Le littéraire mouride aux 13 644 vers
Moussa Ka, considéré comme le chantre du mouridisme, a beaucoup écrit sur Serigne Touba Cheikh Ahmadou Bamba Khadimou Rassoul, sa famille, ses cheikhs, entre autres. Qui était cet homme qui chantait les louanges de Bamba pendant les temps de braises du mouridisme et présenté comme le chantre de la poésie wolof ?
Dans le landerneau mouride, il est connu pour être l’un des plus grands écrivains qui chantaient les louanges de Serigne Touba Cheikh Ahmadou Bamba, Khadimou Rassoul, sa famille, ses cheikhs, les prophètes. Serigne Moussa Ka, puisqu’il s’agit de lui, est le fils de Serigne Ousmane et de Sokhna Absatou Seck. Il est né à Ndilki près de Mbacké Baol vers 1890. Il avait des liens de parenté très étroits avec son guide et maître Khadimou Rassoul, car il est lui aussi descendant de Mame Maharam Mbacké, ascendant de la famille des Mbacké.
Homme de vaste culture et d’une extraordinaire ouverture d’esprit, Serigne Moussa a marqué son temps par l’importance de ses écrits, pour la plupart dédiés à Serigne Touba. Malgré ses liens de parenté avec Cheikh Ahmadou Bamba, selon plusieurs témoignages, il s’identifiait toujours dans ses écrits comme le serviteur du Serviteur du Prophète (Khadimoul Khadim).
Serigne Moussa Ka a aussi marqué son temps par sa maîtrise de l’hagiographie de l’Islam, du mouridisme et de l’histoire du Sénégal, ce qui se reflète dans ses nombreux écrits. Il maîtrisait parfaitement la généalogie des grandes familles du pays. C’est pourquoi tous les chercheurs de son temps s’intéressaient beaucoup à son œuvre et lui rendaient toujours visite. Et de nos jours encore, les universitaires sont impressionnés par la richesse de l’œuvre de Serigne Moussa Ka.
Serigne Moussa a suivi la majeure partie de son éducation auprès de son père Serigne Ousmane Ka, avant son allégeance à Khadimou Rassoul. Il a été formé à bonne école, car son père, connu à l’époque sous le nom de Modou Ngagne Awa, avait enseigné plusieurs personnalités parmi lesquelles on peut citer El hadji Malick Sy, El hadji Abdou Cissé de Diamal, El hadji Dramé de Ndramé, et Serigne Momar Yacine Dème, tel que relaté par Serigne Moussa dans ses écrits.
À la disparition de son père, qui fut plus tard disciple du Cheikh, l’homme rejoignit son guide en résidence surveillée à Thiéyène et fit son allégeance. Depuis lors, il était toujours dans le sillage de son guide, qui lui inculqua une éducation spirituelle parfaite.
Pour ceux qui le connaissaient, Serigne Moussa Ka était un homme généreux, qui donnait tout, même sa nourriture du jour. Il était aussi un chercheur ouvert, remarquable par son abandon du bas monde. Serigne Moussa était pieux, très véridique et unificateur.
Contribution à la littérature mouride
Sa contribution à la littérature mouride est immense. Aujourd’hui, bon nombre de personnes ont connu l’hagiographie du Prophète et de son serviteur grâce aux écrits de Serigne Moussa Ka. Grâce à son expression facile, qui était un don incontesté du Seigneur, Serigne Moussa Ka n’a éludé aucun domaine dans ses écrits sur l’histoire du Prophète (Paix et Salut sur Lui), l’exil du Cheikh au Gabon (1895-1902), son retour et l’exil en Mauritanie (1903-1907).
Il a aussi écrit sur les épreuves qu’ont subies les prophètes et les saints à titre d’exemple pour tous les croyants. À cela s’ajoutent également le portrait physique et les qualités morales du Prophète (Paix et Salut sur Lui), des éloges de son maître, Khadimou Rassoul, éloges dédiés à la sainte Mariama Bousso (Sokhna Diarra), l’itinéraire spirituel du Cheikh, des exhortations à l’égard des femmes musulmanes, des exhortations à l’égard des aspirants (Al murid), des témoignages d’allégeance au Cheikh sur la foi (Tawhid), des exhortations sur la dégradation des mœurs, des hommages posthumes à l’égard des personnalités mourides, comme Serigne Mouhamadou Moustapha Mbacké, premier khalife, Serigne Ahmadou Ndoumbé, Serigne Massamba Mbacké, Serigne Cheikh Anta Mbacké, Serigne Abdou Rahmane Lo, Cheikh Ibrahima Fall, etc., qui n’ont pas échappé à ses vers.
Dans ses écrits, il a aussi parlé de la ville de Touba et de son honorabilité, des relations entre maître et disciple, des qualités de l’aspirant sincère (Murid sàdiq), de la guerre sainte de l’âme (jihadun-nafsi), de l’histoire de la grande mosquée de Touba, et a fourni des témoignages de reconnaissance à l’égard du Cheikh.
Serigne Moussa Ka a même écrit sur la crise économique des années 1929 et ses conséquences sociales. Il a aussi fait une énumération poétique des disciples de Cheikhoul Khadim consacrés au rang de cheikhs. À travers son patrimoine volumineux de plus de 13 644 vers, on trouve des enseignements inépuisables dans plusieurs domaines.
Dans ‘’Les élus au sein du cercle des soufis Baye Fall du Sénégal’’, l’auteur Baye Demba Sow parle de Serigne Moussa Ka comme une personne ayant une maîtrise totale de la langue arabe. Dans ses poèmes, il n’est pas rare de le voir naviguer entre le wolof et l’arabe avec une grande dextérité. Étant un grand calligraphe, il a passé beaucoup de temps aux côtés de Cheikh Ahmadou Bamba, et a réécrit plusieurs de ses "Khassaides". Il était aussi connu sous les sobriquets de Khadimoul Khadim (le serviteur du serviteur du Prophète, Cheikh Ahmadou Bamba), Géwalou Bamba (le griot de Cheikh Ahmadou Bamba), ou Njamme, un autre nom pour Moussa. Dans son poème intitulé "Le monde tire-t-il à sa fin?", Cheikh Moussa Ka s’interroge sur le monde après la disparition de Cheikh Ibrahima Fall, et nous raconte son rôle capital et sa place dans la voie du mouridisme.
Serigne Moussa Ka a fait son acte d’allégeance à Serigne Touba à Thiéyène Djilofe
D’après l’écrivain Mbaye Guèye Syll, auteur de "La véritable histoire de l’exil de Cheikh Ahmadou Bamba au Gabon" et "Que sont devenus ceux qui voulaient entraver la mission de Bamba ?", Serigne Moussa Ka est un parent de Serigne Touba, car ils sont tous les deux petits-fils de Mame Maram Mbacké. Il était une personne ouverte, d’une connaissance incalculable. Il a mis de côté l’aspect talibé et non proche de Bamba. Il était particulier en matière de connaissances de la religion, du Prophète Mouhamed (PSL), mais aussi de l’histoire du Sénégal. Ses écrits sur ces domaines en témoignent.
C’était quelqu’un qui vouait un grand respect aux autres guides religieux d’alors. Beaucoup venaient chez lui pour se cultiver. Jusqu’à présent, des intellectuels du monde entier viennent s’enrichir de ses œuvres. Avant de suivre Serigne Touba, il avait déjà acquis beaucoup de connaissances chez son père. Ce dernier fut un grand enseignant qui a vu passer beaucoup de guides parmi lesquels Elhadji Malick Sy, Serigne Abdou Sy de Diamal, El hadji Dramé, Modou Yacine… Serigne Moussa Ka en a parlé dans ses écrits. Quand son père a quitté ce monde, il est allé voir Serigne Touba de retour en Mauritanie à Thiyéne Diolof pour faire son acte d’allégeance, confie M. Syll.
Après cela, jusqu’à sa mort, il a toujours été le même, autrement dit un fervent musulman. Il était un grand chercheur, très connu. ‘’C’était un phénomène de Dieu. Il avait tourné le dos à la vie mondaine. Il était noble, véridique, un médiateur. Il rabibochait des proches qui ne se parlaient plus. Il est le chantre de la littérature mouride. Il est presque le plus célèbre de tous ceux qui ont écrit dans le mouridisme. Rien ne lui échappait dans la vie du Cheikh, les histoires des prophètes. Il était un as de la description. Il a décrit Mouhamed (PSL) dans les moindres détails. Il a fait de même pour Sokhna Diarra, mère de Bamba. Il a écrit sur les femmes musulmanes, le comportement d’un vrai mouride, la dégradation des mœurs. Il nous a aussi parlé des cheikhs de Bamba et de ses premiers disciples. Il a écrit sur les bienfaits de Touba, les relations entre un marabout et son disciple. Il était fort en langue wolof et ses poèmes l’ont prouvé’’, a indiqué l’écrivain.
D’après lui, Serigne Moussa Ka a parlé de la crise de 1929 pour donner son avis sur la question, mais aussi sur les causes. Les cheikhs de Serigne Touba n'ont pas été épargnés par ses écrits. Dans ses "Khassidas", il a parlé de la politique, des arbres qui étaient dans la maison de Serigne Touba à Ndiarème. ‘’Serigne Moussa était un phénomène de Serigne Touba. On dit même que Serigne Touba avait dit : ‘’Je ne vais plus parler. Je vais vous laisser avec un autre qui le fera à ma place’’. Il a écrit sur tous les fils de Bamba dans son livre intitulé ‘’Kharnou Bi’’. Même ceux qui rendaient l’âme, il leur rendait hommage. Serigne Fallou lui avait dit : ‘’Moussa, tu ne vas pas écrire sur moi après ma mort’’. Ils étaient inséparables. C’est la raison pour laquelle il est décédé en 1966, la même année que Serigne Bassirou, alors que Serigne Fallou a quitté ce monde en 1968’’, renseigne Mbaye Guèye Syll.
Pour lui, Serigne Moussa Ka a plus écrit que Victor Hugo et compagnie.
CHEIKH THIAM