Publié le 14 Feb 2025 - 08:45
AUDIT DES COMPTES PUBLICS

La grande nébuleuse

 

Attendu depuis décembre, le rapport de la Cour des comptes est finalement sorti hier et fait état d'une gestion peu orthodoxe des finances publiques.

 

Le mythe s'est effondré. Il n'y a plus aucun secret dans la gestion des comptes publics de l'État du Sénégal. Tout est désormais sur la place publique. La Cour des comptes a publié hier son rapport intitulé : “Audit du rapport sur la situation des finances publiques, gestion 2019-2023”. Le moins que l'on puisse dire, si l'on se fie aux conclusions du rapport, c'est que le tableau est très sombre. Ci-après les principaux constats faits par la haute juridiction : tirages sur ressources extérieures supérieurs à ceux affichés dans le rapport du Gouvernement ; encours de la dette supérieur à celui figurant au rapport du Gouvernement ; disponibilités du Trésor supérieures à celles indiquées dans le rapport du Gouvernement ; montant de la dette garantie supérieur à celui présenté dans le rapport du Gouvernement ; déficits budgétaires supérieurs aux niveaux affichés dans le rapport du Gouvernement ; service de la dette bancaire hors cadrage non retracé dans le rapport du Gouvernement ; encours de la dette bancaire hors cadrage supérieur au montant affiché dans le rapport du Gouvernement.

En d'autres termes, si l'on en croit la Cour, la situation des finances publiques serait bien plus grave que ce qui avait été présenté par le Premier ministre Ousmane Sonko au mois de septembre dernier. Pour le déficit public, on est à plus de 12 % ; pour l'encours de la dette, plus de 99 %.

En ce qui concerne le déficit public, alors que les critères de convergence de l'UEMOA le fixent à 3 %, l'ancien régime l'évaluait à 3,9 % en 2019 ; 6,4 % en 2020 ; 6,3 % en 2021 ; 6,1 % en 2022 ; et 4,9 % en 2023. Le rapport montre que le déficit affiché par le Gouvernement est inférieur à celui reconstitué par la Cour, qui est de 12,3 % en 2023. “Pour reconstituer le déficit budgétaire, la Cour a pris en compte les éléments suivants : le montant réel des dépenses financées sur ressources extérieures ; les rattachements irréguliers des recettes ; les décaissements extrabudgétaires financés par une partie du surfinancement ; les décaissements extrabudgétaires financés par le sukuk ; les dépenses financées par la dette bancaire hors cadrage, c’est-à-dire la dette contractée auprès du système bancaire sans autorisation parlementaire ; l’octroi d’une avance de trésorerie d’un montant de 204,58 milliards de F CFA non régularisée”, explique la haute juridiction.

Déficit public et encours de la dette : la Cour constate le pire

Dans le même sillage, les auditeurs précisent que les dépenses financées par la dette bancaire hors cadrage sont intégrées sur la base des relevés bancaires. “Elles sont relatives aux charges financières de la dette, aux acquisitions de biens et services et aux transferts. Les opérations de trésorerie, notamment le remboursement du principal de la dette, ne sont pas prises en compte car n’impactant pas le déficit. De même, les décaissements notés dans les relevés bancaires, dont les libellés ou la nature ne sont pas explicités, sont exclus du calcul du déficit conformément au principe de prudence.

À propos de l’avance de trésorerie d’un montant de 204,58 milliards de F CFA non régularisée, “le Ministre des Finances et du Budget précise que celle-ci a servi à payer des impôts pour un montant de 170 milliards de F CFA en 2021. Ainsi, il y a lieu de considérer ce montant dans la reconstitution du déficit et non l’intégralité du montant de 204,58 milliards de F CFA. La Cour considère que l’avance n’étant pas régularisée, le montant y relatif doit être enregistré dans le TOFE pour un montant de 204,58 milliards de F CFA”, s'est-elle justifiée.

Par rapport à l’encours de la dette, le rapport indique que les disponibilités du Trésor sont passées de 122,2 milliards de F CFA à fin 2019 à 173,6 milliards de F CFA à fin 2023, soit une moyenne annuelle de 178 milliards de F CFA (une hausse de 25 % en valeur relative). Il est à noter que les ressources ont atteint un montant cumulatif de 298,8 milliards de F CFA à fin 2021, expliqué essentiellement par les appuis reçus dans le cadre de la lutte contre la COVID-19. Les auditeurs constatent un encours de la dette supérieur au montant figurant dans les documents de reddition. “L’encours de la dette est reconstitué, dans le cadre de la contradiction avec le MFB, en relation avec la Direction de la Dette publique. Il tient compte du montant réel des prêts projets, de la dette bancaire hors cadrage et de certaines corrections effectuées par la DDP portant notamment sur le financement.” Les travaux réalisés montrent ainsi que l’encours total de la dette de l’administration centrale budgétaire s’élève à 18 558,91 milliards de F CFA, au 31 décembre 2023, et représente 99,67 % du PIB.

Une dette bancaire énorme

Au-delà des questions liées au déficit et à l'encours de la dette qui étaient très attendus, il y a la question de la dette envers les banques qui représente un autre grand point d'attention. Selon le rapport, les dettes de l’État vis-à-vis du secteur bancaire sont passées de 781,30 milliards de F CFA en 2019 à 2 219,79 milliards de F CFA à la fin de l’exercice 2023, même si les données sur les cinq (5) dernières années sont incomplètes. “Partant des déclarations des établissements de crédit installés au Sénégal, il ressort que la dette globale de l’État et ses démembrements s’élève au 31 mars 2024 à 3 816,69 milliards de F CFA dont 3 091,40 milliards de F CFA sont dus par l’État central. Ce qui représente 81,00 % de l’encours”, constatent les auditeurs. Selon ces derniers, les crédits directs sont en grande partie contractés par l’État central (2 044,0 milliards de F CFA ; 74,52 %). Il en est de même des titres qui sont essentiellement détenus sur le Trésor public (1 047,65 milliards de F CFA ; 98,65 %). Il y est noté des certificats nominatifs d’obligations émis au profit de quatre (4) établissements pour un encours de 190,05 milliards de F CFA.

Il ressort de l'examen du rapport que la situation des disponibilités de l’État transmise à la Cour par le Trésorier général est arrêtée à 278,47 milliards de F CFA au 31 décembre 2023. Or, le rapport du Gouvernement indique un solde de 173,6 milliards de F CFA, soit un écart de 104,87 milliards de F CFA. “Toutefois, constatent les magistrats de la Cour des comptes, la circularisation auprès de la banque B.A. révèle l’existence : d’un solde créditeur au 31 décembre 2023 d’un montant de 479 607 713 F CFA du compte n°80130730000 ouvert au nom du Trésorier général mais non communiqué par le Trésor ; d’un solde au 31 décembre 2023 de 3 141 F CFA en lieu et place de 15 000 003 141 F CFA enregistré au compte n°80080030000 ouvert au nom de l’État du Sénégal et géré par le Ministre chargé des finances que le Trésorier général a indûment intégré dans ses disponibilités. Au total, les disponibilités du Trésor au 31 décembre 2023 sont arrêtées à 263,95 milliards de F CFA tel que retracé dans le tableau ci-après.”

Les ministres, directeurs des budgets et le trésorier général directement interpellés

Sur cette question, le Trésorier a certes donné des explications qui ont été corroborées par la Banque, mais cela a semblé sans grands effets sur les constatations de la juridiction. “Le Trésorier général admet que le compte est bien ouvert à son nom. Il ajoute que « le solde dudit compte ouvert dans les livres de la Banque B.A. au 31 décembre 2023 est bien de 15 000 000 141 F CFA. Ce solde résulte de la réalisation d’une opération de trésorerie (mouvement de fonds) constatée le 29 décembre 2023 dans ses livres”, indique le rapport qui renvoie à l'attestation bancaire de réception de fonds fournie par la Banque B.A. et à la référence de l’opération jointe en annexe n°1.

“En considérant le relevé transmis par la Cour des Comptes, poursuit le document, il est constaté que le montant de 15 000 000 000 qui fait la différence est passé au crédit du compte en début d’année 2024 (03 janvier 2024). Ce qui résulterait d’un problème technique au niveau de la Banque. Sur cette base, il est sollicité de la Cour des Comptes le rajout de ce montant aux disponibilités du Trésorier général au 31 décembre 2023 qui doivent ressortir à un montant de 278,47 milliards de F CFA.” Le Trésorier général a, selon les auditeurs, produit une attestation de la banque B.A. confirmant l’existence d’un virement d’un montant de 15 000 000 000 F CFA à la date du 29 décembre 2023 dans le compte n°80130730000 ouvert à son nom.

Malgré toutes ces preuves, la Cour a retenu que le relevé transmis par la banque affiche un solde de 479 607 713 F CFA à la date du 31 décembre 2023. “En réalité, le Trésorier général a procédé le 29 décembre 2023, à partir de son compte règlement ouvert à la BCEAO, à un virement d’un montant de 15 milliards de F CFA dans le compte n°80130730000 ouvert à son nom dans les livres de la banque B.A. Ce virement positionné le 02 janvier 2024 est transféré le même jour dans le compte n°80080030000 ouvert au nom de l’État du Sénégal dans la même banque et géré par le Ministre chargé des finances. Le montant est aussitôt utilisé pour payer des dépenses non autorisées au profit de divers fournisseurs. En définitive, la Cour retient le solde de 479 607 713 F CFA au 31 décembre 2023 ; ce solde n’a pas varié fin janvier 2024”, ont-ils précisé.

Par ailleurs, il résulte du rapport plusieurs autres constats relatifs, notamment aux reports des surfinancements. Aussi notent les auditeurs à propos du fameux surfinancement de plus de 600 milliards, qu’une partie a été utilisée sans couverture budgétaire. “La Cour constate que sur les 604,7 milliards de FCFA annoncés au titre du surfinancement, une partie est consommée sur autorisation du Ministre des Finances et du Budget, pour un montant de 326,43 milliards de F CFA destiné à des dépenses relatives au remboursement de dettes bancaires, au secteur de l’énergie et au soutien à la consommation.

Le faux scandale de la vente des biens de l'État

La question a soulevé pas mal de commentaires et de fantasmes. Certains ont fait comme si les biens de l'État avaient été aliénés à des particuliers. Au titre de ces biens, on note le siège du ministère des Finances, l'immeuble Pasteur, même le building administratif. Mais à y voir de près, il s'agit plutôt d'une opération destinée à lever des fonds sur le marché financier. Le rapport indique : “...Pour réaliser cette opération, l’État a procédé à la vente de certains de ses immeubles bâtis à la SOGEPA, par décret n°2022-163 du 03 février 2022 portant cession à titre onéreux au profit de la Société, dans le cadre du développement du Sukuk, de divers immeubles bâtis appartenant à l’État.”

À noter que la SOGEPA est une entité qui appartient exclusivement à l'État et qui a en charge la gestion de son patrimoine. “Il convient de rappeler que l’article 4 de la loi n°2021-36 du 22 novembre 2021 autorisant la création de la SOGEPA permet le transfert par l’État à la SOGEPA, par cession à titre gratuit ou onéreux, ou par tout autre mode, des droits et immeubles nécessaires à la réalisation de son objet social”, soutiennent les auditeurs qui soulignent que : “Les biens dont la liste figure au tableau, ci-après, sont vendus pour une valeur de 198 092 000 000 F CFA sur la base d’un rapport d’évaluation et après avis favorable de la Commission de Contrôle des Opérations Domaniales (CCOD), après consultation à domicile.”

MOR AMAR ET AMADOU CAMARA GUEYE

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