Les rappeurs se remettent en question
Le hip hop Galsen fête ses 30 ans. A cette occasion, un spectacle grandeur nature a été organisé ce samedi, à l’Institut culturel Léopold Sédar Senghor. Beaucoup de rappeurs se sont joints à l’évènement pour tirer le bilan de ce vécu.
30 ans d’existence, ça se fête. C’est du moins l’avis des membres d’Africulturban. Depuis le début de cette année, ils ont initié une série d’évènements allant dans ce sens. Le concert organisé samedi à l’institut français de Dakar s’inscrit dans ce cadre. Ils ont ainsi fait revivre la nuit du hip-hop. Avec Matador, Nix, Keur Gui, Fuk N Kuk, hardcoreSide, ils se sont ainsi souvenus des meilleurs moments du rap. Des groupes, as du live, ont égayé ces moments partagés avec un public déchaîné, malgré le froid. C’était le rendez-vous entre old et new school. Pour Thiat du groupe Keur Gui, des gens capables de gérer un art pendant 30 ans méritent le respect. Il déclare: ‘’Ce n’est pas facile qu’une musique ou des artistes qui ont pratiqué un art pendant 30 ans soient toujours là et aussi engagés comme Matador, Awadi, Keyti, Xuman. C’est la preuve qu’au Sénégal, il y a des gens vertueux.’’
Nicolas Omar Diop alias Nix est d’avis lui que les 30 ans d’existence de ce mouvement sont "positifs du moment qu’il a pu amener un style’’. ‘’Tout le monde disait que le rap allait mourir. Ce n’était pas évident. Et là, 30 ans après, on voit que c’est la musique la plus consommée au monde. On n’a pas fait d’erreur quand on a voulu se lancer et faire carrière dans le rap. Je me souviens de la première nuit du rap ici au centre culturel (ndlr actuel institut français). J'étais le plus jeune de mon groupe. On a fait l’ouverture et 30 ans après, vous voyez ce que ça donne’’, s’est-il félicité, avant de monter sur scène. Depuis lors, explique Nix, ‘’le rap évolue bien. C’est tout le continent qui est en train de créer son identité. On a mis du temps à copier ce que faisaient les Américains, les Français entre autres. Mais là, on est en train de créer une identité visuelle sonore. Cela a pris du temps certes, mais avec le temps, la créativité et des connections ont commencé à créer une vraie identité’’.
30 ans d’existence sans disque d’or
Toutefois, il existe un bémol. En effet, après tout ce temps, le rap peine toujours à avoir de distinctions majeures. Certains se sont posé la question de savoir si le rap n’a pas en quelque sorte eu un retard. Pour répondre à cette inquiétude, Thiat invite la nouvelle génération à réussir et faire ce qu’ils n’ont pas pu. ‘’Notre ambition, c’était d’avoir un disque d’or avec notre dernier album, mais on n’a pas réussi cela. Donc, cette nouvelle génération doit réussir cela et nous amener même des Grammy awards’’, a-t-il souhaité. Mais le coordonnateur de l'anniversaire voit les choses différemment. Pour Amadou Fall Bâ, ‘’les gens s’attardent sur l’aspect pécuniaire. Alors qu’un disque d’or, c’est 1000 albums vendus. Au Sénégal, même Youssou Ndour n’en vend pas autant. Il y a une autre philosophie des rappeurs, c’est de remplir un stade pour éveiller la conscience des jeunes. On réfléchit mieux comme ça, parce que le rap a une très grande dimension’’, a-t-il recadré. Matador, lui, se félicite de l’héritage qu’ils ont laissé à cette nouvelle génération. ‘’Si ce mouvement n’allait pas au-delà de notre génération, je dirais qu’on a failli à notre mission. Cette nouvelle génération aura le respect et la popularité, mais ils doivent amener le rap encore plus loin. Ils doivent être en mesure de gagner ou d’avoir ce qu’on n’a pas pu avoir dans le rap car ils ont tout pour réussir. Maintenant, c’est du travail et un très long chemin. C’est à cette nouvelle génération de matérialiser tout ce qu’on a eu à semer et de récolter les fruits’’, lance-t-il avec beaucoup d’enthousiasme.
Pour Thiat, le hip hop mérite beaucoup de respect. "Si on ne nous le donne pas, on va l’arracher comme on l’a toujours fait. Regardez le nombre d’albums qui sont sortis durant ces 30 ans. Combien de stars ont émergé ? Combien d’images, de figures, d’emblèmes, d’icônes sont sortis de ce mouvement ? Montrez-moi un pays où le hip hop a contribué à changer un régime. Est-ce que cela, on peut le comparer à un autre hip hop dans le monde ? La salsa concurrençait le mbalax. Elle a fait long feu, le reggae de même et le Zouk. Seul le hip hop a pu résister plus d’un quart de siècle’’.
‘’Les régimes sont toujours contre le hip hop’’
Ainsi, pour le "y en a mariste", le hip hop a fait beaucoup de choses pour ce pays. Culturellement, économiquement, socialement et politiquement. Mais le seul hic est que cela n’a pas le succès qu’il devrait avoir. Parce que les régimes sont toujours contre le hip hop et cela se comprend. ‘’Il n'y a jamais eu un bureau officiel qui s’occupe de ces cultures urbaines, il n’y a jamais eu une politique de l’Etat allant dans le sens d’accompagner ces milliers de jeunes qui pratiquent cet art’’, s’est-il désolé. Par contre, pour Matador, le blocage se trouve du côté économique. Selon lui, il faut formaliser le milieu et essayer de créer une économie qui, en retour, va être gagnant-gagnant.
‘’Là où le bât blesse, c’est sur le plan économique, mais on sait tous qu’au Sénégal, l’art ne nourrit pas son homme. La façon dont on comprend la culture ne nous permet pas de pouvoir créer une économie et faire vivre les acteurs de ce qu’ils font. Si les droits d’auteur étaient respectés, les artistes devaient pouvoir s'en sortir. Et cela mérite un travail pour avoir une économie qui permettra aux acteurs d’en profiter’’, recadre l’auteur de ‘’Sonn Boy’’. Pour ce qui est du fonds des cultures urbaines, ‘’le grand frère du rap’’ estime que c’est déjà un pas de plus vers l’avant, mais cela reste quand même peu pour accompagner plus de 3 000 groupes de rap. ‘’Rien que la structure Africulturban fonctionne avec 100 millions F CFA. Il n'empêche, on lui tire le chapeau car ce geste du chef de l’Etat est une première’’, a-t-il renseigné.
HABIBATOU WAGNE