux médias". L’octroi de subventions publiques ou privées aux médias doit, selon eux, être fondé sur des critères objectifs, transparents et accessibles au contrôle de la société civile. Seule une distribution claire et équitable des aides permet de préserver l'indépendance éditoriale et de protéger les médias contre toute forme d’ingérence politique. Dans ce sens, ils abordent le règlement européen sur la liberté des médias (EMFA), qui entrera en vigueur en 2025 dans l’ensemble des pays de l’Union européenne, impose la transparence dans l'attribution des aides, demande aux États membres de garantir l’indépendance des rédactions et de prévoir des garde-fous contre les pressions politiques.
D’autres pays ont également mis en place des cadres exemplaires. Le Canada (21e) a instauré un dispositif transparent mêlant crédits d'impôt et subventions, garantissant l'indépendance éditoriale.
Enfin, lutter contre la fragilisation des médias de service public. Pour le dire autrement, "les médias de service public ne sont pas des médias d'État, car ils sont des acteurs indépendants, financés par la collectivité pour assurer une mission d’intérêt général". Leur rôle est donc de garantir un accès universel à une information fiable, pluraliste et indépendante, au service de la cohésion sociale et de la démocratie. "Les attaques financières et politiques contre ces médias, récurrentes dans de nombreux pays, menacent l’accès à l’information fiable du public", affirme RSF.
Toujours sur cette lancée, un point est mis sur le renforcement de l’éducation aux médias et la formation des journalistes. Un soutien de l'information fiable implique que chacun et chacune puisse être formé à reconnaître l’information fiable dès son plus jeune âge et être impliqué dans des projets d’éducation populaire aux médias.
Par ailleurs, les formations universitaires et supérieures en journalisme, sous condition d’indépendance, doivent être soutenues et doivent toujours être faites dans la rigueur du professionnalisme et de la pédagogie. Ils soulignent, de ce fait, que la Finlande (5e) est une référence mondiale en la matière, avec des programmes d'éducation aux médias qui les intègrent dans les écoles. Rappelant que cette façon de faire contribue au renforcement de résilience face à la désinformation.
Pour boucler la boucle, RSF encourage les États à mettre en œuvre des initiatives internationales telles que le partenariat pour l'information et la démocratie. Elle explique que "le partenariat international pour l'information et la démocratie compte déjà plus d'une cinquantaine de pays signataires". En outre, ce serait là un moyen de promouvoir un environnement informationnel et pluraliste plein de fiabilité. Dans cette dynamique, RSF a rappelé que le journalisme est un bien commun et donc ce New Deal s'inscrit comme un appel à reconstruire collectivement les fondations d'un espace public libre et fiable.
Thecia P.NYOMBA EKOMIE