Publié le 27 Dec 2024 - 16:14
AUTEUR DE LA PLAINTE CONTRE LE GÉNÉRAL MOUSSA FALL

Qui est Ibrahima Dramé, radié des cadres de la gendarmerie ?

 

Le lundi 23 décembre 2024, le quotidien ‘’L’Observateur’’ a fait cas d’un supposé différend entre l’ancien haut commandant de la gendarmerie, le général Moussa Fall, et le sieur Ibrahima Dramé, chef d’escadron radié des cadres de la gendarmerie. Si le général Fall n’est plus à présenter, il n’en est pas de même pour l’ex-commandant Ibrahima Dramé. Qui est-il vraiment ? ‘’EnQuête’’ a tenté d’y répondre.

 

Ibrahima Dramé est issu de la 22e promotion (2002-2004) de l’École nationale des officiers d’active. À sa sortie d'école comme sous-lieutenant, chef de section d’infanterie, il a été affecté à la Direction du matériel des armées sise à Bel Air. Puis, il a été envoyé en France pour un stage de neuf mois à l’École supérieure d’application du matériel (Esam) à Bourges. À son retour au Sénégal en 2005, il a été promu lieutenant le 1er juillet 2005.

Il a servi dans les sections légères du matériel, notamment à Kolda et à Tambacounda. Plus tard, en 2006, il a réussi au concours d’entrée à la gendarmerie. Ce qui lui a ouvert les portes du cours supérieur de l’École de gendarmerie de Faladié au Mali.

Revenu au Sénégal en 2007, il a entamé sa carrière d’officier de gendarmerie.

Un début très mouvementé dans la gendarmerie

Il a débuté sa carrière dans les unités mobiles. Au camp Leclerc, où il était adjoint au commandant d’escadron, il a, dès 2008, fait l’objet d’une plainte de la part du gendarme M. Guèye, à qui il avait emprunté cinq cent mille francs CFA sans les lui rembourser. Le gendarme, qui revenait d’une mission des Nations Unies au Congo, venait de percevoir sa prime de fin de mission. Ayant été approché par l’officier, sans arrière-pensée, il lui avait prêté le montant demandé.

Selon nos sources, Dramé a multiplié les frasques auprès de ses subordonnés, au point d’être rayé de la liste des militaires qui devaient aller en mission en Haïti en 2009-2010. Face à la multitude des plaintes contre lui, le Haut commandement de la gendarmerie nationale avait décidé de le retirer du contingent.

Promu capitaine le 1er octobre 2009, il a fait plusieurs autres unités, sans être réellement responsabilisé, puisque le commandement n’avait pas confiance en lui.

En 2012, il a brièvement été adjoint au commandant de la compagnie de gendarmerie de Ziguinchor. Plus tard, à l’école des sous-officiers de Fatick, où il était directeur des études, il a eu des rapports tendus avec le colonel Ousmane Ndior, qui commandait l'école et qui ne lui pardonnait pas son comportement auprès des élèves (dettes par-ci, prélèvements indus de fonds par-là).

Très intelligent et l’un des meilleurs de sa génération, il a réussi au concours pour l’obtention du Diplôme d’État-major (DEM) et à l’examen pour l’obtention du Diplôme d’aptitude au grade d’officier supérieur (Dagos). Promu au grade de chef d’escadron (commandant) le 1er avril 2015, il a réussi avec brio au concours d’admission à l’Ecole de guerre, mais n’a finalement pas été faire le stage, puisqu’il avait choisi d’aller en mission au Congo pour pouvoir ‘’s’acquitter de ses dettes en fin de mission’’, lorsqu'il aura perçu sa prime.

Il a été aidé en cela par le colonel Sidya Diédhiou, qui était chef de cabinet du général Mamadou Guèye Faye, haut commandant de la gendarmerie à l’époque. En 2016, il a été envoyé au Congo, où il commandait l’une des deux unités constituées de police, l’autre étant commandée par le colonel Ousmane Ndior, sous les ordres de qui il était à Fatick.

En mission au Congo : des accusations d'exploitation et d'abus sexuels

À peine arrivé au Congo, il a manifesté un intérêt particulier pour les fonds dégagés pour le fonctionnement du contingent. Il a commencé à ordonner des dépenses ‘’injustifiées’’ sans rapport avec les activités de l’unité. Les échos de ses ‘’malversations’’ sont vite parvenus à Dakar. Par mesure de prudence et à titre conservatoire, le haut commandement a décidé de lui retirer la gestion des fonds et de tout confier au colonel Ousmane Ndior.

Cette décision a exacerbé les tensions qui existaient déjà entre les deux officiers depuis Fatick, où ils servaient ensemble, l’un sous les ordres de l’autre. Le commandant Ibrahima Dramé, dit-on, en voulait à mort au colonel Ndior, qui est resté zen en refusant de le suivre dans sa logique.

C’est dans cette ambiance que le commandant Dramé a été cité dans une affaire de SEA (Sexual Exploitation and Abuse). Selon des sources, il rodait autour d’une femme mariée et a fini par être surpris par le mari de cette dernière. Il a été dénoncé auprès de la mission.

Or, qui connaît le système des Nations Unies sait que le SEA est impardonnable en théâtre d’opérations. À la suite d’une enquête et face à la multiplicité de ses bourdes, il a été rapatrié et mis aux arrêts de rigueur à Mbao (prison militaire).

Entre-temps, le contingent du Congo est rentré.

Très futé, le commandant Dramé, de la prison militaire, a envoyé un gendarme auxiliaire pour lui payer une puce. Sans se soucier de quoi que ce soit, en bon subordonné, ce dernier est allé s’exécuter en identifiant la puce à son nom propre, puisque le commandant ne lui avait pas remis sa pièce nationale d’identité.

Plus tard, le colonel Ousmane Ndior a commencé à recevoir des messages de menaces venant d’un numéro qu’il ne connaissait pas. Il s’en est ouvert au commandement et a porté plainte contre X à la Section de recherches. C’était en janvier 2018, sous le commandement du général Meissa Niang.

L’enquête ouverte a permis de remonter vers le gendarme auxiliaire A. Bodian, au nom de qui la puce a été identifiée. Interrogé, il a affirmé avoir acheté et remis aussitôt la puce au commandant Dramé. Finalement, il s’est avéré que c’est lui qui menaçait le colonel Ndior. Ce dernier, cependant, a décidé d’abandonner les poursuites judiciaires, mais a demandé qu’une sanction disciplinaire soit prise contre le commandant Dramé.

Les actes d’escroquerie qui l’ont mené en prison et qui lui ont valu sa radiation

Affecté à l’État-major particulier (Empart) du président de la République, le commandant Dramé, qui n’a tiré aucune leçon de tout ce qui lui est arrivé, a repris ses activités délictuelles. Le 11 mai 2022, le commandant de la brigade prévôtale a reçu une plainte collective de trois policiers et d’un entrepreneur à qui il a pris un montant total de 32 200 000 F CFA, après leur avoir promis de leur octroyer un logement à la cité Gendarmerie de Cambérène. Or, il n’avait aucune responsabilité dans le processus d’attribution des logements.

Ses victimes ont saisi la justice. Il s’agit des adjudants de police J. P. Ndong et C. S. Sambou, de l’agent de police K. Diop et du sieur M. Diop, entrepreneur qui lui a versé à lui seul 22 000 000 F CFA.

Lors de l’enquête administrative ordonnée par le haut commandant de la gendarmerie, le commandant Dramé a tout reconnu, en demandant qu’un délai lui soit accordé pour rembourser. Il a soutenu avoir utilisé l’argent pour construire la maison de sa mère en Casamance.

Au même moment, une autre plainte est tombée contre lui pour escroquerie au visa. Profitant de son statut d’officier supérieur de gendarmerie en service à l’Empart, il avait fait croire à de jeunes Sénégalais que la gendarmerie avait planifié des voyages pour son personnel et qu’il restait des places. Il leur avait fixé un package de 2 500 000 F CFA comprenant les frais de voyage.

Il a ainsi réussi à gruger les nommés A. B. Fall (2 500 000 F CFA), I. Guèye (2 650 000 F CFA, parce qu’il voulait amener avec lui son frère, M. Guèye, qui a versé 1 400 000 F CFA en plus) et Y. Ndour (2 500 000 F CFA).

Nos interlocuteurs renseignent que le commandant Dramé recevait ses ‘’victimes’’ dans son bureau en face du palais, ce qui les a confortés et les a rendus plus réceptifs à son plan.

Face à tous ces actes constitutifs d’escroquerie, conformément à l’article 379 du Code pénal, le haut commandement lui a appliqué les mesures disciplinaires prévues par le décret 90-1159 du 12 octobre 1990 portant règlement de discipline générale dans les forces armées. Le ministre des Forces armées lui a infligé 60 jours d’arrêt de rigueur et a demandé sa traduction devant un conseil d’enquête en vue de sa radiation des cadres.

Parallèlement, ses victimes ont exercé leurs droits en saisissant le procureur pour qu’une suite judiciaire soit donnée. Pendant qu’il était aux arrêts de rigueur (prison militaire), il a profité d’un moment d’inattention des gendarmes auxiliaires préposés à sa garde pour s’échapper et aller composer pour un concours, alors qu’il était sous le régime de la punition. C’est pour cela que l’ordre a été donné d’aller le chercher, puisqu’il n’aurait pas dû être dans la salle de composition.

Dans la poursuite de l’action judiciaire intentée par les plaignants, il a été déféré au parquet et placé sous mandat de dépôt. Il a été jugé et condamné. Le 21 novembre 2022, le conseil d’enquête s’est réuni pour statuer sur son cas. À l’unanimité, le conseil a donné un avis favorable pour sa radiation des cadres pour ‘’faute contre l’honneur, la probité ou les devoirs généraux du militaire’’. L’autorité ayant pouvoir de décision, en l’occurrence le président de la République, a, par décret n°2023-112 du 4 janvier 2023, décidé de le radier des cadres et de le verser dans les réserves comme soldat.

Le 31 décembre 2023, il a bénéficié d’une grâce présidentielle.

Les menaces qui lui ont valu un deuxième séjour carcéral

Sorti de prison, rapportent nos sources, il s’est rendu à son village natal en Casamance et a commencé à envoyer des messages de menaces à des officiers supérieurs et au général Moussa Fall. À ce dernier, dit-on, il a envoyé ce message : ‘’Tu vas vivre pire que ce que j’ai vécu. Je connais ta femme et je connais ton fils. J’ai fait deux ans de prison, je n’ai plus rien à perdre. Je sais me battre. Je vais aller là où je sais faire usage des armes. Salif Sadio n’est pas plus Casamançais que moi.’’

Sur la base de ces menaces contre un officier général et surtout contre la sécurité nationale, puisqu’il parle de Salif Sadio et de recours aux armes, donc implicitement de la rébellion du MFDC, une plainte a été déposée contre lui par l’avocat de la gendarmerie. Le procureur saisi a envoyé un soit-transmis à la Section de recherches de Dakar pour enquête et arrestation, si les faits sont établis.

S’étant réfugié en Casamance, il a fait l’objet d’un avis de recherche et d’arrestation, sur la base duquel la SR de Ziguinchor l’a arrêté et transféré à Dakar. Il a à nouveau été déféré et placé sous mandat de dépôt. L’instruction est en cours au premier cabinet.

AMADOU FALL

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