Un parfum de règlement de comptes
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Entre coups bas, accusations, contre-accusations, invectives et incidents, la Chambre des notaires du Sénégal a tenu, samedi dernier, son Assemblée générale et a débarqué sa désormais ex-présidente Me Aissatou Sow Badiane.
Elle est finalement tombée, les armes à la main, le cœur plein de rancœur. Elle, c’est Maitre Aissatou Sow Badiane, désormais ancienne Présidente de la Chambre des notaires du Sénégal (CNDS). Contre vents et marées, la bonne dame, devenue la cible de moult critiques, a voulu aller jusqu’au bout de son ambition. Mais la corporation en a décidé autrement. Lors de l’élection du président de la chambre tenue ce samedi dans un hôtel de la place, elle a été laminée par son challenger et ancien vice-président Maitre Alioune Ka.
Ainsi, Me Sow va devoir passer le témoin au terme d’un seul et unique mandat.
Avant de quitter l’institution, elle aura crié tout haut l’amertume qui l’habitait depuis un certain temps. Dès le préambule de son allocution, elle peste : ‘’… Je vais vous dire la vérité pour que vous soyez éclairés et que nous évitions, au sein de notre respectable profession, calomnies et invectives de bas étage. Pour qu’ensemble, parce que plus responsables, nous continuons la lutte afin que ces inquiétudes et malentendus soient définitivement dissipés.’’ En fait, tout au long de la préparation de cette assemblée générale, la chambre, habituellement connue pour sa sérénité, a été secouée par un vent de suspicions autour de la réforme du statut des notaires. Dans les couloirs des offices notariaux comme dans les réunions, il ne bruissait que des réformes en train d’être menées de main de maitre par le ministre de la Justice Me Malick Sall.
Mais pour la plupart des notaires, c’est surtout parce que la désormais ancienne présidente n’a pas été à la hauteur. Et cela a fait l’objet d’une grande cabale orchestrée dans le saint des saints. Raison pour laquelle Me Sow a tenu à laver son honneur. Et parfois, c’est avec des mots très durs, révélant le niveau de son amertume. Morceaux choisis : ‘’Je me fais le devoir de rétablir la vérité sur des mensonges et contrevérités distillés à dessein, notamment en ce qui concerne l’introduction de la retraite des notaires dans notre statut, les questions relatives à la mutation des notaires d’une résidence à une autre, les conditions d’accès à notre profession et l’organisation du Congrès des notaires d’Afrique.’’
Sur toutes ces questions, Mme Badiane a estimé qu’elle a, à tort, été accusée par certains membres de la corporation pour laquelle elle s’est pourtant dévouée corps et âme. Mais, à n’en pas douter, la question qui cristallise davantage les attentions, c’est celle relative à l’introduction de la retraite dans le nouveau statut des notaires. Accusée d’être l’instigatrice de cette grande innovation de Me Sall, Me Aissatou Sow, arguments à l’appui, a démontré qu’il n’en est absolument rien.
La réforme sur la retraite, une pilule toujours pas avalée
D’abord, a-t-elle tenu à préciser, le projet de réforme et de modernisation des statuts remonte à ses deux prédécesseurs. A son arrivée, elle a mis en place une commission pour parachever le travail. Laquelle commission était composée de Jean-Paul Sar, Alioune Ka, Mahamadou Maciré Diallo, Aida Seck, Tabara Diop et elle-même. Après le toilettage, le texte a été soumis à l’appréciation du bureau élargi au comité directeur. Ensuite, il a été transmis au directeur des Affaires civiles et du Sceau. Il n’a jamais été question de retraite dans ce texte, selon l’ancienne présidente, reconstituant les différentes étapes de l’élaboration du nouveau statut.
Arrivé à la chancellerie, le projet a été envoyé par la tutelle auprès d’autres services et ministères qui ont eu à formuler des observations, avant que la version finale, arrêtée par le ministre, ne nous soit retournée le 3 février 2020. ‘’Je l’ai diffusé immédiatement à l’ensemble des notaires du Sénégal. Avec les réactions qu’il a suscitées, une réunion du bureau s’est tenue dans l’urgence. Afin de porter à la connaissance du ministre ce qui a été retenu, lors de cette réunion, et pour lui faire part combien nous étions farouchement opposés à certaines dispositions de ce texte, nous lui avons demandé une audience. Au lieu de nous recevoir, le garde des Sceaux nous a demandé, par courrier en date du 21 février, de lui communiquer par écrit nos observations sur le texte.’’
Selon son témoignage poignant, elle était en voyage. Mais elle a demandé à son vice-président, Maitre Alioune Ka (nouveau président de la CNDS) de mettre en place une commission technique chargée de formuler des observations écrites à transmettre au garde des Sceaux. Une réunion élargie à tous les notaires du pays a ainsi été tenue le 27 février 2020. A son retour, elle n’aurait fait que signer le compte-rendu et l’a transmis à la tutelle. A sa grande surprise, dit-elle, sans leur revenir, le garde des Sceaux a, le 10 juin, présenté le texte en Conseil des ministres sans tenir compte de leurs préoccupations. Sitôt cette adoption, elle informe s’être personnellement investie pour décrocher une audience avec le chef de l’Etat. Ce qui a été fait dans les 48 heures. L’audience s’est finalement tenue le 16 juin. Lors de cette audience, a-t-elle affirmé, ‘’j’ai défendu bec et ongles, parfois avec heurts, nos intérêts, notamment sur les dispositions relatives à la retraite, avec un argumentaire aussi bien juridique que social. Le président avait instruit le garde des Sceaux de prendre en compte nos observations.’’
En fait, deux questions préoccupent fondamentalement les notaires du Sénégal. D’une part, ils veulent rester notaires à vie. D’autre part, ils ne veulent pas du tout la démocratisation de l’accès à la profession. Mais pour une fois, ils se sont heurtés à la détermination de l’actuel ministre de la Justice. Maitre Aissatou Sow admet : ’’Si la tutelle a pris, d’autorité, la décision d’instaurer une retraite des notaires, que faire ? Négocier avec souplesse comme je l’ai fait avec l’appui du Conseil des sages ou par pure mauvaise foi, parce qu’on n’est pas aux affaires ou par opportunisme politique, inciter à la rébellion et au lynchage ? Pour ma part, la négociation s’avère plus productive.’’ Madame Badiane d’argumenter : ‘’A preuve, si en l’état, la décision sur la retraite devait être maintenue, c’est pour intervenir à 78 ans. En plus, qui plus que moi la retraite impacterait-elle ? Moi qui suis notaire et épouse de notaire ?’’
Dernièrement, dans un article intitulé ‘’La reculade’’, ‘’EnQuête’’ alertait sur les menaces de voir l’Etat revenir sur certains points positifs de la réforme adoptée en Conseil des ministres le 10 juin dernier. Parmi ces points, il y a essentiellement la retraite et le concours d’aptitude. La chancellerie avait réagi pour rappeler qu’il est, pour elle, hors de question de revenir sur certaines questions, notamment la démocratisation de l’accès par le concours et le principe de la retraite. Toutefois, reconnaissait le garde des Sceaux, au lieu de 70 ans, l’Exécutif tranche maintenant pour une retraite à 75 ans.
Lors de l’Assemblée générale, la présidente sortante a, en fait, révélé que les notaires partiraient à la retraite à 78 ans. ‘’Ne pouvant immédiatement revenir totalement sur une décision débattue et adoptée en Conseil des ministres, il a été retenu de porter l’âge de la retraite de 70 à 75 ans, avec une possibilité de prolongation à 78 ans’’, a-t-elle expliqué. Avant d’interroger l’assistance : ‘’Dans ces circonstances, suis-je défenseur ou instigatrice ou encore autocrate ? Comment peut-on, à la fois, être l’instigateur et s’ériger en défenseur, surtout devant l’autorité suprême ? La probité dont j’ai fait serment en embrassant cette profession m’interdit un tel comportement.’’
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Les vœux du nouveau président
Pour sa part, le nouveau président a misé sur l’unité, l’oubli des frustrations et un ambitieux programme pour faire face aux défis.
Lors de son acte de candidature, Me Alioune Ka a surtout accentué son discours autour de l’unité et de la solidarité. ‘’Refusons la fracture, fédérons nos énergies, refusons d’être un conglomérat d’intérêts particuliers’’, s’est-il écrié devant ses confrères et consœurs.
Ainsi seulement, estime-t-il, les notaires pourront relever les défis qui les assaillent. Il affirme : ‘’Ces défis ne pourront être relevés par notre organe de représentation que dans un climat apaisé et dans l’unité de ses membres, alliant la sagesse de nos ainés et la fougue de notre jeunesse.’’
Dans la foulée, Me Ka annonce de larges concertations sous la forme d’états généraux du notariat. Selon lui, ce sera l’occasion de faire l’état des lieux de la profession, de vider les frustrations accumulées et d’arriver à des consensus forts pour envisager de belles perspectives d’avenir. ‘’Je m’engage, soutient-il, à prêter une oreille attentive aux préoccupations de toutes les composantes de notre profession, en initiant une large concertation avec tous les acteurs de la famille notariale. Laquelle revêtira le caractère d’états généraux’’.
A l’instar de son prédécesseur, il a, lui aussi, fait allusion aux différents problèmes qui ont secoué la profession. ‘’Que de remous suscités par l’adoption de certaines dispositions du statut des notaires ! Que de remous provoqués par la prochaine création de charges notariales à pourvoir !’’, s’est-il exclamé.
Par ailleurs, le nouveau président de la Chambre des notaires du Sénégal a décliné les différents axes de son programme à ses confrères. Parmi ces axes, il invoque : l’érection de l’organe de représentation en ordre professionnel, la loi portant statut des notaires jusque-là refusée par la tutelle, le privilège de juridiction, l’immatriculation massive des terres du domaine national, l’institution d’une caisse de retraite subventionnée par l’Etat.
Mor AMAR