‘’N’avoir pas participé à la compétition au FESPACO…’’
‘’Wallay’’, un film sympathique et poétique, a clôturé le 17e festival Image et Vie, mercredi soir. Ce fut en présence du réalisateur Berni Goldblat. En marge de la projection, il s’est entretenu avec ‘’EnQuête’’ en acceptant de revenir sur certains aspects du contenu qu’il propose. Il explique comment le casting qui impressionne la majorité de ceux qui ont vu cette pellicule a été fait, notamment sa rencontre avec le tandem de ‘’Wallay’’ : Ady et Jean, les conditions de tournage et les difficultés qui n’ont pas manqué. Considéré comme un réalisateur burkinabè en sus de plusieurs autres nationalités qu’il revendique, Berni Goldblat a participé au dernier Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (FESPACO) dans la catégorie Panorama. Cela l’a-t-il frustré ? Il répond ici. En outre, ceux qui veulent voir ‘’Wallay’’ peuvent se rendre aujourd’hui à Canal Olympia. Il y sera projeté.
‘’Wallay’’, un titre court, percutant et intrigant. Comment a-t-il été choisi ?
Cela veut dire : c’est vrai, je le jure, etc. On l’utilise très souvent dans plusieurs langues en Afrique et même en France. Donc, ça n’a pas été difficile de le trouver. Le comédien principal le dit assez souvent dans le film. Il le prononce dans ses fins de phrase. Cela ne va pas plus loin. Moi, je dis tout le temps ‘’Wallay’’, d’ailleurs. Les gens qui me connaissent rigolent et me disent : ‘’C’est clair, le titre te va bien.’’
Quel est le lien entre le titre et l’histoire racontée ?
C’est le personnage principal ici. Tout repose sur Hady joué par Nathan Makan Diarra que j’ai rencontré dans la rue de manière hasardeuse. C’est la première fois qu’il joue au cinéma. Le film repose à 90 % sur ses épaules et fait référence à une phrase qu’il dit souvent. C’est vrai que le film, il y a un vrai personnage principal qui tient tout, et il lui fallait être bon pour que le film soit passable (il rit).
Comment s’est passé le casting pour les autres personnages, parce qu’on a l’impression que les rôles ont été taillés sur mesure pour ceux qui les interprètent ?
Je tenais à avoir un casting sérieux et rigoureux. Je l’ai fait avec minutie et j’ai pris le temps qu’il fallait. Pour le gamin, le complexe était qu’il ne fallait pas le chercher trop tôt, parce que, faire ce film m’a pris 7 ans. Si j’avais choisi le gamin à cette époque, il aurait eu 20 ans aujourd’hui, alors qu’il me fallait quelqu’un qui a juste 13 ou 14 ans et qui soit en pleine mutation. Je ne voulais pas qu’il soit mûr, mais un peu enfant quand même et un peu adolescent, mais pas trop. J’ai rencontré plus de 80 enfants métisses. Je voulais qu’il soit de Paris pour que cela soit un peu réel. J’avais une directrice de casting en France et une au Burkina. Celle dans ce dernier pays était Georgette qui joue le rôle de la femme de l’oncle d’Ady. En France, c’est quelqu’un qui s’appelle Sounelane qui m’a aussi présenté Ibrahima Koma et Habib Dembélé. Ibrahim joue le second rôle.
Avec le petit, ils sont le tandem du film. Je cherchais le petit et Jean en même temps. Il me fallait une référence. Je ne pouvais pas les choisir séparément. J’ai cherché le rôle de Jean au Burkina, en Côte d’Ivoire, au Mali. A un moment, je me suis dit : ‘’Je me concentre sur le petit d’abord, ensuite je vais chercher Jean.’’ C’est après que j’ai décidé de chercher celui qui devait interpréter le rôle de Jean à Paris et pas en Afrique. Il y a une proximité. C’est une chimie qui doit fonctionner entre les deux. Pour les autres comédiens, il y a Amadou Kassongué pour qui le rôle de l’oncle a été quasiment écrit. Il est malien. Il y a des comédiens qui n’ont jamais joué. C’était leur première fois. Il y a des comédiens connus en Afrique qui ont de petits rôles dans ce film. Je voulais vraiment choisir bien et non pas donner des rôles à des gens parce qu’ils sont bien connus. Ce n’est pas cela qui m’intéressait. J’ai vraiment assuré la direction artistique moi-même. J’ai dirigé mes comédiens. Avec Nathan et Ibrahim, on a travaillé avec un coach pendant 6 mois à Paris.
Et pour Joséphine Kaboré qui est une doyenne du cinéma africain, comment a-t-elle été choisie ?
Il était très difficile de trouver quelqu’un qui puisse interpréter le rôle de la grand-mère. C’est grâce à Georgette qu’on l’a trouvé. Je peux dire qu’elle est à la retraite, elle a 83 ans. Elle a joué dans les films de Gaston Kaboré notamment. Mais cela faisait longtemps que les gens ne l’avaient plus vue sur un écran. C’est vrai qu’elle est magnifique. Elle a tout donné. C’est quelqu’un qui connaît les secrets d’un plateau et qui sait très bien lire. C’est un peu compliqué de trouver en Afrique une dame de 83 ans qui comprenne très vite. En plus, on avait assez peu de jours. C’était vraiment difficile. Quand je l’ai rencontrée, au bout de dix minutes, j’ai dit que celle-là est la bonne personne.
Comment s’est passé le tournage, parce que dans le film vous êtes dans des endroits au relief assez compliqué ?
J’avais choisi mes décors depuis longtemps. Après, il y a eu les attentats du 16 janvier. On nous a alors interdit de tourner aux endroits qu’on avait choisis. On avait déjà commencé à travailler sur ces derniers. On avait déjà commencé à faire le potager de la grand-mère et d’autres choses. On avait choisi des zones vers la frontière du Mali, du côté de Sendou. On nous a dit non, en plus, le petit est français. Il y avait une équipe mixte et c’était assez compliqué. Il y avait des risques d’enlèvement, etc. J’ai dû alors reprendre la route et j’ai fait 500 km pour chercher un nouveau décor. J’ai traversé tout le pays, je suis même rentré dans le Bénin de matière têtue pour trouver le bon décor. Finalement, je ne regrette pas du tout les premiers. De la contrainte, on a finalement découvert des décors bons qui correspondent à l’histoire racontée. L’autre contrainte, c’était qu’il ne fallait pas avoir des décors au même lieu. Il fallait qu’on se déplace. On ne devait pas rester dans un même décor plus de dix jours ou deux semaines. Il ne fallait pas qu’on nous récupère.
Il y avait plein de complications comme ça. Les décors sont très éloignés. On a créé une nouvelle géographie propre au film. On y a mis des choses qui n’existent pas dans la réalité. Des gens qui connaissent Gawa (NDLR : là où est censé se passer l’essentiel de l’histoire) ne savent pas où se trouve le lac. Il n’y a pas de lac en fait. Celui montré dans le film est à 800 km de Gawa. Dans la réalité, il est à la frontière du Bénin et du Togo. Cela n’a pas été facile, mais l’équipe était tellement géniale qu’on a pu faire tout ce qu’on a réussi. Un plateau, c’est d’abord une équipe. Tout le monde s’est donné à fond. Un plateau est une ivresse que l’on vit pendant deux mois et qu’on ne peut raconter. On a tourné également alors qu’il faisait très chaud. Aux derniers jours du tournage, il faisait 50 degrés. C’était très violent, il y a même eu des gens de l’équipe qui sont tombés malades. Dieu merci, il n’y a eu rien de grave.
Pourquoi avez-vous parlé de voyage d’initiation dans ce film ?
Je trouve que ma vie est un voyage. Je suis né en Suède. Mon papa était polonais, ma maman suissesse. Eux-mêmes ont voyagé et m’ont fait au cours de leurs voyages. Mon père était juif polonais et a fui pendant la Deuxième Guerre mondiale. Il a erré pendant de nombreuses années sur les routes. Donc, je suis un multi-linguiste, multiculturel. Je me suis toujours posé ces questions de l’identité, ce qui nous habitent, qui sommes-nous, la notion d’étranger et aussi la transmission de la culture. C’est un film certes de voyage d’initiation, mais c’est aussi un sujet sur la non-transmission de la culture par beaucoup de monde. Il y a des gens qui ont pensé que pour bien s’intégrer, il ne faut transmettre sa langue africaine ou sa culture, et c’est une énorme erreur. C’est le contraire qui devait être fait. Parce que quand on connaît d’autres langues et cultures qu’on est plus riche et plus fort, plus intelligent, plus ouvert. Dans ce film, si le papa d’Ady lui avait appris le dioula ou qu’il lui avait appris un peu plus de sa culture, je n’aurais pas pu faire le film.
C’est pour cela que la grand-mère lui dit dans le film : ‘’On est le fils de son époque, pas le fils de son père’’ ?
C’est malheureusement vrai. On n’est plus le fils de son père, mais celui de son époque. Cela veut dire qu’Ady est plus le fils d’une civilisation occidentale qu’il a eu de la mère. Elle est décédée c’est vrai, mais pour le coup, le petit est français. Mais ici, le père n’a pas transmis. Le père est africain. On le connait très peu, mais on sait d’où il vient. On voit la maison où il est né. Le petit va dormir là-bas. C’est une renaissance du petit qui prend conscience de là d’où vient son père. Il voit une photo avec les anciens combattants et il comprend les choses sans qu’elles soient dites ouvertement. Il faut qu’Ady reste un bout de temps ici pour comprendre les choses.
Regrettez-vous de n’avoir pas participé à la compétition au FESPACO ?
En toute franchise, j’étais surpris au départ. Quand on réalise un film, il ne faut s’attendre ni à des sélections ni à des prix. Sinon, tu deviens prétentieux et tu penses que tu vaux mieux que les autres. Moi, je ne suis pas comme ça. Le plus important, pour moi, c’était que le FESPACO le programme ne serait-ce qu’en panorama. La preuve que je ne me suis pas du tout fâché est que sur l’affiche du film, le FESPACO est bien mentionné. Le plus important, pour moi, n’était pas la compétition. Deux semaines auparavant, j’étais à Berlin quand même. Franchement, je ne pouvais pas demander mieux. J’étais dans l’un des plus grands festivals du monde. J’étais super content, même si j’étais au panorama au FESPACO, ce n’était pas grave. On a eu 500 personnes à 11 h et c’était magnifique. Il y avait les comédiens et les techniciens. Tout le monde était là. C’était magnifique. C’est ce qui était important. Il sort en salles au Burkina à Noël. Il va faire l’ouverture du festival Ciné Droit Lire en décembre. Je n’ai aucune frustration, aucune. Depuis le FESPACO, on a dépassé plus de 70 films. Je n’en demande pas plus, franchement. Le film est en compétition aux Journées cinématographiques de Carthage. C’est un film africain avec une identité africaine forte.
‘’Wallay’’ est déjà vu dans plusieurs pays. Aujourd’hui, c’est au Sénégal de l’accueillir. Cette projection est-elle comme toutes les autres pour vous ?
Je suis très content que le film soit vu ici. C’est un pays que je connais et que j’aime bien. J’ai vécu à Ziguinchor pendant longtemps. Je compte beaucoup d’amis ici aussi dans la profession, donc c’est naturellement que j’ai dit oui quand on m’a proposé de venir ici. Je n’ai pas hésité, parce que c’est un peu chez moi ici aussi. Le film se passe au Burkina, mais il aurait très bien pu se passer au Sénégal. D’ailleurs, le scénariste original de l’histoire du film est David Boucher qui est un Franco-Sénégalais. Il avait écrit le film pour qu’il soit tourné au Sénégal. Après, j’ai réécrit l’histoire et je l’ai réadapté. C’est super de pouvoir le présenter ici. C’est vrai que le film voyage beaucoup, mais il est important qu’il soit vu en Afrique et dans de bonnes conditions.
Comment vivez-vous les avant-premières partout où vous passez ?
Cela dépend d’où je suis. Ici, par exemple, c’est particulier, parce que je compte beaucoup d’amis dans le public. Il y a beaucoup de familiarité avec des gens. Il y a les amis, des techniciens et des producteurs. Donc, je regarde cette projection de manière particulière, parce qu’il y a des fois où on est à des endroits où on ne connait personne. C’est intéressant, parce que tu es excité, mais ce n’est pas pareil. Je suis particulièrement ému de le montrer ici. Après le CCF, il sera projeté vendredi soir à Canal Olympia. C’est pour cela que je n’ai pas hésité à venir, malgré un calendrier fou. J’étais à Londres avant-hier, avant j’étais à Namur, à Francfort, à Cologne. Donc j’ai coincé ce voyage comme j’ai pu, je ne voulais pas rater ça.
Comment trouvez-vous le festival Image et Vie ?
C’est un festival que je connaissais déjà. J’ai des films qui ont participé. Mais c’est la première fois que je viens y assister. Je connais bien Khalilou Ndiaye pour son sérieux et le travail qu’il abat dans la distribution. Je n’ai malheureusement pas pu assister aux projections. Mais c’est un festival qui a déjà plusieurs années et qui a une réputation malgré sa modestie de rendez-vous important. C’est un espoir aussi, parce que c’est un festival qui permet aux jeunes réalisateurs de montrer leurs films et aux films d’être vus par des publics des quartiers populaires. C’est important.
Parlant des jeunes réalisateurs, le thème, cette année, du festival est ‘’Cinéma et insertion professionnelle des jeunes’’. Pour vous, quel est le meilleur créneau pour donner à ces jeunes une chance ?
Je pense que plus il y aura de plateaux de cinéma, plus ces gens-là pourront avoir une chance de faire ce métier. Ainsi, ils pourront se former et s’initier à la pratique. Moi, je fais partie des gens qui ont appris sur le tard, comme on dit, en étant d’abord un apprenti. Il est très bien de passer par une école. Mais s’il n’y a pas de plateaux après, ce qu’on y apprend ne sert à rien. Pour moi, les plateaux de cinéma sont également des écoles. C’est important, quand on tourne un film, de donner la place à des stagiaires et à des jeunes, parce qu’en un mois, ils apprennent plus qu’en un an. Dans mon film, j’ai accueilli quelques stagiaires qui ont, je pense, beaucoup appris. Au Sénégal, avec le FOPICA (NDLR : Fonds de promotion de l’industrie cinématographique et audiovisuelle) vous allez avoir plus de plateaux. C’est une bonne chose et tout se tient.
Ce fonds fait des jaloux en Afrique, vous disiez tout à l’heure avant la projection de votre film. Pourquoi, à votre avis ?
Le Sénégal est vraiment dans l’avant-garde. Par rapport aux autres pays africains, il est un modèle. Les autres pays le jalouse, parce qu’avoir un Etat qui a compris le rôle et l’importance du cinéma en acceptant de mettre deux milliards pour financer le secteur, c’est fou. C’est quelque chose de génial. Nous, au Burkina, ce n’est pas du tout pareil. Nous espérons que ce que le Sénégal fait serve d’exemple. Ce n’est pas pour rien qu’aujourd’hui, de plus en plus de films sénégalais sont distingués à travers le monde. C’est tout à fait normal. L’Etat du Sénégal a compris que le cinéma est un vecteur de développement, de croissance économique, d’images.
BIGUE BOB