Y en a marre inquiet
Après les observateurs de diverses missions et les organisations de la société civile, le mouvement contestataire Y en a marre a livré, hier, ses impressions sur le scrutin du 24 dernier. Le tableau n’est pas du tout reluisant.
‘’Nous condamnons fermement toutes ces arrestations et exigeons la libération immédiate et sans condition de tous ces concitoyens. La police des idées ne saurait en aucun cas prospérer’’, tonne le coordonnateur du mouvement Y en a marre, Fadel Barro. ‘’Le pouvoir s’est inscrit, dès le lendemain du scrutin, dans une logique de répression et de traque contre toute voix discordante. Plusieurs activistes et militants de l’opposition ont été mis aux arrêts de façon arbitraire’’, se désole-t-il. L’Etat devrait être au-dessus de tout cela, surtout en ce moment. ‘’L’heure n’est pas à attiser une tension sociale déjà balafrée par une élection dangereuse qui a exacerbé les clivages religieux, ethniques et régionalistes dans ce pays. Nous avons constaté qu’il y a un vote très régionaliste, très ethnique, très religieux’’, analyse-t-il.
Une porte, par laquelle peuvent s’engouffrer diverses choses, les unes plus dangereuses que les autres, est ainsi ouverte. ‘’Il est de la responsabilité de ceux qui sont au pouvoir de Macky Sall, de vite panser toutes ces plaies. On a découvert du gaz et du pétrole au Sénégal, et on joue sur les germes d’un conflit que le Sénégal a toujours couvé et bien géré. Ce n’est pas le moment de réveiller des démons qui peuvent saper notre stabilité. Voter parce qu’on est de la confrérie ou de la même région sape la cohésion nationale. On ne peut pas continuer à fermer les yeux et faire comme si de rien n’était. Le déroulement de cette élection doit inquiéter chaque citoyen soucieux de la stabilité et de la paix dans ce pays’’, prévient Fadel Barro.
Le gouffre de la catégorisation
Lui et ses camarades pensent qu’il faut vite régler cette question. Ils faisaient face à la presse dans leur quartier général, aux Parcelles-Assainies, hier, pour tirer le bilan de la présidentielle. Ce qui est décrié par Y en a marre serait une résultante d’attitudes des tenants du pouvoir. Le fameux ‘’Nedo ko bandum’’ serait à la base de ce vote à différentes connotations. Au cours de la présidentielle, tous les candidats sont tombés dans ce gouffre de la catégorisation. ‘’Ils sont tous responsables. C’est toute notre élite politique qui est au banc des accusés. Ils manipulent des outils dangereux, soit pour se maintenir, soit pour arriver au pouvoir. On ne joue pas avec la cohésion, la stabilité, la République. La première richesse du Sénégal est sa stabilité. Nous nous devons de la préserver’’, insiste Fadel Barro.
Au-delà de ce constat, Y en a marre a relevé beaucoup d’écueils liés au processus électoral. Notamment l’absence de visibilité sur la distribution des cartes d’électeur, la fiabilité du fichier électoral, les modifications apportées sur la carte électorale, etc. Cela a eu des répercussions sur le vote. Le mouvement dénonce un gonflement artificiel de la population électorale, la création illégale de bureaux de vote ou encore le changement apporté, à la dernière minute, aux bureaux de vote pour de milliers de Sénégalais qui n’ont finalement pas pu voter.
Ne dites surtout pas aux Y en a marristes que l’opposition pouvait éviter certains de ces impairs. Pour eux, si cette dernière peine à se structurer et prendre correctement en charge certaines questions, la Cena devrait pouvoir le faire. C’est dans ses compétences. Seulement, elle ne joue pas bien le rôle qui lui est dévolu. Que dire alors de la presse qui jouait le rôle de régulateur ? ‘’On a eu beaucoup de problèmes avec notre presse nationale, du fait de l’engagement des patrons de presse. Ce qui faisait le charme de notre démocratie, c’est-à-dire une presse libre, crédible et indépendante qui donnait de manière réelle et spontanée les résultats. Mais, pour cette élection, cela s’est révélé un cauchemar. Chacun s’est braqué, disant que si tel donne ses résultats, c’est parce que son patron est de tel bord. On a été dans une confusion totale’’, décrie Fadel Barro.
Toutes ces choses font que le Sénégal a, pense Y en a marre, ‘’un scrutin parti pour être l’un des plus controversés depuis l’alternance démocratique de 2000. Le Sénégal, qui avait habitué l’Afrique et le monde à des lendemains d’élections sans heurts, ces dernières décennies, navigue aujourd’hui en zone trouble’’.
Y en a marre annonce ses assises
Par ailleurs, cette présidentielle n’a pas connu que de points négatifs. Après avoir organisé ‘’Wallu Askan Wi’’ et ‘’Pareel’’, Y en a marre se réjouit que 66,23 % des Sénégalais soient sortis voter. Et comme 58,27 % des Sénégalais ont réélu Macky Sall, ce dernier doit tout faire pour relever les défis de l’heure. Il devra créer des emplois pour les jeunes, engager des réformes institutionnelles solides, consacrant, entre autres, l’indépendance de la justice, entamer un audit transparent et crédible du fichier électoral, créer un consensus fort sur les modalités du parrainage, suggère le mouvement contestataire. Il attend de Macky Sall qu’il démissionne de son statut de chef de parti politique.
En attendant, après huit ans d’existence, ‘’nous organisons des assises les 23 et 24 mars prochains. Ces assises permettront au mouvement de faire le bilan de notre action et dégager une feuille de route pour les années à venir’’, a annoncé Fadel Barro.
COUPLAGE DES ELECTIONS Y en a marre pas encore décidé Interpellé hier sur l’idée de Me Aïssata Tall Sall de coupler les élections locales et législatives en décembre prochain, le coordonnateur de Y en a marre, Fadel Barro, a déclaré que leur mouvement n’a pas encore pris position. Leurs instances ne se sont pas encore réunies pour échanger autour de la question. Mais il est au moins clair qu’ils ne sont pas convaincus par l’un des arguments avancés par la nouvelle recrue du camp présidentiel. Y en a marre ne croit pas que coupler les élections aideraient à rationaliser les dépenses. ‘’La tenue des élections, ce n’est pas cela qui économise les ressources de l’Etat. Avez-vous vu l’opulence, cette richesse, tout l’argent déployé par la coalition au pouvoir pendant la campagne électorale ? C’est indécent dans un pays où les gens peinent à manger correctement, à boire convenablement de l’eau potable, à se soigner quand ils sont malades ou trouver du travail. Dans un pays où les agents de la santé sont en grève au point qu’il y a des enfants qui n’ont pas été vaccinés pendant des mois, par le fait de grève dans le secteur de la santé ; c’est indécent’’, s’attriste Fadel Barro. Pour lui, c’est à ‘’cette façon d’utiliser les deniers publics sans justifications et juste pour l’achat de conscience’’, qu’elle doit s’en prendre. ‘’On l’aurait cru si elle faisait cela. Le reste est une stratégie politico-politicienne pour entretenir une majorité dont elle est maintenant actrice. On ne peut pas donner un avis sur cela’’, abrège-t-il. |
BIGUE BOB