Changement de paradigme
Recevant les militants de l'Alliance pour la République (APR) en marge de la 4e édition du Forum mondial de Paris qui s'est ouvert jeudi dernier à Paris, le président Macky Salle a lancé une pique à l'endroit de l'opposition qui, manifestement, a fait mouche, au regard des nombreux commentaires et remarques outrées qu'elle a suscitées. "Rassurez-vous, même avant d'être chef d'Etat, personne ne pouvait m'intimider, a fortiori aujourd'hui que Dieu m'a mis au pouvoir. Tout ce qui nous intéresse, c'est de travailler pour le développement du Sénégal. Travailler pour que le Sénégal soit l'un des pays les plus rayonnants d'Afrique. Dieu a mis le pouvoir entre nos mains. Alors, remobilisons-nous pour remporter les élections locales."
Confiance en soi exprimée, cap fixé. La confiance : l'œuvre de redressement de la nation, en faisant fi des agitations de l'opposition et des trublions qu'elle a érigés en vedette pour contrecarrer cette œuvre. Le message est clair : il ne se laissera pas faire et agira, chaque fois que cela sera nécessaire, dans le strict intérêt du Sénégal et pour la préservation de la paix et de l'État de droit. Le cap fixé : les élections locales, avec une large victoire pour les listes de sa coalition BBY, dans la majorité des localités.
Mais d'aucuns ont eu tôt fait de se faire les psychanalystes du président : s'il se vante de ne point être intimidé par les manifestations de l'opposition, c'est précisément parce qu'il l'est déjà. L'opposition lui ferait peur, d'autant qu'elle lui aura démontré, en mars dernier, qu'elle avait la capacité à ébranler son pouvoir, si ce n'est à le renverser. En bombant le torse, Macky Sall ne tenterait, en réalité, qu'à transcender ses phobies.
Ainsi, afficherait-il une détermination de principe, un lexique belliqueux qui relèverait plus du mantra de conjuration que d'une stratégie rationnelle de contre-offensive politique.
Les exégètes du discours présidentiel ne sont pas que des psychanalystes des phobies. D'autres relèvent dans les propos du président arrogance et fatuité, lui rappelant au passage que s'il détient le pouvoir temporel, "la force et la puissance appartiennent à Allah Subhaana Wa Taala". Évidence.
Mais ni d'un côté ni de l'autre, l'on a su judicieusement entendre la transformation du ton présidentiel. A la posture du silence qui, jusque-là, a caractérisé son attitude face aux offensives souvent violentes de l'opposition, semble avoir succédé celle de la parole réactive. Elle indique que le temps de l'action est venue et que le dépositaire premier de l'autorité et de la puissance publique, jouera sa partition pour faire entendre, quelle que soit la situation, la prééminence de l'autorité de l'État sur les autorités de circonstance ou celles qui se décrètent dans les officines des partis politiques, en convoquant, à la clef, la rue à la procédure de légitimation de cette "autorité".
Que cette métamorphose coïncide avec le calendrier électoral que l'on sait, n'est pas le fruit du hasard. Qu'elle apparaisse comme un commentaire des récents événements de rue qui ont opposé mercredi forces de l'ordre et militants de l'opposition, après que Barthélémy Dias a été convoqué au tribunal dans le cadre de son procès en appel, n'est pas fortuit. Macky Sall annonce, en filigrane, qu'il descend dans l'arène ; que, d'un côté, rien ne saurait troubler le bon déroulement démocratique des élections locales de janvier et que, de l'autre, la séparation des pouvoirs sera respectée par tous, dans la souveraineté de leur puissance. Et qu'à ce titre, nul ne saurait défier l'un ou l'autre de ces pouvoirs, sans défier l'État lui-même.
Le 1er décembre 2021, Barthélémy Dias est à nouveau convoqué au tribunal de Dakar pour un procès en appel mille fois annoncé et mille fois reporté. Barthélémy Dias devra y être jugé pour la mort, en 2011, de Ndiaga Diouf. Jugé en première instance, il avait été condamné en 2017 à deux ans de prison, dont six mois ferme et bénéficiait depuis d'une liberté provisoire après avoir fait appel du jugement. Pourquoi se dérobe-t-il maintenant d'un procès en appel dont il a pourtant pris l'initiative lui-même, comme lui en donne droit, le Code pénal ? Le fait d'être candidat à la mairie de Dakar l'exonère-t-il de ses devoirs de citoyen, en l'occurrence lorsqu'il se retrouve en porte-à-faux avec la loi ? Questions à mille inconnues auxquelles il ne répondra d'avance pas, puisqu'il a d'ores et déjà annoncé qu'il ne sera pas au tribunal le 1er décembre.
Mais la loi prévoit ces cas-là et, manifestement, en indiquant qu'il ne se laisse pas "intimider", Macky Sall prévient qu'il ne laissera pas s'installer une situation de troubles et d'insurrection qui découlerait de l'application de la loi par le pouvoir Judiciaire.
En attendant, les oracles sont peu optimistes pour les semaines à venir et nous aussi...