Au-delà des programmes, des politiques à réinventer
Le président de la République, Macky Sall, préside aujourd’hui un Conseil présidentiel sur le financement du Programme d’urgence pour l’emploi et l’insertion socioéconomique des jeunes. Deux économistes donnent des solutions pour prendre les bonnes orientations et pour éviter de répéter les échecs récents de ce genre de démarche.
L’onde sismique provoquée par les émeutes de début mars 2021, a ébranlé l’Etat du Sénégal, au plus profond de ses entrailles. Le mal-être et les aspirations d’emploi des jeunes ont été identifiés, depuis, comme les principaux enseignements à tirer de cette colère populaire. De telle sorte que le président de la République, Macky Sall, multiplie les actions et déclarations d’intention pour la création d’emplois en faveur des jeunes. Un des moments forts de cet agenda se joue, aujourd’hui et demain.
Au Centre international de conférences Abdou Diouf de Diamniadio, se tient, du 22 au 23 avril 2021, un Conseil présidentiel sur l’emploi des jeunes.
Annoncé par le chef de l’Etat, lors de son discours à la Nation, à la veille de célébration de la fête nationale du 4 Avril, ce ‘’Conseil présidentiel sur le financement du Programme d’urgence pour l’emploi et l’insertion socioéconomique des jeunes’’ verra la participation, en plus du président Macky Sall, des membres du gouvernement, de représentants des jeunes et de structures dédiées aux financements des jeunes.
Devant les Sénégalais, le chef de l’Etat avait également décliné sa volonté de voir les travaux de ce Conseil présidentiel s’appuyer ‘’sur les réalités de nos terroirs, dans un format inclusif associant les jeunesses ouvrières, artisanales, paysannes, entrepreneuriales, sportives, artistiques du secteur informel, des cultures urbaines et des loisirs’’.
Un nouveau programme d’urgence va ainsi être élaboré pour répondre à une demande pressante. Comme avec tant d’autres mis en place avant celui-là, l’économiste Moustapha Kassé analysait, dans une interview avec ‘’EnQuête’’, ‘’le fossé grandissant qui sépare les discours grandiloquents et vaniteux des décideurs politiques et des élites (experts) qui gravitent autour d’eux, de la réalité des conditions sociales désastreuses que vivent les populations africaines et leur jeunesse’’. Ceci, pour relever que malgré les discours et programmes à la va-vite, en l’absence de politiques publiques efficientes, l’équation de l’emploi des jeunes n’est pas près d’être résolue.
L’universitaire, citant Li Yong, Directeur général de l’Onudi (l’Organisation des Nations Unies pour le développement industriel), rappelait qu’aujourd’hui, tout le monde sait que ‘’les emplois ne tombent pas du ciel comme une manne, aussi ardemment qu’on puisse le souhaiter. Ils naissent du processus du développement économique, de la création de nouvelles entreprises et de nouvelles activités par les entreprises privées et publiques’’. Loin alors de ce Programme d’urgence pour l’emploi et l’insertion socio-économique des jeunes, que le président de la République a promis de financer par une réorientation des allocations budgétaires à hauteur de 450 milliards de FCFA au moins, sur trois ans, dont 150 milliards pour cette année.
Un autre éminent économiste rapportait, dans les mêmes circonstances que le doyen Mamadou Kassé, que cette stratégie était certainement vouée à l’échec. Ce nouveau programme va s’ajouter à la Délégation à l’entreprenariat rapide (Der), au Fongip et à beaucoup d’autres agences gouvernementales créées pour solutionner le manque d’emploi des jeunes. Pour Ndongo Samba Sylla, ‘’le financement des projets n’est pas une approche adaptée pour solutionner les problèmes d’emploi des jeunes. Il faut un écosystème, un environnement propice pour l’éclosion des PME-PMI. Et cet environnement n’existe pas. La plupart du temps, on finance des projets sans lendemain. C’est la réalité. D’une part, parce que les candidats opèrent souvent dans les mêmes secteurs. D’autre part, parce qu’il manque un accompagnement technique, une protection contre la concurrence extérieure… Financer des projets sans les inscrire dans une vision industrielle, on le fait depuis 1960 et cela n’a jamais marché. Cela ne peut pas marcher’’.
Plutôt que de financer des projets et des formations tous azimuts, le chercheur à la fondation Rosa Luxembourg conseille, avant tout, de se fonder sur ‘’un vrai modèle de développement. Une politique d’industrialisation permettant de cibler des secteurs-clés pour notre développement auxquels on accorderait tout l’appui qu’il faut pour leur croissance. Il faut créer une économie articulée, c'est-à-dire une économie industrielle, moderne, avec des secteurs qui ont des relations amont-aval. C'est-à-dire que l'agriculture va être un débouché pour l'industrie qui va être un débouché pour l'agriculture...’’.
Ceci ne se fera pas en un claquement de doigts. Bien au contraire ! Cela passera par des décisions politiques courageuses. Le Pr. Kassé le souligne, faisant remarquer que ‘’les transformations structurelles reflètent un processus planifié à travers lequel l’importance relative des différents secteurs et activités d’une économie change au cours du temps. Elles sont conduites par un État fort, un leadership transformationnel avec une gouvernance politique et macroéconomique inclusive, nationale et populaire. Ce qui appelle des systèmes budgétaires solides, des taux de change tournés vers la compétitivité (politique monétaire), des taux d’intérêt modérés (en accord avec la Banque centrale) et un appui subséquent au secteur privé national, etc.’’.
Un exemple de décisions fortes données par Ndongo samba Sylla est la souveraineté monétaire, la mobilisation des ressources domestiques et la rationalisation des dépenses publiques. ‘’Quand on aura une vision économique articulée autour de ce triptyque, là on peut créer des emplois pour les jeunes et on peut même aspirer au plein-emploi’’, assure-t-il.
D’autres, moins politiques, seraient la structuration du secteur informel dans lequel il faut amener les acteurs à produire plus et mieux, avec des conditions de travail meilleures, par une approche différente. Pour le coauteur, avec Fanny Pigeaud, de ‘’L’arme invisible de la Françafrique, une histoire du franc CFA’’, ‘’c’est bien possible. Mais cela demande une approche différente de celle des décideurs politiques…’’.
Aujourd’hui, ils seront 450 jeunes en provenance des 45 départements du pays, dont 10 par département, à se réunir avec le chef de l’Etat, afin d’essayer d’apporter des solutions durables à la problématique de l’emploi des jeunes. Ils sont appelés par les spécialistes à avoir à l’esprit ce que nos décideurs actuels ne semblent toujours pas avoir compris, comme le soutient Ndongo Samba Sylla : ‘’Notre modèle mène vers l’impasse. Il ne peut créer d’emplois ; il ne peut pas créer une prospérité.’’
Lamine Diouf