Publié le 18 Dec 2020 - 23:24
CEREMONIE DE DEDICACES

Quand Andrée-Marie Diagne chante Mariama Ndoye

 

Quand deux grandes plumes de la littérature africaine se rencontrent, se racontent, le dialogue devient tout simplement exquis, très plaisant pour les amoureux des lettres et de la littérature. A la salle Hamady Aly Dieng, samedi, le public est venu nombreux découvrir ‘’Mariama Ndoye, un certain regard’’. Dans ce livre de 145 pages, publié aux éditions L’Harmattan-Sénégal, la très appréciée Andrée-Marie Diagne tente de mettre en lumière une écrivaine talentueuse et aguerrie, mais pas encore suffisamment connue par les lecteurs sénégalais.

 
C’était une cérémonie haute en couleur. Une affaire de grande dame qui s’est déroulée, samedi dernier, à la salle Hamady Aly Dieng de L’Harmattan-Sénégal. Le prétexte, le livre de l’éminente femme de littérature, Grand Prix du chef de l’Etat pour les Arts et les Lettres, Andrée-Marie Diagne-Bonané. Dans ‘’Mariama Ndoye, un certain regard’’, l’inspectrice générale de l’enseignement enfile son boubou de détectrice de talents pour mettre sous les projecteurs une autre grande dame qui aura, elle aussi, marqué de son empreinte le livre et la littérature au pays de Léopold Sédar Senghor. Il s’agit de l’ancienne directrice du Livre et de la Lecture, l’écrivaine Mariama Ndoye.
 
Dès la quatrième de couverture, le lecteur peut avoir une idée de ce qui l’attend dans l’ouvrage. ‘’Andrée-Marie Diagne, lit-on, évoque avec bonheur une œuvre présentant une critique sociale, nourrie de l’imaginaire’d’une fille de l’eau’, parente de Limamoulaye, pétrie de cette argile dont se revendique le prototype de la ‘femme léboue’peinte à tous les âges : l’enfance – orpheline parfois - l’adolescence, frémissante de tous les clins d’œil furtifs des amours innocentes, et aussi la pétulance de ces jeunes livrés aux mirages et dangers de la ville’’. 
 
Pour les besoins de la présentation de ce livre qui fera date, les petites plumes ont été mises dans les grandes. Dès l’entame, c’est un symbole fort qui n’a pas manqué susciter l’admiration du président de séance, le professeur Birahim Thioune. Il s’exclame : ‘’Madame Diagne (Andrée-Marie Diagne) et Madame Mbengue (Mariama Ndoye) marchant sur un pagne tissé… Le rituel est très fort. C’est ça l’Afrique…’’
 
Le présentateur ne s’y trompe pas. L’émotion se lit dans les visages. Parents, amis, étudiants et collègues témoignent de leur présence par des applaudissements enthousiastes. Le spectacle est ainsi lancé. Le reste, c’est une salve de mots. Et quand le philosophe et non moins époux de l’auteure réagit aux provocations de M. Thioune, ça donne ce qui suit : ‘’Le livre a été fait plutôt sur mon dos. A un moment, j’ai eu l’impression d’être dans un ménage à trois… Je suis heureux que la Covid n’oblige pas à pousser les masques jusqu’aux yeux. On n’aurait pu, dans ce cas, admirer ces regards entrecroisés…’’
 
De ‘’Mariama Ndoye, un certain regard’’, Mamoussé Diagne jette son œil de philosophe et apprécie : ‘’C’est Mariama Ndoye qui regarde. C’est Andrée-Marie Diagne qui regarde le regard de Mariama Ndoye - qui ne regarde pas Mariama Ndoye - mais son regard, des choses qu’elle-même ne savait pas. On découvre donc cet après-midi le regard d’Andrée-Marie Diagne regardant le regard de Mariama Ndoye.’’
 
Dopé par un public visiblement séduit, il enchaine : ‘’Son regard (celui de l’auteure) regardant le regard d’une femme qui regarde autre chose… Cela renvoie, en miroir, de plusieurs regards qui se reflètent les uns dans les autres…’’
 
Voilà qui donnait le ton dans une cérémonie très colorée, dans une salle remplie d’hommes et de femmes de sciences. Prenant la parole, l’auteure de l’ouvrage revient sur ses relations avec l’écrivaine Mariama Ndoye. ‘’Entre Mariama et moi, des fils se sont mêlés, les fils se sont entremêlés, entrelacés, renforcés au fils des ans… Je devrais dire au cours des Fildak. A chacune des dédicaces des livres que ces années d’exil, loin du Sénégal, lui ont permis d’écrire, j’étais là dans l’ombre. J’achetais les livres de Mariama ; que ça soit pour mes enfants, mes petits-enfants ou pour moi-même. C’était toujours un plaisir de la lire…’’.
 
Entre les deux grandes plumes sénégalaises et africaines, c’est ainsi une longue histoire. Un jour à Bamako, Andrée-Marie Diagne tombe, par hasard, sur l’article d’un journal qui dressait le portrait de Mariama. ‘’… Cerise sur le gâteau, à la fin de ce séjour, Mariama Ndoye rafle le premier prix de la première dame de Bamako… Avec ‘’L’arbre s’est penché’’. Vous imaginez : on a été accueilli ; on a remporté et ramené le prix à Dakar. C’est ça Mariama Ndoye : la grâce et la distinction, la perspicacité dans l’analyse, la pertinence du propos. Parce que, dans les choses de la vie, elle sait montrer les torts et les travers. Avec humour’’.
 
Au retour donc de Bamako, Mme Diagne, toute généreuse, a nourri une belle ambition : faire davantage connaitre l’écrivaine Mariama Ndoye. Le déclic, elle le raconte : ‘’Je me souviens d’une soirée à l’Institut français, où notre sœur Ken Bugul disait : ‘Je suis enfin réconciliée avec mon public sénégalais.’ J’ai ouvert de grands yeux en me demandant : elle s’était donc brouillée avec son public ? Est-ce que la même chose va arriver à Mariama ? Dieu nous en garde. Donc, je me suis dit : que faire pour que Mariama soit mieux connue des jeunes lecteurs sénégalais ? Alors que des lycéens du Gabon lui décernent des prix. Elle, la léboue, elle la fille du père du consommer sénégalais… Oui, j’ai souhaité qu’elle ne puisse pas dire le public sénégalais ne me lit pas, ne me connait pas’’.
 
Depuis, la nièce de Joseph Ki-Zerbo s’est lancé le défi, mettant à profit les rares retraites que lui permettait son emploi du temps. ‘’Je remercie au passage l’Institut Goethe qui m’a permis de m’enfermer pendant deux mois en Allemagne, dans une île comme Gorée, où le matin, je voyais des lapins courir dans le pré. Et comme je n’avais personne autour de moi, je me suis consacrée entièrement à la lecture des œuvres de Mariama Ndoye…’’.
 
Maintes fois programmé, le livre n’est finalement sorti que récemment. L’auteure en profite pour donner un conseil à tous les écrivains, particulièrement ses sœurs, comme elle les appelle. ‘’Je leur donne souvent la métaphore du bébé. Le bébé, tant qu’il n’a pas fait ses neuf mois dans votre sein, il n’est pas encore prêt à affronter le monde. Si vous le laissez partir trop tôt, vous ne pourrez pas lui dire : Hé reviens vite : ton oreille n’a pas fini de… ton petit pied, il me faut continuer à le former…’’ Et de préciser : ‘’Une œuvre doit être mûrie et c’est ce que je recommande. C’est ce que j’ai retrouvé dans l’univers, les contes, les nouvelles, les romans et les interviews de Mariama.’’
 
‘’Avec elle, enchaine la formatrice à la Fastef, je me suis faite léboue, ivoirienne, diola, tunisienne et aussi burkinabé - car je trouve une figure burkinabé dans l’univers romanesque de Mariama Ndoye - pour lire, à travers le miroir de son regard sans complaisance, mais surtout sans méchanceté, le reflet de nos existences de femmes africaines, modernes et traditionnelles. Les deux visages sont dans son œuvre. Et aujourd’hui, nous voici devant vous, toutes les deux, pour vous demander de lire cette magnifique œuvre’’.
 
CEREMONIE DE DEDICACES
 
Dr Abdoulaye Diallo solde ses comptes
 
La cérémonie de présentation du livre a été l’occasion pour l’administrateur général de L’Harmattan-Sénégal de se ‘’laver à grande eau’’ par rapport à des accusations lui reprochant des deals avec le directeur du Livre et de la Lecture. Il déclare : ‘’Il se dit que monsieur Ibrahima Lo finance L’Harmattan à tour de bras, simplement parce qu’ils se seraient acoquinés pour des rétrocommissions… Il s’est même dit que L’Harmattan a une entreprise de BTP, que c’est L’Harmattan qui aurait construit la maison de monsieur Ibrahima Ndoye. Dieu m’est témoin, je ne connais pas du tout où habite Ibrahima Lo.’’
 
Très remonté contre de telles accusations, M. Diallo, rendant hommage à Mariama Ndoye, lui a ainsi fait savoir : ‘’Je sais ce que c’est qu’être devant. Mon père m’a toujours dit : ‘Abdoulaye, si tu ne veux pas que l’on parle de toi, il faut te mettre derrière.’ Quand on est devant, on parlera toujours de vous. Mais c’est aussi la marque des grandes dames, des grands hommes, de se boucher les oreilles, de faire comme si on n’entendait pas ce qui se dit et on continue de travailler.’’
 
Revenant sur ses relations avec l’ancienne directrice du Livre, il déclare : ‘’Quand nous sommes arrivés ici, en 2009, nous avons commencé à travailler bon an, mal an. Le ministère avait son fameux fonds d’aide. Nos auteurs allaient solliciter ce fonds d’aide, mais nous n’avons jamais bénéficié d’un rond de cette subvention. Nos auteurs étaient toujours éconduits et invités à aller voir ailleurs. Ma surprise a été grande, quand un jour, je reçois un appel des collaborateurs de la Direction du livre - Mme Mariama Ndoye venait de prendre fonction, il y a quelque temps - mes interlocuteurs m’ont dit que la directrice voulait me rencontrer.’’
 
Une fois le rendez-vous calé, les échanges ont essentiellement tourné sur le pourquoi les livres de L’Harmattan ne faisaient pas partie des livres subventionnés par la DLL. ‘’Elle m’a dit : ‘Mes collaborateurs et moi nous rendons compte que vous êtes en train d’abattre un bon travail. Mais, à ma grande surprise, il n’y a aucun livre de L’Harmattan.’ Je lui ai fait savoir que ce n’est pas faute d’avoir demandé. Elle m’a dit qu’à partir d’aujourd’hui, L’Harmattan-Sénégal sera éligible au même titre que toutes les maisons d’édition de ce pays. Je ne l’avais jamais vue auparavant.’’
 
MOR AMAR

 

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