Un appel au retour aux sources
Daara J Family revient en force avec un nouvel album intitulé ‘’Yaamatélé’’. Influencé par les débats intellectuels du moment, le groupe de rap invite les citoyens à un retour à l’éthique et aux valeurs africaines et sénégalaises.
Daara J Family a sorti, cette semaine, son nouvel album qui était tant attendu : ‘’Yaamatélé’’. Cet opus, mûrement préparé, est l’allégorie d’une humanité sous l’emprise des nouvelles technologies de la communication. Il interroge les comportements, les relations, la dépendance aux machines. ‘’Yaamatélé est le nom d’un personnage de dessin animé des années 1980 ‘Onze pour une Coupe’. Sa particularité est qu’il a un écran de télévision à la place du ventre et quand il avale une bobine de film, l’écran s’allume sur un match de foot des coupes du monde passées’’, a expliqué Faada Freddy, lors de la présentation de l’album à Dakar.
L’histoire de ce personnage a, donc, été une source d’inspiration de ce projet de 12 titres. ‘’Il parle justement de l’encrage de la machine en l’homme, de sorte à nous transformer en des humains froids. Nous sommes accros à la machine, alors que c’est nous qui l’avons créée. Aujourd’hui, la machine est en train de nous suggérer un autre type de vie, à travers les réseaux sociaux. Et ce qu’on fait comme rappel, c’est juste le point d’équilibre en notre humanité et notre appareil. La machine ne doit pas définir l’avenir de l’homme’’, lance le binôme de Ndongo D qui, en 2015, a sorti son premier album solo dénommé ‘’Gospel Journey’’.
Le groupe Daara J occupe, depuis plus de 20 ans, le devant de la scène du rap sénégalais. Il a aussi développé dans son nouvel album d’autres thèmes qui sont liés et qui sont actuels. Il y parle de l’emprise des multinationales sur l’économie africaine dans ‘’Jotna’’ ; du choc des cultures dans ‘’Chaka Zulu’’ ; de la cupidité des dirigeants d’Afrique et d’ailleurs ‘’ÇRF - Ça Rend Fou’’, et du ‘’manque de caractère des Africains devant le paternalisme européen qui fait que, parfois, on dit oui à tout’’.
‘’Yaamatélé’’ est ainsi un appel au changement des mentalités. Il est réalisé entre Dakar, Kinshasa, Montréal et Paris.
En 2018, Faada Freddy et Ndongo D s’envolaient de Dakar pour une résidence artistique et une tournée. C’est ainsi que les rythmes assiko de Dakar rencontrent les beats de Kratos depuis Kinshasa, la guitare mandingue de Mo Kouyaté de la Guinée et les percussions du grand maître Moussa Cissoko. Tant d’autres artistes de générations et d’univers musicaux très diversifiés ont apporté leur touche dans ce projet musical à la croisée des chemins : Christophe Jambois, JP Groov’, Euclides Gomes Junior, Makéda, Carine au Micro, Thomas Guicquéro, Badjé… La magie opère avec la complicité et le travail remarquable de Ludovic Joyeux au son et de Manu Sauvage à la réalisation artistique.
L’avis d’intellectuels
Grâce à la pertinence des sujets abordés dans cet album, d’éminents intellectuels ont assisté à sa présentation. A cette occasion, ils ont animé un panel autour du thème ‘’Impact psychologique et social de l’usage excessif des écrans : quelle place donner à nos cultures face à la mondialisation ?’’. Séduit par l’opus, l’écrivain Felwine Sarr a fait part de sa lecture. D’emblée, il trouve dans ‘’Yaamatélé’’ une tentative de faire une synthèse culturelle.
‘’Ils sont allés à Kinshasa, ils ont essayé de prendre des sonorités africaines qui n’étaient pas simplement sénégalaises’’, apprécie-t-il. ‘’Il y a aussi un désir d’avoir un discours sur le temps présent, la modalité, la technologie. J’ai donc trouvé l’ambition que je connais du groupe Daara J. Ce n’est pas simple de maintenir une qualité dans la durée. Leur premier album date de 1997 ; c’est presque plus de 23 ans. Ils sont à leur 6e album et il y a un soin qui est porté à la production artistique. Ça veut dire qu’à chaque album, ils se remettent en cause, et j’ai vraiment aimé cela’’, renchérit le penseur qui a eu une influence sur le groupe dans la production de cet opus.
Ainsi, il salue le fait que Ndongo D et Faada Freddy aient pu observer l’état du débat intellectuel, culturel et politique. En effet, l’on retrouve, effectivement, certaines problématiques liées à l’identité, à la restitution dans ‘’Yaamatélé’’. ‘’Ils font une réponse implicite à ‘’Afrotopia’’. Ils ont leur créativité, mais c’est bien qu’ils se nourrissent des débats de leur époque, parce qu’ils ont une puissance de dissémination plus importante que nous autres’’.
Pour sa part, le juriste et docteur en science de l’éducation, Daouda Ndiaye, souligne la nécessité de remettre en cause la manière dont les nouveaux outils technologiques de communication sont utilisés. Il a commencé par constater les ‘’dégâts’’: ‘’Nous sommes dans un pays où Cheikh Hamidou Kane nous enseignait, à travers ‘L’aventure ambiguë’, que l’école où nous poussons nos enfants tuera en eux ce que nous aimons le plus et conservons à juste titre : la tradition. C’est cette même école qui nous renvoie la technologie de l’information et de la communication. Nous avons l’impression que d’autres personnes regardent notre monde pour nous.’’
Monsieur Ndiaye fait appel à un retour aux sources. ‘’Il est temps, à partir de cet album, de partir de nous-mêmes, par nous-mêmes. De réfléchir et de créer les conditions de notre rencontre dans ce rendez-vous du donner et du recevoir dont parlait Léopold Sédar Senghor’’.
BABACAR SY SEYE