Adieu Babacar Touré, le Camarade journaliste*
Les différents hommages rendus à Babacar Touré ont tous souligné, pour le magnifier, le caractère multidimensionnel de la personne : journaliste émérite, grand manager, fin négociateur, généreux bienfaiteur. Peu cependant ont abordé une autre dimension de Babacar, celle politique, un militant panafricaniste, un partisan farouche de la liberté et de la démocratie.
Babacar Touré, familièrement BT comme la plupart des jeunes de l’époque fait partie de la génération post mai- juin 68, c’est-à-dire, celle-là qui avait été fortement influencée par les formidables mouvements de contestations, de revendications, de révoltes et de remise en cause d’un monde rétif à toute idée de progrès social et devenu impitoyable pour les classes laborieuses, les peuples et nations opprimées. Ces contradictions étaient encore plus exacerbées dans ce qu’était alors ‘’la zone des tempêtes’’, le Tiers-Monde.
Qui plus est, une dizaine d’années après les indépendances factices de l’essentiel des pays africains, la paupérisation des masses urbaines et rurales s’aggravait de jour en jour alors que les tenants du pouvoir s’enrichissaient davantage illicitement et dilapidaient les deniers publics.
C’est ainsi que, faisant écho à cette pensée forte de Frantz Fanon, (Les damnés de la terre) « Chaque génération doit, dans une relative opacité, découvrir sa mission, la remplir ou la trahir", le Camarade s’est engagé dans la clandestinité dans les luttes âpres des années 70 pour l’indépendance nationale, la liberté, la démocratie et le progrès social.
Cela résultait du fait que, dans le contexte d’alors, le régime de parti unique ne permettait aucune expression libre et plurielle de courants d’idées. Ce qui ne laissait qu’un seul choix aux forces démocratiques, patriotiques et révolutionnaires, celui de l’organisation dans la clandestinité.
C’est dans ce cadre que le camarade appelé familièrement et amicalement « BT », comme plusieurs jeunes de sa génération, a rejoint la mouvance de la gauche révolutionnaire.
Depuis lors, BT a apporté une contribution constante et de qualité dans le combat qui se voulait anti impérialiste, anti colonialiste, anti néo colonialiste, pour l’indépendance nationale et le progrès social.
Dans les processus d’élaboration et de mise en œuvre des orientations stratégiques, tactiques et organisationnelles, le camarade a fait preuve de rigueur et de souplesse sur les principes, d’ouverture vis-à-vis de divers apports et de réalisme dans la prise en compte de nos réalités nationales, à savoir socio-économiques, multi-culturelles et religieuses.
Parmi les questions cruciales de l’époque, figuraient en bonne place, le contexte international et national, la nature de la « formation sociale » au Sénégal et dans la sous-région, le type et les étapes de la révolution ou des transformations sociales progressistes requises, les lignes particulières dans les différents secteurs d’activités, les tactiques d’alliances selon le principe d’unir toutes les forces susceptibles d’être unie et les formes d’organisation appropriées.
Au fond nous pouvons dire qu’en toutes circonstances et durant toute sa vie, le Camarade a toujours adopté cette ligne de conduite, c’est-à-dire fermeté sur les principes et souplesse sur l’accessoire, ce qui chez lui induit les compromis dynamiques et évite les compromissions coupables.
A divers moments des combats démocratiques, politiques et idéologiques au sein des forces de gauche, BT s’est toujours démarqué du dogmatisme, du sectarisme et de l’extrémisme, ce qui le plaçait souvent en position de facilitateur, négociateur et régulateur, échangeant avec les différents responsables des organisations démocratiques, des courants de la gauche patriotique et ainsi que ceux du parti au pouvoir. Ses relations suivies avec les camarades des autres partis de la gauche : AJ, RND, LD et PIT témoignaient de cette ouverture d’esprit.
Du reste, au moment où les débats idéologiques au plan international préoccupaient au plus haut point nombre de camarades des divers courants de la « gauche », le Camarade s’était davantage concentré sur les questions nationales, sous-régionales et africaines.
En effet, ses nombreux contacts avec les autres organisations de lutte l’amenaient souvent à participer à des luttes multiformes contre les régimes néo coloniaux. Dans ce cadre et à titre d’exemple, BT comptait, dans le Mouvement National Démocratique (MND) de Mauritanie, des camarades de longue date, ceci depuis la clandestinité
Sur un autre plan, par ses recommandations avisées, par ses contributions matérielles et financières, le Camarade a apporté une assistance exceptionnelle et multiforme aux initiatives de la mouvance.
Le Camarade BT a de tout temps fait preuve d’une solidarité militante à l’égard de nombreux camarades de divers horizons sans considération de l’appartenance politique ou syndicale. Il s’agit de l’appui à la prise en charge médicale ou du soutien varié (consultations, hospitalisations, ordonnances, camarades en difficultés, familles de camarades en deuil, diverses questions sociales) etc.
Un des principes qui a toujours guidé le Camarade c’était de combiner l’expertise et un niveau élevé de conscience professionnelle avec l’engagement ferme pour la cause patriotique. Ce qui, il est vrai l’éloignait de l’amateurisme, du dilettantisme de tant de militants de l’époque.
L’option d’embrasser la profession de journaliste, n’était pas en réalité un choix fortuit, elle résultait de la nécessité d’une intervention dans un secteur jugé stratégique, celui de la communication sociale. Dans l’expérience internationale de combat pour la libération des peuples et nations opprimés, la presse avait joué un rôle essentiel dans la diffusion des idées progressistes et avait aidé à l’organisation et à la mobilisation des masses populaires.
En se portant à l’avant-garde de l’éclosion d’une presse libre et à la première chaine privée de la radio, Babacar a contribué à démocratiser l’accès à une information de qualité, mais également a participé à la conscientisation des masses (Paolo Freire- La pédagogie des opprimés) et au renforcement de la conscience citoyenne.
Enfin, Babacar a joué un rôle important dans la résolution des conflits particulièrement au Sénégal et en Mauritanie. Son implication directe dans le règlement de la grève du SUTELEC de 1992 en est une parfaite illustration.
En perdant Babacar, le Sénégal et l’Afrique perdent un digne fils, les causes justes perdent un grand militant panafricaniste.
Puisse son engagement servir de référence aux nouvelles générations dans la lutte pour la liberté, la démocratie, le progrès social pour une Afrique libre et souveraine.
Repose en paix Camarade journaliste !
Pour d’Anciens de l’ex Union pour la
Démocratie Populaire (UDP)
Le Camarade Hamédine Racine Guissé
Dakar, le 26 août 2020