Neuf maraîchers de la localité jugés au tribunal des flagrants délits

Après plus d’une dizaine de jours de détention préventive, les neuf maraîchers de Rufisque ont finalement fait face, hier, aux juges du tribunal des flagrants délits de Dakar. S’opposant à la construction d’une station-service à Lendeng, une zone maraîchère, ils ont été attraits devant la barre de cette juridiction pénale pour actions diverses par le représentant de la société MK Excellence, Pierre Correa Mboup.
Une foule immense a envahi, hier, le hall du palais de Justice de Dakar. Le même décor a été constaté à la salle 1 qui abrite les audiences des flagrants délits. Tout ce beau monde est venu soutenir les maraîchers de Rufisque qui séjournent à la citadelle du silence depuis le 1er mars 2024. Âgés de 60 à 44 ans, ils sont tous poursuivis pour actions diverses (destruction de biens appartenant à autrui, violences et voies de fait…). Des faits qu’ils ont contestés en présence du plaignant Pierre Correa Mboup qui les a tous formellement identifiés.
Il ressort de l’économie des faits qu’au courant du mois de février dernier, la société MK Excellence, qui venait d’entamer la construction d’une station-service à Lendeng (Rufisque), a reçu la visite de plusieurs personnes. Furieuses, celles-ci s’opposaient à son érection. Ces maraîchers se sont prévalus d’un décret du président de la République érigeant cette bande de plusieurs hectares comme une zone non aedificandi. Le représentant de la société d’hydrocarbures, informé par le vigile, appelle la police qui va disperser la foule. Ce n’est que quelques jours après qu’une plainte a été déposée au niveau du parquet.
En effet, tout comme les maraîchers, Pierre Correa Mboup, qui représente la société, a brandi un autre décret qui abroge celui détenu par les maraîchers. Arrêtés, ces derniers, après un premier renvoi de leur affaire, ont eu l’opportunité de s’exprimer sur les faits qui leur ont valu leur comparution devant la barre du tribunal des flagrants délits de Dakar.
Au nombre de neuf, dont une femme, ils ont tous contesté les faits. Si certains parmi eux disent qu’ils se sont retrouvés sur le site par curiosité, d’autres déclarent qu’ils étaient au bord de la route pour montrer leur désaccord en ce qui concerne l’entame des travaux. Mais le plaignant campe sur sa position en les accusant d’avoir saccagé ses outils, notamment plusieurs sacs de ciment et du fer.
En outre, devant les magistrats, certains des prévenus disent qu’ils n’ignoraient pas que le décret détenu par le plaignant abrogeait celui qu’ils détiennent.
En effet, Mamadou Ka, président du GIE des maraîchers, avoue que lors de leur première confrontation, ils ont été convoqués à la Direction de la surveillance et du contrôle de l'occupation du sol (Dscos). Là-bas, a-t-il dit, on lui a notifié l’abrogation de leur décret par celui de Pierre Correa Mboup. Il a précisé qu’Ibrahima Diallo, Mamadou Ka et Kalidou Dia dirigeaient l’attroupement qui a eu lieu sur son site.
Selon Me Ndoumbé Wone qui a représenté les intérêts de la partie civile, le Sénégal est confronté à un sérieux problème d’autorité. ‘’La société MK Excellence a régulièrement obtenu son terrain. Elle a toutes les autorisations nécessaires pour l’implantation d’une station. En connaissance de cause, les prévenus ont décidé de l’empêcher d’ériger sa station. Il y a eu deux incidents. La première fois, la police est venue. Ils ont été convoqués à la Dscos. Ils ont fait comprendre au président du GIE que le décret de mon client a abrogé leur décret. Il a commencé les constructions, ils ont débarqué sur le site pour l’empêcher d’entamer les travaux’’, s’est plainte l’avocate.
Elle a précisé que son client n’a pas déposé plainte contre X, parce qu’il connaît très bien les maraîchers. Il les a tous identifiés. ‘’Mon client n’est pas là pour battre monnaie. Il veut travailler en paix. Depuis deux semaines, il fait sereinement ses travaux’’, a conclu la robe noire.
La représentante du ministère public a pour sa part requis l’application de la loi.
‘’Lendeng est une zone agro- écologique par un décret présidentiel’’
De leur côté, les avocats de la défense ont sollicité le renvoi des fins de la poursuite des prévenus. ‘’Lendeng est une zone agro- écologique par un décret présidentiel. Ce décret a été abrogé au profit de privés. Ces populations méritent un minimum de respect de la part de l’autorité administrative. L’abrogation du décret n’a pas été notifiée aux maraîchers. Il y avait une foule. Mais il n’y a que les membres du GIE qui ont comparu ici. Il n’a fait que demander leurs noms pour les identifier afin de les intimider’’, a relevé Me Aissatou Ba. Son confrère Mouhamadou Moustapha Dieng de marteler : ‘’En aucun cas, il n’y a eu défiance à l’autorité publique. Leur détention est hors de propos.’’
‘’Au Sénégal, on a un problème de citoyenneté. Un bon citoyen est celui qui ne prend pas une zone écologique pour y implanter une station. Dans cette affaire, il n’y a pas d’infraction. Je sollicite de les relaxer purement et simplement’’, a plaidé Me Étienne Ndione.
Après les débats d’audience qui ont duré plus d’une heure, le tribunal a finalement rendu sa décision. Après avoir ordonné la relaxe de Mamadou Kâ, Ibrahima Diallo, Abdou Fall et Kalidou Dia, il a déclaré les autres comparants coupables. Ils ont été condamnés à un mois avec sursis.
Un ouf de soulagement pour les familles et amis des prévenus qui avaient retenu leur respiration au moment où le juge rendait le verdict.
MAGUETTE NDAO