La problématique de l’accès et du civisme
Au marché Colobane, nombreux sont les commerçants, tailleurs et autres qui pissent sur le mur de clôture. Si d’aucuns invoquent la non-existence de toilettes, d’autres convoquent le prix ou la salubrité. Mais il est évident qu’il y a, avant tout, la problématique du civisme.
D’un pas lest, le jeune homme, tout en noir, se dirige vers le mur. Sans perdre de temps, il tire son sexe de son pantalon et se met à uriner, sans se préoccuper des passants. Aussitôt a-t-il terminé qu’il tire sur la fermeture de son jean avant de s’éloigner. Comme s’il s’agissait de toilettes publiques règlementaires, le mur de clôture du marché de Colobane, situé en face de l’autoroute, est fréquenté de manière assidue par les différentes professions qui se retrouvent dans ce lieu de commerce. À peine le premier venu s’est retiré qu’un autre du même âge arrive. Et comme un appel d’air, les ‘’usagers’’ se suivent l’un après l’autre, parfois même en groupes, alignés sur une dizaine de mètres, le long du mur.
Si certains viennent les mains vides et font leurs besoins sans se nettoyer les parties intimes, d’autres, par contre, apportent des sachets d’eau conditionnée. Il y en a même un qui est venu avec une bouilloire. Mbaye Der est son nom, il est tailleur au marché. ‘’Je suis venu ici, parce qu’il n’y a pas de toilettes publiques. Il y en a une qui est là, mais elle est fermée’’, se justifie-t-il. Son argument est le même que celui de Baye Mbaye, vendeur de tissus. Ce dernier déclare qu’il vide sa vessie dehors, parce qu’il n’y a pas de sanitaires dans son lieu de travail. ‘’Moi, je n’ai pas vu de toilettes dans le marché. S’il y en avait, je ne serais pas là. Je fais tout pour ne pas uriner plus de deux fois dans la journée. Parfois, je me retiens jusqu’à me faire mal au bas-ventre. Je pense qu’on doit nous aider à avoir des toilettes’’, lance-t-il.
Pourtant, ses affirmations sont battues en brèche par Sidy Sané et Saliou Ndiaye. Selon ces deux interlocuteurs, le prétexte de la non-existence de lieux d’aisance est fallacieux. ‘’Ils racontent des histoires. Venez voir, vous pouvez constater vous-mêmes. Il y a des toilettes là, elles ne sont pas fermées, mais ils s’en détournent pour pisser à l’air libre. Ce n’est rien d’autre qu’une mauvaise habitude, rien de plus’’, peste M. Sané. ‘’Même là-bas au garage, on a installé deux urinoirs gratuits, mais rien. Ils ne cherchent même pas à comprendre’’, renchérit M. Ndiaye. Ces deux messieurs disent s’être battus même avec des gens, sans succès.
Il y a pourtant un message de sensibilisation sur fond des couleurs de la nation : ‘’Uriner dans la rue est un acte de dégradation de la nature.’’ Seulement, ces écrits sonnent plutôt comme une invite à pisser sur le mur. Si la majorité a entre 20 et 30 ans, il suffit de rester quelques petites minutes pour se rendre compte qu’il n’y a pas d’âge. Chéchia sur la tête, un cure-dents à la bouche, un vieux de 60 ans environ se présente. Front contre le mur, debout sur ses deux pieds comme un adolescent, il participe au défilé urinaire, malgré son âge. Quant au mur, il s’est noirci, au fil du temps, et une odeur d’ammoniac se dégage à plus de 10 mètres.
‘’J’étais sous pression’’
Malgré tout, cette odeur devrait être plus supportable que celle des douches. Du moins, si l’on en croit un interlocuteur. Âgé d’une vingtaine d’années, teint clair, l’air intimidé, le jeune homme soutient fréquenter les lieux du fait d’exhalaisons fétides à l’intérieur des blocs sanitaires. ‘’Je viens ici parce que là-bas, c’est sale’’, déclare-t-il, les mots s’échappant difficilement de sa bouche. Il y en a d’autres, par contre, qui refusent d’aborder le sujet, se sentant sans doute coupables. ‘’Il y a des gens qui sont en train de pisser, il faut aller les voir, moi, je ne sais pas’’, répond un monsieur qui vient juste de terminer sa besogne. Ses deux mains occupées à nouer les lanières de son pantalon, il s’éloigne dans la précipitation pour ne pas répondre aux questions.
En réalité, il ne se pose pas un problème d’accès à des lieux d’aisance. Certains qui fréquentent le mur l’admettent d’ailleurs. Fallou Faye est un apprenti tailleur qui travaille dans l’atelier de son père. Il reconnait que des installations existent et sont bien entretenues, mais il se pose, à son niveau, un problème de moyens. ‘’Il faut payer 25 F et moi, d’habitude, je n’ai pas d’argent. J’utilisais des toilettes gratuites, mais aujourd’hui, le propriétaire n’est pas venu. C’est pour cela que je suis venu ici’’. Abdou Sène aussi avoue ne pas se réfugier derrière l’absence d’infrastructures. ‘’Je préfère vous dire la vérité. Il y a des toilettes et j’ai de quoi payer. Mais, j’étais sous pression. Je ne pouvais pas me retenir plus longtemps pour aller à l’intérieur du marché’’, se dédouane le vendeur de chaussures qui dit ne fréquenter les lieux que ‘’deux fois par semaine’’, approximativement.
Quant aux solutions, Sidy Sané et Saliou Guèye disent avoir tout tenté. Il leur arrive même d’appeler le policier en faction, mais les actions sont trop irrégulières et les sanctions pas assez rédhibitoires. Ainsi, l’un voudrait qu’il y ait deux agents pour surveiller les lieux en permanence, tandis que l’autre pense qu’il faut aménager et embellir l’environnement pour dissuader les téméraires.