‘’La pauvreté des textes est symptomatique de cette recherche effrénée du gain’’
L’enseignant-chercheur et chef de la Section métiers des arts et de la culture de l’Ufr Civilisations, religions, arts et communication de l'Université Gaston Berger, Dr Saliou Ndour, donne son avis sur la teneur de certains textes de chanteurs sénégalais. Ceux-là même jugés ‘’funny’’ par certains et incensés par d’autres.
Comment appréciez-vous la teneur des textes des artistes les plus en vogue actuellement ?
Hormis quelques artistes dont les textes sont bien travaillés, la plupart ne font pas l'effort d'avoir des textes de qualité. Pourtant, il existe des paroliers de renom au Sénégal qui ont écrit de très bons textes pour certains ténors de la musique sénégalaise. Je pense à Biram Ndeck Ndiaye, Lamane Mbaye, le professeur de philosophie Kassé. Et tant d’autres. Je pense également à des artistes comme Baba Maal, Thione Seck, Kabou Guèye, Ndiaga Mbaye qui ont été à l'école de la tradition et dont les textes étaient pleins de sens et de haute portée symbolique.
Dans les années 1990, les jeunes rappeurs ont porté la dragée haute, en initiant des textes engagés, de portée politique et sociale. Aujourd'hui, force est de constater que la recherche effrénée du gain pousse les artistes à la facilité, les textes ne sont plus suffisamment travaillés. Les bons textes sont devenus rares. Bob Dylan a été choisi, par le jury de Stockholm, lauréat du Nobel de littérature, grâce à la teneur de ses textes. Nous sommes très loin d'une telle consécration. L'inanité des textes actuels se traduit, aujourd'hui, par des vociférations, des onomatopées. Ils sont totalement dénués de sens. Pourtant, Adorno et Horkheimer de l'école Francfort s'étaient insurgés contre le surgissement des industries culturelles, craignant ainsi qu’une logique économique ne l'emporte sur la qualité de l'œuvre. Sous ce rapport, nous pouvons dire que c'est ce à quoi nous assistons aujourd'hui. La pauvreté des textes est symptomatique de cette recherche effrénée du gain.
Comment analysez-vous l'appropriation, par les Sénégalais, de certains termes de ces textes comme "Kon yess", "Voudang- voudang", "Lou bandit du nirol," etc. ?
J'avoue que je ne connais pas ces termes, c'est la première fois que je les entends. (Sourire) Acceptez que je sois old fashion, peu branché ! Il s'agit d'une tendance. Cela a toujours existé ! A chaque génération, il y a des expressions qui circulent et dont les artistes en sont les concepteurs ou les véhicules. Cela traduit un état d'esprit, un vécu, une volonté d'exprimer un réel en fonction de ses angoisses, de ses attentes d’une jeunesse désorientée, en quête de repères. Même si les expressions semblent dénuées de sens, elles sont symptomatiques d'une réalité beaucoup plus profonde. Elles sont révélatrices d'une société qui a mal, qui a perdu ses repères. Et ce n'est pas seulement dans le monde artistique et dans la jeunesse qu'il faudrait le chercher. Dirigeons notre regard vers le monde politique, cette inanité de la pensée se trouve dans les discours, les comportements. Les artistes sont à l'image de nous, de nos politiques, de la société.
Il s'agit là de la faillite de l'art, de la pensée, de la culture. Inexorablement, nous aboutissons toujours à cette prépondérance de l'économique sur la pensée, sur l'artistique ! Voilà là où se trouve aujourd'hui notre société dans un contexte mondialisée. L'éducation et la formation n'ont plus de sens. A ce niveau, pensons-nous que la responsabilité de tous est engagée. Mais celle de l'État l'est plus. Ce qui l'arrange, c'est que les gens deviennent de plus en plus idiots. Non, il n'a pas besoin d'une génération consciente. Moins cette jeunesse pense, plus ça l'arrange. Mon opinion est que la vacuité des expressions traduit la faillite de l'art, la faillite de l'éducation qui résume la faillite de la pensée.
Quel avenir pour ces artistes qui excellent actuellement dans ce domaine ?
Aucun. Ils sont plutôt des victimes d'un système impitoyable qui ne leur laisse aucune chance. Pensez-vous qu'un chef-d'œuvre en sortira ? Permettez-moi d'en douter. Ils sont à la merci de gens peu scrupuleux qui feront de l'argent sur leur dos. Pressurés comme des citrons, leur vie artistique va durer le temps d'une rose. Le système aura eu raison. Célèbres, adulés un moment, leur tube va sortir rapidement des bacs. Le public est vite lassé de cette musique "bu amoul thiono", n'ayant aucune qualité, ne faisant l'objet d'aucune recherche. Le système va chercher d'autres, les instrumentalisera et les jettera comme des chaussettes trouées. Voilà là où nous en sommes actuellement.
HABIBATOU WAGNE