Le passage en force
Bien que disposant d'une majorité écrasante à l'Assemblée nationale, le régime du duo Diomaye-Sonko va adopter son premier budget sans débat.
Le fait est rarissime, pour ne pas dire inédit. Cette année, il n'y aura pas de débat en séance plénière pour discuter de la pertinence de la loi de finances pour l'année 2025. C'est le ministre chargé des relations avec les Institutions, Abass Fall, qui a donné l'information hier, au JT de 20 h de la télévision nationale. Le nouveau ministre a invoqué un “contexte spécial” pour justifier le recours à cette procédure d'exception.
De l'avis d'Abass Fall, avec le changement de régime en mars, la dissolution de l'Assemblée et l'installation tardive, le Sénégal était un peu dans l'impossibilité matérielle d'adopter le budget selon la procédure habituelle, avant le 31 décembre. “Entre l'installation de la nouvelle législature le 2 décembre et maintenant, il a fallu un sprint pour recevoir tous les ministres en commission élargie. Nous avons fait l'essentiel pour voter dans le temps le budget, mais nous nous sommes rendu compte qu'avec les délais qui sont relativement très courts, pour avoir le budget avant la fin de l'année, nous sommes obligés de recourir à l'article 86 al 6 de la Constitution”. Celle-ci, explique le chargé des Relations avec les institutions, permet au gouvernement de saisir l'Assemblée nationale, de lui demander de voter le budget sans débat.
Aujourd'hui donc, après avoir fait sa DPG, le Premier ministre invoquera ladite disposition pour faire passer sa loi de finances pour l'année 2025. Pour Abass Fall, le PM va revenir à l'Assemblée nationale, le lendemain samedi, pour engager la responsabilité du gouvernement, conformément aux dispositions constitutionnelles.
Joint par téléphone, l'ancien président de la Commission des finances de l'Assemblée nationale, Seydou Diouf, a expliqué que le recours à cette procédure est un moindre mal. Selon lui, le gouvernement avait trois options.
D'abord, passer par ordonnance. Ce qui supposerait, soutient-il, le vote d'une loi d'habilitation pour permettre à l'Exécutif de mettre en œuvre la loi de finances par ordonnance et après revenir ultérieurement pour la ratification. “Ce serait un dessaisissement total de l'Assemblée nationale, c'est pourquoi ça me pose problème”, assure l'ancien parlementaire.
La deuxième option, a-t-il ajouté, était de respecter le délai de 60 jours pour l'adoption de la LFI, en enjambant l'année budgétaire. “Si on l'avait fait, pour les premiers mois de 2025, le gouvernement serait contraint de reconduire les crédits de l'année d'avant. Je ne suis pas non plus favorable, parce qu'il y aurait une partie qui est discutée par les députés et une autre mise en œuvre directement par reconduction des crédits”, explique le spécialiste. Seydou Diouf insiste sur le caractère exceptionnel du contexte actuel. “Aujourd'hui, il nous reste très peu de jours, même pas une semaine. On ne peut pas faire passer tous les ministres en séance plénière. Compte tenu de cette situation exceptionnelle, je pense que cette procédure prévue par l'article 86 al 6 de la Constitution est un moindre mal. On a pu faire les débats en commissions. On va juste sauter l'étape des débats en plénière”.
À en croire M. Diouf, il est fondamental que le Sénégal puisse disposer de sa loi de finances avant le 31 décembre. Pour lui, le seul bémol c'est le manque de dialogue entre les institutions. “Quand bien même le gouvernement dispose d'une majorité écrasante qui lui permet de faire passer son texte sans problème, il aurait été plus élégant que le PM invitât les deux présidents de groupe et le représentant des non-inscrits en amont pour leur dire : voilà la situation qui se présente. Nous avons entamé le marathon, mais le temps ne nous permet pas de faire le marathon traditionnel. Nous sommes donc obligés de passer par la question de confiance. C'est de pure forme, mais cela aurait permis de mettre les députés devant leurs responsabilités. C'est cela aussi l'élégance républicaine”, justifie-t-il.
Des réformes profondes des codes des douanes et des impôts Lors de son passage, avant-hier, à l'Assemblée nationale, le ministre des Finances était revenu sur quelques faits saillants de la prochaine loi de finances. En ce qui concerne la mobilisation des recettes, le gouvernement appelle à un civisme fiscal pour collecter le maximum de recettes. Il a annoncé un nouveau Code général des impôts et des domaines et un nouveau Code des douanes pour l'année 2025. À ceux qui prétendent que les recettes ont baissé, il précise : “Les recettes n'ont pas baissé, elles ont augmenté. Comparé à 2023, on a fait un bond de 8,8 % en termes de mobilisation des recettes. Les recettes ont donc augmenté. Maintenant, par rapport aux prévisions, les objectifs n'ont pas été atteints. Cela peut être dû à un manque de sincérité budgétaire comme cela peut reposer sur des imprévisions.” Dans le même sillage, le ministre des Finances avait aussi annoncé “la digitalisation, avec une interopérabilité entre les systèmes des impôts, des douanes et Trésor”. |
Par Mor Amar