Encore une occasion manquée

Pour célébrer les 90 ans du président Abdou Diouf, la RTS avait entre les mains une matière historique d’une richesse exceptionnelle. Pourtant, le résultat ressemble davantage à un montage hâtif de témoignages sur fonds de photos d’archives qu’à un véritable film documentaire.
Pas une seule image des campagnes électorales de Diouf, aucune séquence de ses prestations de serment en 1981 ou en 1988. Plus grave encore : le choix de ne pas donner la parole aux opposants de l’époque, pourtant encore bien présents – à l’image du professeur Abdoulaye Bathily ou de figures du PDS. Comment prétendre rendre hommage à un homme d’État sans restituer la diversité des voix et la pluralité des regards qui ont accompagné son parcours ?
Les années Diouf ne peuvent être racontées sans évoquer des moments charnières : les tensions électorales de 1988, l’assassinat de Me Babacar Sèye, la démission de Kéba Mbaye, ou encore les relations heurtées avec la Mauritanie. Ces épisodes douloureux mais essentiels font partie de notre mémoire collective. Les ignorer, c’est trahir la complexité de l’histoire.
Un documentaire digne de ce nom aurait permis de dépasser la simple célébration pour livrer un récit équilibré, documenté et utile à la postérité. Mais une fois encore, la RTS s’enferme dans ses travers : récits partiels, absence de profondeur, manque d’ambition. Comme si l’audiovisuel public refusait toute collaboration avec les cinéastes et documentaristes de ce pays.
Il est pourtant évident qu’un documentaire ne s’improvise pas. Il ne s’agit pas d’un reportage enrichi d’images d’archives, mais d’une œuvre de mémoire, nécessitant rigueur, temps, méthode et vision artistique. Un journaliste n’est pas nécessairement un réalisateur.
Le Sénégal regorge de talents formés, compétents et passionnés, capables de porter ces récits avec exigence et force. Pourquoi ne pas s’appuyer sur eux ? Pourquoi continuer à priver les Sénégalais de productions audiovisuelles à la hauteur de leur histoire ?
L’audiovisuel sénégalais doit impérativement faire sa mue. Il doit s’ouvrir, faire confiance à l’expertise nationale et investir dans des productions ambitieuses. Car ce qui est en jeu, ce n’est pas seulement la mémoire d’un ancien président : c’est le rapport que nous entretenons avec notre histoire, notre culture et notre identité collective.
Nous avons déjà perdu assez de temps.
Maky Madiba Sylla cinéaste et acteur culturel







