Publié le 15 Feb 2025 - 12:45
ALICE J. EDWARDS (RAPPORTEUSE SPÉCIALE DES NATIONS UNIES SUR LA TORTURE )

‘’La surpopulation que j'ai vue dans les prisons est dramatique et inhumaine’’

 

Dans le cadre de son séjour au Sénégal, la rapporteuse spéciale des Nations Unies sur la torture a effectué une visite dans des prisons qu’elle a qualifié de ‘’poudrière’’. A sa sortie, Alice Jill Edwards a fait des recommandations à l'endroit des autorités pour une meilleure prise en charge de cette couche.

 

La rapporteuse spéciale des Nations Unies sur la torture est en séjour au Sénégal. Dans le cadre de son programme,  Alice Jill Edwards a effectué des visites dans cinq prisons. Selon elle, le Sénégal doit prendre des mesures plus audacieuses pour garantir des conditions de détention conformes aux normes internationales. ‘’La surpopulation que j'ai vue dans les prisons est dramatique et inhumaine. Je crains fort que ce problème ne soit une poudrière qui pourrait exploser à tout moment, entraînant des émeutes, des violences ou la propagation rapide et incontrôlable de maladies infectieuses et transmissibles. Des mesures exceptionnelles doivent être adoptées de toute urgence pour alléger la pression sur le système pénitentiaire et établir des conditions dignes pour tous les détenus’’, a averti la rapporteuse spéciale dans un communiqué reçu à EnQuête.

Elle assure que les directeurs de prison qu’elle a rencontrés veulent bien faire et mieux pour les détenus. Cependant, l'ampleur de la surpopulation est telle qu'elle les amène à réduire même les normes les plus élémentaires, notamment les rations alimentaires quotidiennes par détenu et les directives sur la séparation des différentes catégories de prisonniers, souligne-t-elle.

Dans les cinq prisons qu’elle a visitées, elle y a découvert ‘’des chambres extrêmement encombrées où les détenus partagent de minces matelas et dorment tête-bêche. Dans un cas, l'espace sombre situé sous le lit superposé unique et long, mesurant seulement 40 cm de haut, était également utilisé comme espace de couchage et était entièrement occupé’’, regrette-t-elle.

‘’Certaines pièces étaient littéralement bondées de prisonniers. Les gens dormaient par quarts et dans les couloirs, et il y avait beaucoup trop peu d'installations sanitaires. De telles conditions de détention ne peuvent pas devenir normales. La situation est critique. Un État a un devoir de diligence particulier à l'égard des personnes privées de leur liberté’’, a déclaré Mme Edwards.

Ainsi, elle a identifié plusieurs mesures d'urgence que le gouvernement pourrait envisager, notamment la réduction automatique des peines de 20% pour les prisonniers purgeant des peines de trois ans ou moins et la libération immédiate des accusés qui sont en détention provisoire depuis plus d'un an, à l'exception de ceux qui sont détenus pour les infractions les plus graves. Elle soutient l'intention du gouvernement d'entreprendre une révision globale des peines. ‘’Même avec ces mesures, le problème sous-jacent ne sera pas résolu si les défis en amont de la lenteur de l'administration de la justice ne sont pas également résolus. Un changement d'approche est nécessaire, guidé par de nouveaux critères pour les procureurs et les juges afin que le maintien en détention provisoire jusqu'au procès devienne l'exception plutôt que la règle. J'ai rencontré trop de détenus qui sont en attente d'un procès depuis des années. C’est inacceptable’’, a indiqué la Rapporteuse spéciale.

La contradiction avec le Protocole de Maputo

Elle a également lancé un appel en faveur de la libération spéciale du grand nombre de femmes détenues sous l'inculpation d'avortement médical, y compris dans les cas de viol et d'inceste, une position en contradiction avec le Protocole de Maputo sur les Droits de la Femme en Afrique, ratifié par le Sénégal le 27 décembre 2004. ‘’En attendant, il n'y a aucune raison de détenir des femmes sous ces accusations’’, a-t-elle précisé.

L’abrogation de la loi d'amnistie demandée

En outre, Mme Edwards s'est également intéressée à l'application de la loi par la police et la gendarmerie dans les situations de contrôle des foules, à leurs pratiques d'enquête et aux réglementations régissant l'usage de la force. ‘’Je demande instamment au Sénégal d'abroger la loi d'amnistie qui accorde une immunité de poursuites aux personnes qui auraient été impliquées dans le recours à une force excessive et dans d'autres violations des droits de l'Homme commises lors des manifestations entre mars 2021 et février 2024. Le Gouvernement a l'obligation d'établir la vérité sur ces événements et de rendre justice et d'accorder des réparations aux victimes dans les meilleurs délais. J'invite le Gouvernement du Sénégal à envisager de rejoindre l'Alliance pour un Commerce sans torture, une initiative internationale réunissant des pays qui promeuvent l'élaboration d'un nouveau traité international réglementant l'utilisation, la production, le financement, la promotion et le commerce d'équipements et d'armes destinés à l'application de la loi’’, a-t-elle souhaité dans la même note.

La Rapporteuse spéciale présentera un rapport sur sa visite au Conseil des droits de l'Homme des Nations Unies en mars 2026.

 

RAPPORT ANSD SURPOPULATION CARCÉRALE

Des prisons trois fois plus pleines que prévu

En 2023, pour une capacité d’accueil réelle de 4 833 places, les prisons sénégalaises reçoivent 12 910 détenus, soit un taux d’occupation de 267 détenus pour 100 places (267%)

Selon l’Agence nationale de la statistique et de la démographie (ANSD) à travers une étude publiée en 2023, le Sénégal compte au total 37 établissements pénitentiaires répartis en quatre catégories :  32 maisons d’arrêt et de correction dont une pour femmes (MAC Rufisque), deux maisons d’arrêt (maison d’arrêt de Rebeuss et maison d’arrêt pour Femmes de Liberté VI), une maison de Correction (Sébikotane), deux camps pénaux (Liberté VI et Koutal). La région de Dakar se distingue nettement avec huit établissements pénitentiaires, soit 21,6% des infrastructures carcérales du pays. Les régions de Diourbel, Fatick, Kaolack, Louga, Saint-Louis, Thiès et Ziguinchor comptent chacune trois établissements pénitentiaires alors que Kolda et Tambacounda en disposent deux chacune. Les régions de Kaffrine, Kédougou, Matam et Sédhiou ont chacune un établissement pénitentiaire.

Le personnel des établissements pénitentiaires, en 2023, a été dénombré à 2 290 dont 1 923 hommes (84,0 %) et 367 femmes (16,0%). Plus de 87% d’entre eux sont des surveillants, 7,9% constituent des agents administratifs et 2,7% travaillent comme contrôleurs.

Par ailleurs, les femmes sont moins représentées que les hommes dans toutes les catégories. La situation du personnel pénitentiaire est loin d’être satisfaisante en termes d’offre et de couverture. En effet, avec un ratio d’un surveillant pour 11 détenus, la dotation en personnel pénitentiaire est bien en deçà des normes des Nations unies, qui préconisent un ratio d’un agent pour deux détenus. Ce déficit du ratio entre le personnel pénitentiaire et les détenus est aussi noté dans la couverture (capacité d'accueil) des établissements par rapport à la population carcérale. De ce fait, tous les établissements pénitentiaires du pays sont surpeuplés car ayant des taux d’occupation largement supérieurs à 100%.

En 2023, pour une capacité d’accueil réelle de 4 833 places, les prisons sénégalaises hébergent 12 910 détenus, soit un taux d’occupation de 267 détenus pour 100 places (267%). Cette situation, selon le document, est particulièrement marquée dans la région de Kédougou avec un taux d’occupation estimé à 501%. Les régions de Sédhiou (359%), de Saint-Louis (366%), de Matam (305%) et de Dakar (303%) présentent également des taux d’occupation très élevés. Les seules régions ayant des taux d’occupation inférieurs à 200% sont Kaffrine (168%) et Ziguinchor (112%). Il est nécessaire de construire de nouveaux établissements pénitentiaires afin de réduire considérablement ces taux d’occupation élevés.

Concernant Population carcérale, l’effectif de la population carcérale s’élève respectivement à 12 550 et 12 910 détenus en 2022 et 2023. Concernant la répartition par sexe, la population carcérale est majoritairement composée d’hommes qui représentent en 2022 (97,5% ;12 239) et en 2023 (97,0% ;12 524). Entre ces deux années, l’effectif des hommes a connu une hausse importante de 285 en valeur absolue et 2,3% en valeur relative. Chez les femmes, il a été relevé également une hausse des effectifs de 75% en valeur absolue et 24,1% en valeur relative.

Le vol et le recel et la détention et l’usage de chanvre indien, la moitié des infractions commises par les prisonniers en 2023

En 2023, ‘’le vol et le recel’’ (31,8%) et ‘’la détention et l’usage de chanvre indien’’ (16,5%) représentent presque la moitié (48,3%) des cas d’infractions commises par les personnes adultes écrouées au Sénégal. Ils sont ensuite suivis par les autres types d’infractions (11,3%), ‘’l’escroquerie, l’abus de confiance et faux et usage de faux’’ (10,8%), les ‘’coups et blessures volontaires’’ (6,9%) et la ‘’participation à une manifestation non autorisée’’ (5,7%). Les autres infractions font chacune moins de 5%.

Chez les mineurs écroués en 2023, les infractions les plus courantes constituent le ‘’vol et recel’’ (59,8%), les ‘’coups et blessures volontaires’’ (9,0%) et la ‘’participation à une manifestation non autorisée’’ (7,7%). Ces infractions sont suivies par la ‘’détention et l’usage de chanvre indien’’ (5,8%) et le ‘’viol, l’attentat à la pudeur et la pédophile’’ (5,1%).

Chez les femmes écrouées, le ‘’vol et recel’’ et les ‘’coups et blessures volontaires constituent les principaux motifs d’incarcération avec respectivement 24,4% et 21,1% des cas d’infractions, suivis de ‘’l’escroquerie, l’abus de confiance et faux et usage de faux’’ (13,5%) ensuite vient le ‘’défaut de carnet sanitaire et social-proxénétisme’’ (11,7%). Le trafic de drogue représente 5,6% des cas d’infractions chez les femmes.

Le ‘’vol et recel’’ représente 26,0% des in- fractions commises par les étrangers écroués, Les ‘’autres types d’infractions’’ viennent en deuxième position avec 18,4%. Le troisième rang est occupé par la ‘’détention et l’usage de chanvre indien’’ avec 16,7%. ‘’L’escroquerie, l’abus de confiance et faux et usage de faux’’’ constituent 8,6% des cas d’infractions commises par les étrangers.

 

CHEIKH THIAM

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