‘’Ma mission, c’est d’aller chercher la diaspora’’
Né dans la ville de Cayenne en Guyane française, Alex Boicel a vécu au Canada, puis à New York pendant 30 ans. Depuis, cet agent d'artistes indépendants, passionné de musique, n’a cessé de faire des va-et-vient entre les Etats-Unis et l’Afrique. Ce promoteur, qui a participé à l’organisation de plusieurs festivals en Afrique, a promu des artistes de renommée internationale comme Roberta Flack, Salif Keita, Baaba Maal, Alpha Blondy, Lucky Dube. II s’est donné pour mission de faire venir la diaspora en Afrique.
Qu’est-ce qui explique votre participation au festival Kom Kom qui a pris fin à la fin décembre dernier ?
J’ai un ami à Dakar qui va organiser le Fimad (Festival international de musique et des arts de Dakar). Ce sera la première édition. On essaie de travailler par rapport à un beau souvenir qu’on a eu avec le Fesman, il y a dix ans de cela. J’en faisais partie. Je me demandais pourquoi il n’y avait pas un autre festival. Donc, quand il m’en a parlé, je lui ai dit que si je devais travailler dans le Fimad en tant que directeur de la programmation, j’aimerais qu’on ait une belle touche internationale. Et pour ce qui est du festival Kom Kom, c’est la première fois que j’en ai entendu parler. Et je l’ai suivi en tant que touriste, visiteur. Mais c’est aussi pour voir comment aider le festival et faire en sorte qu’il aille au-delà des frontières. J’ai observé les artistes qui ont joué. Je veux bien les aider. J’avais déjà aperçu des artistes de la Casamance au niveau de Dakar. Surtout ceux qui sont dans le style ballet. Moi, il y a deux choses que j’aime surtout en Casamance : c’est le tambour - le côté traditionnel, les danses - et la kora.
Donc, j’ai l’impression de faire un retour, mais ce retour à la source, c’est aussi guider les autres qui sont derrière moi. Il y a 400 millions de la diaspora qui sont là et qui veulent connaître l’Afrique, mais ils ne savent pas comment arriver ici. On a des problèmes de langage, de culture et de mentalité. Je pense que c’est ça qui fait que j’ai beaucoup d’avantages par rapport à beaucoup de gens qui sont là-bas et qui ne le savent pas. C’est-à-dire, je parle bien le français, l’anglais, le créole - je viens du pays des Antilles Guyane -. Et, en même temps, j’ai réussi à connaître les expressions africaines. Les Ivoiriens ont un style pour parler le français. Ici aussi (au Sénégal) je m’adapte à la culture qui me plait beaucoup. En ce moment, avec la pandémie, on peut dire que ça nous a beaucoup touchés durant les deux dernières années, au niveau des pays de l’Europe et au niveau des États-Unis. Parce qu’on ne peut pas maintenant faire venir les artistes. Il y a beaucoup de problèmes d’immigration.
Mais je pense que dans les deux ou trois prochaines années, les gens viendront beaucoup plus en Afrique.
Quelle appréciation faites-vous du projet du Mémorial de Gorée ?
C’est une bonne chose. J’ai assisté à la mise en place de ce mémorial et la statue qu’ils (les autorités) vont faire surtout. La diaspora approuve ce monument. Mais le plus important, ce n’est pas le mémorial, c’est la Maison des esclaves. Il y a le voyage à faire pour arriver à l’île de Gorée et il y a l’histoire qu’on doit connaître. Quel que soit ce qui se passe, tous les Noirs qui sont à l'extérieur et ceux qui sont ici doivent connaître cette histoire. Ce n’est pas de la blague. Parce que j’ai eu le temps de visiter certaines chambres. Il y avait une dame qui venait des Etats-Unis avec moi. Mais elle n’a fait que pleurer. On lui a expliqué les conditions dans lesquelles étaient les gens, ceux qui étaient punis, là où il y avait les enfants, là où étaient les femmes. C’est important. Tout le monde à l’extérieur connaît l'île de Gorée, mais ce n’est pas toutes les personnes qui savent comment faire pour venir. Et elles ne savent pas qui va les recevoir à leur arrivée. Quand on prend le bateau pour aller à l’île de Gorée, je pense que la diaspora ne devrait jamais payer. (Ou) si elle doit payer, au moins, l’argent doit contribuer au développement de l’île de Gorée. C’est une très belle île, les gens sont très gentils, mais j’ai vu des maisons abandonnées, par exemple. Ça ne devrait normalement pas se faire. On devrait normalement trouver des solutions pour que ça soit des monuments, des musées, etc., qui puissent nous aider à mieux comprendre. Ou bien des hôtels où l’on peut se reposer. C’est très profond ce qu’on ressent. Moi, j’ai pris les bateaux peut-être dix fois pour aller là-bas. Mais à chaque fois que j’y vais, je le ressens très fort dans mon cœur. Imaginez-vous, il y a des gens qui n’ont pas la même expérience que moi, qui n’ont pas encore la chance de venir. J’ai pris comme mission d’aller chercher la diaspora pour venir ici.
Comment trouvez-vous les festivals organisés en Afrique ?
Je travaille beaucoup avec le festival Masa (Marché des arts et spectacle d’Abidjan), un très beau festival qui existe depuis plus de 25 ans et c’est vraiment le festival de la rencontre de tous les pays africains et des diffuseurs professionnels de l’Europe qui viennent pour apprécier et choisir, puis voir comment ils peuvent signer des contrats. Je travaille aussi avec le festival Visa for Music au Maroc, à Rabat. Là-bas, c’est un forum musical. Mon premier gros festival, c’est le festival Nuit d’Afrique. C’est à Montréal. On l’a commencé dans un petit club qui s’appelle Club Ballatou qui prend à peine 150 personnes. Et la deuxième année, ça a grandi ; on a commencé à faire dans la rue. Après la troisième année, on a déménagé dans une plus grande place qui prend à peu près 10 000 personnes, et ça a commencé à marcher. Et de 10 000, on est allé dans une place qui prend plus de 50 000 personnes. Et chaque année, le festival dure. Le propriétaire du festival s’appelle maintenant Lamine Touré ; c’est un Guinéen que j’ai connu au tout début des années 1980-1987. On a travaillé ensemble. A l’heure actuelle, le festival Nuit d’Afrique, c’est le plus grand festival africain en Amérique du Nord.