Publié le 25 Jul 2020 - 22:57
AVOIR SES REGLES EN MILIEU SCOLAIRE

Les menstrues, cause d’absentéisme et de contre-performances

 

Les menstrues font partie de la vie normale d’une jeune fille. Seulement, elles ne sont pas toujours bien vécues par certaines. D’autres font face à des douleurs atroces et se heurtent à un manque de dispositif de protection et d’hygiène dans les écoles qu’elles fréquentent.

 

C’est censé être un phénomène physiologique cyclique chez la jeune femme. Perçue de manière anodine, à la périphérie des préoccupations de santé publique, ses conséquences sont pourtant non négligeables. Les règles douloureuses constituent un vrai ralentisseur pour la carrière scolaire des filles. Comme pour Fatou Niang. La mine déconfite, elle se tortille sur elle-même. Téléphone scotché à l’oreille, la collégienne rassure un proche sur son état de santé. ‘’Je viens à peine de me réveiller. Je vais beaucoup mieux’’, lance-t-elle à l’interlocuteur au bout du fil. 

La jeune fille, en classe de 3e dans un établissement privé de la commune de Grand-Yoff, est en période de menstrues. Et les douleurs qui accompagnent l’apparition des règles ne lui laissent aucun répit. Surtout durant les jours de classe. ‘’Je peux parfois rester une semaine sans aller au cours, par exemple, si les règles surviennent du lundi au vendredi. Je suis souvent sujette à des crises. Surtout le premier jour où j’ai très mal au bas-ventre. Je me redresse difficilement et les vomissements ne s’arrêtent pas. Je ne fais que m’allonger’’, explique la jeune fille d’une petite voix.

Le calme qui règne dans sa chambre mal éclairée par un petit écran de télévision contraste fort avec l’ambiance des ruelles du quartier Santhiaba de Grand-Yoff. En ce vendredi, le quartier populaire est en effervescence.

Fatou est pourtant à des années-lumière de cette frénésie voisine. Dans une maison aux murs roses défraichis, cette fille élancée reste retranchée dans sa chambrette. Elle regrette les contrôles continus qu’elle a ratés à cause de ses règles douloureuses. Devant l’impossibilité de justifier ses absences sur une base médicale, elle a vu des zéros sanctionner plusieurs de ses devoirs. ‘’Cette année, j’ai raté un devoir de français et l’année dernière, je pense que j’en avais manqué trois. Le prof m’avait demandé de me justifier. Comme je n’ai pas pu le faire, il m’a donné zéro. Et le pire est qu’à l’école, on n’a pas d’infirmerie et aucun dispositif n’est prévu pour les filles en période de menstrues’’, déplore-t-elle.

‘’Une fille sur dix ne va pas à l’école, en période de menstrues’’

A priori, le mal est bénin. Mais la gestion des menstrues en milieu scolaire souffre d’un problème structurel : elle n’est pas prise en compte par beaucoup d’établissements. Le sujet souffre d’être rangé dans les assignations de genre. Il est soit minimisé, soit enveloppé de tabous. Ce jusque dans les statistiques, dont l’indisponibilité rend impossible toute idée claire de la problématique au Sénégal.

D’après un rapport de l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (Unesco) publié en 2018, une fille sur dix ne va pas à l’école pendant son cycle menstruel, en Afrique subsaharienne. Ce qui correspond, d’après certaines estimations, à 20 % du temps scolaire perdu sur une année. Pire, le Fonds des Nations Unies pour l’enfance estime qu’en Afrique, 66 % des filles ne disposent pas d’une bonne information sur la menstruation avant d’être confrontées à leurs premières règles, ce qui rend l’expérience négative et parfois traumatisante. La même source indique que sur le continent africain, une fille en âge de scolarisation sur dix s’absente régulièrement de l’école pendant ses règles.

Un constat amer qui a poussé l’ONG allemande Wash United à instaurer, depuis 2014, une journée mondiale de l’hygiène menstruelle (28 mai). Son but est de rompre le silence et vulgariser l’information pour permettre à la communauté en général, à la communauté scolaire en particulier, de communiquer et d’échanger sur l’amélioration de la gestion de l’hygiène menstruelle. Même le choix du 28 mai pour célébrer cette journée porte la symbolique féminine. ‘’Le choix du jour, le 28e du mois, a été effectué en pensant à la durée moyenne d’un cycle menstruel. Le mois de mai est quant à lui le 5e de l’année, soit le nombre de jours moyen de la durée des règles’’, fait savoir un site dédié à cet évènement.

Durant ces périodes, des jeunes filles scolarisées peinent à se concentrer. En plus des douleurs atroces, elles ont des problèmes de protection, avec l’indisponibilité des serviettes hygiéniques. Des solutions personnalisées existent en dehors d’un plan directeur national. Elles doivent beaucoup à la sensibilité des dirigeantes d’établissement à saisir la délicatesse de la question. D’après l’ancien censeur du lycée Kennedy et actuelle proviseur du lycée Lamine Guèye, Mme Aissatou Sy Sow, des dispositifs sont installés dans certains établissements et dans toutes les écoles où elle a servi, pour mettre les filles à l’aise durant ces périodes. ‘’Nous avons des dotations en serviettes hygiéniques et en médicaments destinés aux filles’’, explique-t-elle (voir l’entretien).

Seulement, cette assistance est une sorte de service minimum, selon Rokhaya Nguirane, étudiante en 1re année dans une institution privée. Trouvée chez elle en pleine corvée ménagère dans une ‘’tenue quelconque’’, la jeune fille de teint clair évoque à ce propos ses souvenirs de l’année précédente, en classe de terminale. ‘’Les médicaments qu’on nous donne souvent au lycée n’ont aucun impact thérapeutique, donc pas d’effet. Il m’arrivait souvent de passer une journée à supporter la douleur en classe et ne pas suivre correctement les explications du professeur’’, fait-elle savoir. Mais, précise la jeune femme, toutes les écoles qu’elle a fréquentées mettent à la disposition des filles des serviettes hygiéniques. Cependant, regrette cette résidente de Ouakam, les règles douloureuses sont souvent minimisées ou même considérées comme un faux alibi pour sécher les cours.

‘’Pour être libérée par l’administration, il faut vraiment avoir une douleur extrême qui va souvent, pour certaines, jusqu’à l’évanouissement. C’est en ce moment que l’école se décide à laisser partir la malade’’, indique-t-elle.

 Une assertion confirmée par sa sœur ainée, aujourd’hui étudiante. Aissatou se souvient d’ailleurs du jour où elle ne tenait plus sur ses jambes, à cause des douleurs qui la transperçaient littéralement. L’infirmière qui a vu ma situation s’aggraver m’a vite demandé de rentrer. Je me suis alors débrouillée pour partir seule, alors que je n’avais même pas d’argent pour prendre un taxi’’, se remémore-t-elle péniblement, l’esprit hanté par la douleur.

‘‘Ceux qui disent que ces filles simulent n’ont rien compris’’

Comment combattre ces assignations qui renforcent les préjugés sur les menstrues, de surcroit dans un milieu scolaire censé être libéral ? Pour la psychologue Aminata Mbengue, les administrations de ces établissements scolaires doivent être plus attentives à l’état de santé des filles, dans cette situation. Pour l’activiste féministe, l’école doit aussi lutter contre les stéréotypes et tabous de la société. ‘’Quand les jeunes filles disent qu’elles sont malades, il faut les écouter. Ceux qui disent qu’elles simulent n’ont rien compris’’, s’insurge-t-elle.

Pour cette spécialiste, l’école doit avoir une autre approche envers ces filles, car elles n’ont pas toujours la bonne information.

Aux yeux de Mme Mbengue, à l’âge pubère, les jeunes filles en construction psychologique sont sur plusieurs fronts. Elles préfèrent souvent se barricader plutôt que d’affronter l’extérieur. ‘’Elles sont très fragiles, très sensibles aux moqueries, au regard des autres. Des fois, elles ont des habits tachetés et sont confrontées au manque de toilettes dans les établissements scolaires. Alors, ces jeunes filles préfèrent rester à la maison, parce qu’à l’école, elles ont trop de choses à gérer et n’ont pas forcément dans la tête l’espace nécessaire pour supporter tout cela’’, analyse-t-elle. Madame Mbengue pense d’ailleurs que cette question doit occuper des termes plus généraux dans les débats, car elle est spécifique aux femmes. Or, confie-t-elle, tout ce qui touche aux femmes est minimisé. ‘’Cela doit être au cœur des priorités, parce que ça touche les droits fondamentaux. Il ne faut pas en faire uniquement une affaire de femme ; c’est une affaire de santé et les jeunes filles ont droit à accéder aux meilleurs services’’. 

Cet aspect médical n’est pas non plus pris en compte par les concernées qui, pour soulager leurs douleurs, versent dans l’automédication ou ont recours aux recettes de grand-mère. Elles excluent toute consultation gynécologique. Car, pour ces demoiselles, il n’y a aucun traitement pour venir à bout de ces règles douloureuses. Ainsi, si les sœurs Nguirane optent pour des calmants, Fatou Niang, elle, a réussi à s’apaiser ce mois grâce à une infusion de persil sur recommandation de sa grand-mère. En attendant les prochaines menstrues…

HABIBATOU TRAORÉ

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