Y en a marre s’investit pleinement, depuis le début de la crise sanitaire au Sénégal, dans la lutte. Pour une première fois, ils ont accepté de se rendre au palais présidentiel et d’échanger avec le président de la République. Le coordonnateur national de ce mouvement contestataire, Aliou Sané, revient sur cette audience au cours de laquelle ils ont fait diverses propositions à Macky Sall. Ils pensaient si bien faire, mais leurs suggestions n’ont pas toutes été prises en compte telles qu’ils les avaient pensées. Aliou Sané se dit déçu par la tournure que la gestion de cette crise a prise. Il regrette le pilotage à vue de l’Etat qui a eu des conséquences désastreuses et qui exposent de plus en plus les Sénégalais. Il a partagé son opinion sur le vrai-faux ou faux-vrai décret sur l’honorariat ainsi que le bradage du littoral avec cette affaire des terrains du phare des Mamelles.
Quelle est la part de Y en a marre dans la lutte contre le coronavirus ?
Quand on se réfère à l’histoire de Y en a marre, sa trajectoire, notre participation dans la lutte contre cette pandémie ne devrait surprendre personne. Quand il y a eu les inondations à Dakar, Y en a marre s’était beaucoup investi dans la banlieue pour prêter main-forte aux populations. On avait appelé à un vaste investissement humain pour sauver des maisons. On avait sauvé également l’hôpital Philippe Maguilen Senghor et la gendarmerie de la Foire. C’était au moment où beaucoup de gens pensaient que les forces de l’ordre étaient nos ennemies, à cause des manifestations qu’il y avait entre 2011 et 2012, et la répression inouïe qu’on a subie de la part des forces de l’ordre qui ne répondaient qu’à des ordres.
Pour le coronavirus, dès qu’il y a eu les premiers cas, et analysant l’impact que cela a eu ailleurs dans des pays développés, nous nous sommes dit qu’il ne fallait pas attendre pour se mobiliser. Y en a marre devait rester fidèle à ses convictions et à son engagement en tant que mouvement citoyen. Nous avons tout de suite fait une déclaration officielle pour nous engager à renforcer le gouvernement dans le dispositif mis en place. Par la même occasion, nous avons appelé les Sénégalais de tous bords à s’investir, parce que c’est le Sénégal qui est menacé. Cette question du coronavirus étant un problème sanitaire complexe, il était important, pour nous, de nous référer aux professionnels de la santé pour élaborer les bons messages de sensibilisation.
C’est pourquoi nous avons demandé une audience avec le ministre de la Santé qui nous a reçus avec tous ses conseillers. Nous avions déjà dans le pipeline le single ‘’Fagaru ci Coronavirus’’. On leur a fait écouter cela et ils ont tout de suite validé les messages. Le single a tout de suite commencé à circuler au Sénégal et à l’étranger. On a, après, commencé à élaborer des capsules-vidéo pour la vulgarisation des mesures barrières. Et sur ces productions les suggestions des techniciens du ministère nous ont permis d’améliorer la qualité du travail qu’on devait faire. On a fait nous-mêmes ces capsules. En tant que structure organisée, Y en a marre a le matériel technique, pour faire de telles capsules. Nous avons également les moyens humains pour le faire. On a des journalistes parmi nous, des spécialistes de la communication. C’était, pour nous, notre manière d’apporter, de manière bénévole, notre contribution dans cette lutte. Après la production et la diffusion sur les réseaux sociaux, nous avons pu négocier avec une télé qui a accepté de diffuser gratuitement ces capsules de sensibilisation.
Y en a marre a aussi été sur le terrain. Parlez-nous de vos actions auprès des communautés.
Quand l’Etat a annoncé sa décision de généraliser le port du masque dans les lieux publics, nous avons remarqué qu’il n’y avait pas assez de mesures d’accompagnement pour faciliter l’accès aux masques aux Sénégalais. C’est dans ce cadre qu’on a lancé la campagne ‘’Sa masque, sa karangee’. Notre objectif, à terme, est de mobiliser, à travers le réseau Y en a marre, des masques à distribuer partout. On a ciblé d’abord les localités les plus touchées que sont Dakar, Touba, Louga, Thiès, Ziguinchor, Vélingara et Saint-Louis. On s’est déployé pendant deux semaines dans ces villes. Nous avons, à ce jour, pu distribuer 12 à 13 mille masques de qualité.
Cela a été accompagné d’activités de sensibilisation et d’actions sur le terrain comme le marquage au sol devant certaines boulangeries et autres lieux de commerce, en collaboration avec les graffeurs du mouvement. Le président Macky Sall demande aux Sénégalais d’apprendre désormais à vivre avec le coronavirus, sans les accompagner véritablement, sans leur donner les moyens de pouvoir le faire. Partout où on va, on voit les Sénégalais sans masque. Quand on leur demande la raison, ils disent qu’ils n’en ont pas, car leur préoccupation, c’est d’abord leurs moyens de subsistance. Ils n’ont pas de quoi s’acheter un masque. Nous avons bouclé la première zone ciblée. Nous allons faire la même chose dans d’autres zones du pays.
Comment avez-vous fait pour financer ces actions ?
Du single musical à la production des vidéos, c’est des coûts. Si on évalue la production des 10 capsules-vidéo de sensibilisation, ça vaut cher. Mais Y en a marre a ses équipements techniques. Et il a décidé de mettre tout ce dispositif technique au service de cette lutte, en mobilisant également ses ressources humaines. C’est notre contribution citoyenne. On a contribué à travers ce qu’on sait faire. Pour les masques, nous avons discuté avec les tailleurs des différentes localités investies pour les impliquer dans la lutte. Nous leur avons juste donné de quoi acheter du tissu pour la confection. Les masques nous sont revenus à 200 F CFA l’unité, parfois même à 150 F CFA. Nous avons lancé dans notre réseau un appel à contributions, ce qui nous a permis d’appuyer ces tailleurs. On lance un appel pour arriver à distribuer 50 mille masques. C’est notre objectif.
Quand vous avez été reçu au palais, aviez-vous fait part au chef de l’Etat de votre programme ?
Dans le passé, à diverses occasions, nous avons été invités à rencontrer le président. Mais à terme, soit les formes ou les termes ne nous ont pas convenus et on a décliné. Mais, dans ce contexte, quand on a vu tous les ravages causés par la pandémie, on s’est dit que c’est le moment d’être ensemble et de tirer dans le même sens pour vaincre cet ennemi qui est le coronavirus. C’est pour cela que quand on a été contacté pour rencontrer le président, nous avons accepté comme beaucoup d’autres acteurs. On s’est dit que c’était une opportunité, vu notre engagement sur le terrain et notre implication, connaissant les problèmes des Sénégalais, de dire au président de la République les préoccupations des Sénégalais. On a eu avec lui l’une des rencontres les plus longues.
Normalement, les échanges devaient durer une trentaine de minutes. Nous avons eu près d’une heure ou plus de discussions sur la Covid, mais également sur d’autres questions. On s’est rendu compte qu’il était au courant de ce que nous faisions sur le terrain. Il avait, je pense, eu un compte rendu de tout cela de la part de ses collaborateurs. Notre préoccupation était que dans ce contexte où l’Etat prend des mesures qui retiennent des Sénégalais chez eux, de faire part au président des préoccupations de ces derniers. On a vu, avec le couvre-feu, que les Sénégalais voulaient le respecter. Mais les mesures prises par l’Etat et concernant le transport rendaient cela difficile. On a estimé qu’il était important de lui en parler. On a vu des vidéos de policiers bastonnant des Sénégalais. A partir de 18 h, en longeant l’autoroute, on voyait beaucoup de Sénégalais marcher pour arriver chez eux avant 20 h. On avait alors demandé à l’Etat de réquisitionner les bus de Dakar Dem Dikk et des entreprises privées de transport, dans ce contexte de coronavirus, pour que les Sénégalais puissent rentrer chez eux.
Au-delà de cela, l’une des préoccupations qu’on avait, c’était de dire à l’Etat que l’une des meilleures manières d’aider les Sénégalais était que le gouvernement prenne en charge leurs factures d’eau et d’électricité pour trois mois. On voulait que cette mesure puisse profiter au maximum de ménages. Nous avions dit aussi au président que l’une des meilleures manières d’aider les ménages, dans ce contexte, était de réduire drastiquement, jusqu’à 50 % si possible, les prix des denrées de première nécessité. Cela permettrait aux Sénégalais, dans leur globalité, de sentir l’appui de l’Etat. Nous lui avons également rappelé la loi sur la réduction du prix des loyers. On s’est dit que c’était le moment de la rendre effective. Cela aurait pu aider les Sénégalais à rester chez eux. En un mot, Y en a marre est allé au palais pour porter la voix des Sénégalais, surtout celle des couches défavorisées.
Etes-vous déçu, après l’annonce des mesures prises ?
Il y a un point sur lequel nous avions beaucoup insisté. Nous avions dit au président que c’était bien d’engager cette dynamique. Tout le monde avait d’ailleurs répondu. Ce qui est rare. On lui avait dit que ce qui cimenterait cet élan, c’est ce qu’il fera de toutes les suggestions faites, de la transparence qui serait la lame de fond de tout ce qui allait venir. Nous lui avions spécifiquement dit qu’il fallait une transparence dans la gestion des mille milliards annoncés pour le fonds Force-Covid-19. Que pour l’aide alimentaire, il fallait travailler à sortir du fichier des bourses familiales, parce que beaucoup de Sénégalais pensent que c’est politisé. Qu’il fallait faire en sorte que cette aide arrive aux Sénégalais qui en ont droit. Pour cela, nous avions fortement suggéré de mettre en place un comité qui puisse assurer la gestion de manière transparente. Le 3 avril, la mise en place de ce comité a été annoncée par le président Macky Sall. Mais la charrue a été mise avant les bœufs. La distribution de l’aide alimentaire a été confiée à son beau-frère Mansour Faye. On a vu les difficultés qu’il y a eu sur l’attribution des marchés. C’est l’un des premiers coups portés à cet élan de solidarité autour du président et cela a eu des répercussions sur beaucoup de choses qu’on voit aujourd’hui.
Donc, vous êtes déçu…
On se dit que l’Etat aurait pu faire mieux. On attendait beaucoup mieux. D’abord, sur la question du fonds Force-Covid-19, il était important que juste après la déclaration du président, que le comité soit mis en place et qu’il ne soit pas composé comme c’est actuellement le cas. On a l’impression d’avoir un comité de dialogue politique. On s’attendait à voir un comité composé de technocrates, des spécialistes en logistique, en gestion, des gens rompus à la tâche techniquement et qui puissent avoir les coudées franches et faire des arbitrages, établir une méthode, lancer des appels, etc. On s’attendait, dans ce contexte de crise, qu’avec les appels pour la fourniture de certaines denrées, qu’on fasse appel à plusieurs acteurs du domaine qui voient leur business menacé par la Covid-19. Ce qui leur permettrait de ne pas trop ressentir l’impact de cette crise. Mais on a vu que le comité n’a pas été mis en place à temps et c’est cela qui a favorisé, avec les actes que Mansour Faye a posés, que les Sénégalais s’indignent et tout ce qu’il y a eu autour.
Aujourd’hui, dans la pratique, on a entendu le ministre Mansour Faye dire qu’on ne pourra pas respecter les délais. C’est normal. Si le président centralise tout autour de lui et ses techniciens, il est normal qu’on en soit là. Aujourd’hui, la question qui revient tout le temps, est ‘’où est passé le riz ?’’. Nous avons lancé un sondage sur notre page Facebook Y en a marre et la question était : ‘’Pouvez-vous témoigner objectivement avoir reçu cette aide de l’Etat ou voir des proches en bénéficier ?’’ On a récolté 2 500 réponses et les 86 % ont dit non. Y en a marre a un réseau national. On est partout. A partir des remontés qu’on a, tous les Sénégalais se demandent où est passée l’aide. Certains ont des bons, mais n’ont rien reçu. D’autres ont reçu du riz et on leur demande de patienter parce que l’huile n’est pas encore disponible. Je peux dire donc que oui, entre ce que les gens avaient posé comme préoccupation, ce qui était annoncé en termes d’exigence de transparence et de gouvernance dans la distribution de cette aide, il y a un fossé. On peut dire que les choses ne se sont pas passées comme annoncé.
Pour les factures d’eau et d’électricité, beaucoup de Sénégalais s’attendaient à plus.
Ne craignez-vous pas des soulèvements, vu la situation ? L’aide tarde à être acheminée et la crise s’accentue.
Il y a beaucoup de choses qu’on voit et qui résultent des tâtonnements, de cet amateurisme, de ce pilotage à vue de l’Etat. Tous les ratés qu’il y a eu dans ce processus expliquent beaucoup de choses dont certaines décisions prises par l’Etat et qui exposent les Sénégalais. On parle d’une pression populaire, sociale et religieuse pour la réouverture des lieux de culte. Mais l’on doit se demander d’où est partie cela. Des décisions ont été prises pour qu’il n’y ait pas de rassemblements. Au départ, tous les Sénégalais ont dit oui. Les mosquées ont été fermées. Mais quand on voit dans l’exécution et le suivi un manque d’équité, cela fragilise l’autorité et la décision de l’Etat.
Qu’appelez-vous manque d’équité sociale ?
Quand on voit qu’à Kaolack, l’imam a été convoqué et même suivi par le khalife, alors qu’ailleurs à Touba, on voit un ancien Premier ministre aller prier le vendredi, cela pose problème. Cela a fait le lit de certaines indignations. Cela a participé à la fragilisation de la décision de l’Etat. Dans le suivi, il y a eu un manque d’équité et du deux poids, deux mesures. Les gens ont commencé à demander la réouverture des lieux de culte. Karim Xrum Xax a soutenu cette thèse-là. Il a été arrêté, emprisonné à cause de ces préoccupations qu’il exprimait à sa manière. On peut avoir une opinion sur la façon dont il l’a fait, mais il demeure qu’il demandait la réouverture de ces lieux de culte comme beaucoup de concitoyens d’ailleurs. Aujourd’hui, l’Etat a accédé à cette demande, mais l’activiste reste maintenu en prison.
C’est incompréhensible. Karim doit être libéré. Aussi, on part du fait qu’en mars, quand le président annonçait qu’on allait tout fermer, que l’heure était grave, qu’il ne fallait pas se rassembler, on était à près de 50 cas de Covid-19. Qui peut comprendre qu’on décide d’assouplir ces mêmes mesures, alors que la situation sanitaire est plus délicate, avec plus de 2 000 personnes testées positif à la Covid-19, au moment où il prenait cette décision, avec des cas communautaires qui se multiplient ? Et surtout que cette décision d’assouplissement est prise sans une stratégie claire avec de réelles mesures d’accompagnement. Du point de vue sanitaire, personne ne peut expliquer cette décision. La réponse, il faut peut-être la chercher sur les considérations économiques et aussi sociales.
Est-ce que tout cela n’est pas dû au système hybride dans lequel nous étions ? On est ni en confinement ni en totale liberté ?
Dès le début, les problèmes ont, en effet, commencé. On a tardé à fermer les frontières. Et ce n’était même pas une décision souveraine du Sénégal. Il a fallu que tout le monde ferme pour qu’on en fasse autant. Malgré tout cela, on s’est quand même dit renforçons le gouvernement. C’est cela qui a sous-tendu notre engagement. Dès le départ, on était entre confiné et mi-confiné. Chemin faisant, plus on avance, plus il y a eu des ratés. Aujourd’hui, on en arrive à cette situation de ‘’nu golo xam booté domam’’.
‘’Apprenez à vivre avec le virus’’. N’est-ce pas l’aveu d’impuissance de l’Etat, d’où tout ce relâchement ?
C’est ce que les gens ont compris. Dans les Etats sérieux, des prévisions sont faites. On sait quand on va atteindre le pic. Ici, on ne sait pas si on a dépassé le pic, si on y est ou pas encore. C’est sur la base de prévisions faites que certains pays se disent qu’à telle période, on va sortir. Ils savent si la situation est maitrisée ou pas. Ils prennent les dispositions adéquates au moment opportun. Chez nous, on n’a rien de cela. L’Etat n’a pas une vue globale sur la situation. Les cas communautaires continuent à foisonner. On n’a même pas les moyens de tester massivement les populations de certaines zones comme Dakar où les cas communautaires grouillent. Aujourd’hui, on dit qu’il faut traquer les cas communautaires. Mais comment le faire si on n’a pas un système de dépistage qui soit à la hauteur ? Les Sénégalais sont engagés à lutter contre la maladie, mais malheureusement, dans le pilotage à vue, dans cette guerre contre la pandémie, on ne se retrouve pas. Aujourd’hui, on continue à nous battre suivant nos convictions, ce qu’on peut faire.
L’Etat n’est-il pas en train de viser l’immunité collective sans le dire ?
Les pays qui ont fait ce choix l’ont clairement dit. Les Etats font des choix qu’ils assument. Ceux qui ont choisi cela se sont donné les moyens d’aller faire cela et de l’encadrer. Le peuple le sait et accompagne l’Etat dans cela. Mais la réalité est que nous, nous n’avons pas eu de stratégie. Beaucoup disent que oui, c’est l’immunité collectivement, d’autres pensent qu’on va vers le confinement et il y a un groupe qui soutient que le gouvernement du Sénégal n’a pas les moyens de confiner sa population. Tout est flou. On est dans le tâtonnement qui met en danger la santé des Sénégalais. La conséquence est que les Sénégalais ne suivent plus l’Etat. On est sur le terrain et faisons de la sensibilisation, mais les citoyens vaquent à leurs occupations comme si de rien n’était.
L’Etat leur a dit ‘’Apprenez à vivre avec le virus’’, mais n’a rien mis en place à cet effet. Il n’y a même pas un système de communication pour expliquer ce que cela veut dire aux populations et quels sont les moyens à déployer pour aider à atteindre ces objectifs. Non ! Ce n’est pas comme ça. Un ami m’a dit qu’au-delà des populations, même les forces de sécurité ont lâché du lest. Il a une autorisation de circuler, mais il me dit qu’on ne le contrôle plus. Avant, les forces de sécurité le faisaient systématiquement. Mais maintenant, personne ne l’arrête pour le contrôler. Le dispositif n’est plus le même. C’est très, très grave. Au moment où les cas se multiplient, on assiste à ce genre de chose. On a plus de 3 000 cas, des cas communautaires et on se relâche à presque tous les niveaux. Je ne peux comprendre qu’on prenne 1 600 enseignants qui quittent Dakar, épicentre de la Covid-19, et qu’on les renvoie à l’intérieur du pays sans aucune forme de précaution. C’est incompréhensible !
Que dire de leurs conditions de convoyage ?
Oui, des enseignants ont été empaquetés et acheminés un peu partout dans le Sénégal sans les tester. Vous imaginez le risque qu’a pris l’Etat ! Aujourd’hui, on nous a parlé de deux (dix) enseignants testés positifs à Ziguinchor. Cela conforte toutes les inquiétudes que beaucoup de pères et de mères de famille ont concernant la reprise des cours ce 2 juin. On a tous vu ce qui s’est passé au terminus Dakar Dem Dikk de Liberté 5. Il y a aujourd’hui de quoi avoir peur pour retenir son enfant ou ses enfants à la maison
L’Etat a décidé, à la dernière minute, de reporter encore la rentrée. Comment appréciez-vous cette reculade ?
Les autorités étatiques semblaient jusque-là ne pas se rendre à l’évidence qu’il n’était pas possible, de façon raisonnable et sécurisée, de reprendre les cours ce 2 juin. Des Sénégalais le disent depuis des semaines. Des enseignants ont quitté Dakar qui est considérée comme l’épicentre du virus avec plus de 75 % des cas. Quand on a vu, on s’est dit que cette reprise n’était pas possible. Ce n’était pas sûr. L’Etat semblait être seul à ne pas voir cela. Cela fait au moins trois jours qu’on parle des cas de Ziguinchor. Malgré cela, les autorités ont persisté dans leur décision et ont voulu coûte que coûte que les cours reprennent le 2 juin. Ce n’est qu’à la veille, tard le soir, que la décision est tombée. On peut dire qu’il n’est jamais trop tard pour se ressaisir, se reprendre et mettre en place un schéma très ‘’sécure’’ en impliquant tous les acteurs de l’enseignement et même la société civile. Personne ne veut d’une année blanche, mais il faut s’adapter à cette réalité du coronavirus. Beaucoup d’agendas doivent être chamboulés pour s’adapter au contexte actuel. L’Etat est garant de la santé des Sénégalais. Donc, il faut qu’un schéma soit mis en place pour une reprise sereine.
Mais aujourd’hui, quelle est la pertinence de ce couvre-feu ?
Depuis le début, des Sénégalais trouvaient que ce couvre-feu n’était pas pertinent. Le virus ne circule pas que la nuit. Il est là pendant le jour. Les Sénégalais se sont malgré tout résolus à respecter ce couvre-feu, en se disant qu’il faut renforcer le gouvernement dans ses décisions. Mais aujourd’hui, quand on décide de tout ouvrir ou presque, tout revient à la normale pendant la journée, garder ce couvre-feu n’a plus de sens. Pendant la journée, sortez un peu dans Dakar et vous verrez que les gens ont repris leur train-train quotidien. Et c’est dommage !
Ne faudrait-il pas confiner Dakar au moins qui est l’épicentre de la pandémie ?
Pour moi, il faut un dépistage massif. La tendance, quand on compare le nombre de personnes testées, on est entre 9 et 12 % de positivité. Imaginez qu’on teste 1 million de personnes et qu’on se retrouve avec 10 % de cas positifs… C’est inquiétant. On ne peut nous opposer la question des moyens. Des pays comme l’Ouganda ou le Ghana l’ont fait. Ils ont testé le maximum de personnes dans les zones rouges. C’est une approche. Après, il faudra faire de sorte que les gens ne se déplacent pas dans d’autres régions du pays.
Mais si on teste massivement aussi, on n’a pas les moyens de prendre en charge et en même temps tous les malades…
Oui, on a des difficultés. Même les pays qu’on dit développé ont du mal. C’est une limite partagée par beaucoup de pays qui ont plus de moyens techniques que nous. Ce n’est pas une raison de ne pas tester massivement en ciblant les zones fortement touchées comme Dakar et Touba. Au moins, en testant, cela permettrait, derrière, de réduire toute possibilité de propagation, de contamination.
Pour vous, au niveau national, quelle est la leçon à apprendre de cette crise ?
Tout le monde s’accorde à dire que rien ne devra plus être comme avant. Le coronavirus nous a appris qu’avant tout, il faut savoir compter sur nous-mêmes. Face à cette maladie, tout le monde s’est replié sur soi-même. Tout le monde gère ses propres cas. Quand on nous dit aujourd’hui que l’hôpital Fann n’a que 18 lits de réanimation, c’est effarant. Le coronavirus nous met face à nous-mêmes et nous conforte sur le discours que beaucoup de mouvements citoyens ont sur la gouvernance de nos pays. Des mouvements comme Y en a marre, Frapp ont toujours parlé de ces choses-là. On a toujours exigé la bonne gouvernance. On ne peut s’en sortir si nos gouvernants n’apprennent pas à respecter les citoyens, en mettant les conditions d’une meilleure gouvernance de ces ressources, une meilleure redistribution de ces richesses. Face au coronavirus, On a vu les difficultés de la super puissance, les USA, et l’Italie qui se fait aider par Cuba qui lui envoie ses médecins. On a vu qu’un autre monde est possible après cette Covid-19. Mais il faudra que dans nos pays, au-delà du discours, qu’on sache tirer les bonnes leçons et prendre les bonnes décisions. Il nous faut une souveraineté sanitaire. Et c’est possible ! On ne veut plus de femmes qui accouchent sur des charrettes.
Au-delà du système de santé, c’est la gouvernance globale de nos pays qu’on doit revoir. Il nous faut revoir nos rapports avec les autres. On l’a dit au président quand il nous a reçus.
En pleine crise, est sorti un décret sur l’honorariat au Conseil économique, social et environnement. Que pensez-vous de ce débat ?
Il est dommage que, dans ce contexte où on dit qu’il faut maitriser 1 000 milliards de francs CFA pour venir en aide aux Sénégalais, dans ce contexte où les Sénégalais attendent cette aide alimentaire qui ne vient pas, dans ce contexte où des pères et mères de famille ont du mal à joindre les deux bouts, les Sénégalais souffrent, on vient nous dire qu’il y a un décret signé par le président de la République portant honorariat d’anciens responsables d’une institution super décriée par rapport à sa pertinence. Tous les Sénégalais s’accordent à dire que ce Cese n’a aucun intérêt. Dans ce contexte de crise, beaucoup avaient suggéré la suppression de cette institution. C’est ce qui a été fait quand il y a eu les inondations. Au lieu de cela, on nous amène un décret avec tous les avantages annoncés. Un problème moral se pose ainsi. Si les avantages annoncés sont vrais, c’est irrespectueux envers les Sénégalais.
On dit cela parce que derrière, il y a eu un démenti de la présidence. Cela a aggravé les choses. Ce communiqué officiel a juste démenti, mais n’a pas sorti le vrai décret. Après une voix s’élève, qui n’est même une voix autorisée, mais un directeur d’une société nationale, le DG du ‘’Soleil’’, qui brandit un autre décret le présentant comme le vrai. On ne nous dit pas si ce qui a été mentionné dans le premier décret est vrai ou faux. On maintient le flou. Si ce qui est annoncé dans le premier décret est avéré, c’est scandaleux, surtout dans ce contexte de Covid. Si ce décret est faux, l’Etat a les moyens de savoir le plus rapidement possible qui a falsifié la signature du président de la République. Il s’agit de la signature du président ! Tous les Sénégalais lui ont donné le pouvoir de signer à leur place. Ils nous disent que c’est un faux décret et que la signature du président a été imitée. L’Etat doit être à même de savoir qui a fait ça, de l’arrêter et de prendre les mesures idoines. C’est grave. Donc, que le décret soit vrai ou faux, c’est grave.
L’actualité, c’est aussi le bradage du littoral. Y en a marre s’est engagé depuis quelques années dans cette lutte. Les choses s’accentuent aujourd’hui. Quelle va être votre part dans la lutte ?
En 2014, pour s’être opposé à l’érection d’un mur sur la Corniche, on a eu droit à des gaz lacrymogènes et même une garde à vue à la police centrale, je crois. Il y a eu une réelle initiative citoyenne dénommée ‘’Non au mur’’. Il y a l’ambassade de la Turquie au Sénégal qui voulait construire un mur sur la Corniche. Cela obstruait et empêchait des Sénégalais d’en profiter. Cet espace est protégé par la loi sur le domaine national maritime. Il y a eu un combat autour de cela avec d’autres citoyens. On a été gardé à vue, mais le président avait pris la décision d’arrêter les travaux. Au-delà de ce cas spécifique, il y avait un combat plus global pour la protection du littoral. Malheureusement, on voit que le problème reste entier. On a vu ces derniers jours, on a vu des acteurs se lever pour se battre et on pense que cela en vaut le coup. Il faut que, dans 20 ans, nos enfants ne soient pas obligés de payer 3 000 F CFA pour payer un café et avoir le droit de profiter de la plage.
C’est un combat de tous. Cela pose encore la question de la gouvernance de nos pays. Les gens se sont battus au prix de leur vie pour qu’il y ait des alternances à la tête de nos pays, un souffle nouveau avec une autre façon de gouverner. Je pense que c’est ce qui a amené Macky Sall au pouvoir. La quintessence de son axe de campagne, à l’époque, c’était sur la gouvernance vertueuse, la non-prédominance de la famille présidentielle dans les affaires de l’Etat. Mais qu’a-t-on fait de tout cela aujourd’hui ?
Mais l’Etat dit que c’est l’ancien régime qui a vendu les terres du littoral.
Sur cette question comme sur d’autres, on nous dit toujours cela. C’est le cas avec les licences du pétrole. Mais Macky Sall a été porté au pouvoir pour faire un diagnostic de tout cela et prendre les décisions qui vont dans le sens de l’intérêt général. C’est ce qui est attendu d’eux. On n’a pas élu des gens pour qu’ils nous disent tout le temps ‘’ce n’est pas nous, ce sont les autres’’. Les autres ont été dégagés pour que vous arriviez et que cette aspiration profonde du peuple sénégalais pour le changement soit matérialisée. Ils nous disent cela depuis ‘’Non au mur’’, et ils nous disent on va le faire. Mais il faut auditer tout ce littoral. Il faut voir qui a pris quoi et qui n’a pas droit à quoi et prendre les décisions qui s’imposent. Il faut que, de manière sérieuse, que l’Etat se penche sur cette question. Malheureusement, pour y arriver, il faut que les populations se mobilisent. Il faut que les citoyens comprennent que c’est à eux de pousser les gouvernants vers cela. Nous, on va continuer de se battre pour cela.