Publié le 29 Jan 2025 - 18:12
CONVENTION SN HLM-ENTREPRISES FRANÇAISES

Le souverainisme à l'épreuve de la réalité économique

 

Accusée d'être en porte-à-faux avec le projet souverainiste des nouveaux tenants du régime, la SN HLM, qui aurait signé une convention de construction de logements avec des entreprises françaises, apporte des éclairages. 

 

Endogénéisation, souverainisme, préférence nationale… Ces éléments de langage sont, depuis l’avènement de la nouvelle alternance, au cœur du discours public des gouvernants. Mais dans les faits, on est encore très loin de la concrétisation de cette ambition qui semble, au fur et à mesure, s'éloigner. De plus en plus, les nouveaux dirigeants signent des accords et conventions qui sont aux antipodes de cette vision de rupture affichée par les plus hautes autorités. L’un des derniers exemples en date, c’est la signature, par le directeur de la Société nationale des habitats à loyer modéré (SN HLM), d’une convention avec un groupe d'entreprises françaises basées à Montpellier. Ce sont les médias locaux français qui ont fait la révélation. 

À en croire les médias montpelliérains, le directeur général de la SN HLM, Bassirou Kébé, s'est engagé à mener avec les entreprises françaises un partenariat gagnant-gagnant, dans le cadre du projet de construction d'un lot de 25 000 logements. “Nous comptons sur le savoir-faire français pour nous permettre d’aller vite. L’État dispose déjà des terrains, nous pouvons commencer les travaux rapidement… Mais nous attendons aussi de nos partenaires qu’ils nous aident en retour à mettre en place toute une filière industrielle locale et une offre de formation qui nous permettront, à terme, d’être indépendants”, rapportent certains sites français. 

À l'horizon 2050, informent lesdits médias qui citent le DG Bassirou Kébé, il s'agira de construire 500 000 logements sociaux dans tout le pays, dont une grande partie à Dakar, conformément à l'agenda Sénégal 2050. Après avoir visité les quartiers les plus récents - depuis Antigone à Port Marianne en passant par la Restanque et le quartier des Constellations à Juvignac, M. Kébé, qui a signé une convention, a émis le souhait de voir les entreprises françaises apporter leur expertise et leur technologie pour la mise en place d'une industrie locale performante au Sénégal. “Nous devons construire vite, construire bien. Et pour cela, nous souhaitons nous appuyer sur des spécialistes qui ont déjà participé à de grands projets d’aménagement urbain”, a soutenu M. Kébé.

L'information n'a pas laissé indifférents certains observateurs au Sénégal. Ils ont été nombreux à s'étonner que le gouvernement souverainiste aille en France pour chercher des entreprises qui vont lui construire des logements, en laissant en rade les entreprises sénégalaises de BTP, qui souffrent depuis plusieurs mois, avec l'arrêt de nombreux chantiers.

Mais la grande interrogation, c'est sans nul doute sur quelle base juridique le DG de la SN HLM compte s'appuyer pour contourner la réglementation relative aux marchés publics et aux partenariats public-privé.

En son absence, le directeur général de la SN HLM, qui a été très réactif, nous a mis en rapport avec le secrétaire général adjoint Mamadou Chérif Sy. Ce dernier de préciser : “En fait, à ce stade, il n'y a pas encore de contrat. C'est juste un protocole d'accord qui marque l'ouverture de négociations. S'il doit y avoir un contrat, nous allons naturellement respecter la réglementation en vigueur sur les marchés publics, avec forcément la validation des autorités compétentes. Il n'y a pas de soucis à se faire à ce niveau.”

Revenant sur les termes de l'accord qui a été conclu, M. Sy a tenu à insister sur le fait qu'il n'y a pas encore de marché conclu. Aussi, les 25 000 logements dont il a été question, c'est l'ensemble des logements que l'État doit construire sur les cinq ans à venir, conformément au plan stratégique de la SN HLM. Il ne s'agit donc pas de tout octroyer aux Français. Il insiste : “Encore une fois, nous n'en sommes pas encore là. Pour le cas de la convention, il s'agit d’une convention de partenariat, afin d'encourager l'échange d'expériences et de savoir-faire dans les domaines de la gestion urbaine et de l’aménagement. Les deux parties s'accordent, en vertu de cet accord, à coopérer dans le domaine de l'aménagement urbain.”

Tout en réfutant qu'il y ait attribution de marché, le SGA reconnait : “Dans les protocoles, il y a le transfert de compétences, de technologie, le recrutement des Sénégalais pour l’exécution et la société de projets dans le cadre des PPP sera 100 % de droit sénégalais.”

L'accord a en tout cas été accueilli avec beaucoup d'enthousiasme chez les promoteurs montpelliérains. Directeur du développement du groupe immobilier, Jean-Loup Leygue confirme que le projet est bien avancé : “S’il fallait classer ce projet en trois phase, la signature de cette convention serait la phase 2 qui lance la phase incontournable des analyses techniques. Nous nous rendrons prochainement à Dakar pour bien étudier les sites et déterminer les projets et les types de logements qu’il faudra produire.” Du côté de la SN HLM, on semble moins euphorique. Peut-être aussi pour calmer la grogne qui commençait à prendre de l'ampleur. “En fait, le DG était parti pour visiter, échanger d'expériences, voir ce qu'il est possible de faire ensemble. Il y a des discussions en cours, mais c'est prématuré de parler de l'existence d'un contrat”, a-t-il précisé. 

Avant la SN HLM, la Sicap s’était aussi signalée en entamant des négociations avec des entreprises chinoises, dans le but de construire des logements sociaux. Le directeur général Moctar Magassouba avait, en effet, reçu en audience une délégation composée de l'entreprise chinoise Zenhua et China African Investment Development. “Des partenaires chinois et sénégalais avec qui la Sicap SA compte collaborer dans plusieurs projets de milliards pour des logements sociaux avec l'implantation d'une usine et des logements grand standing à des prix imbattables. Après l'audience, les partenaires chino-sénégalais ont effectué des visites sur les sites de Baobab et de Grand Mbao”, informaient les services de communication de la société nationale. 

Il faut, par ailleurs, noter que de 2019 à 2024, la SN HLM a réalisé 4 275 unités d’habitation, dont 3 883 parcelles assainies et 392 logements à Dakar et dans les autres régions, avec une moyenne annuelle de 713 unités d’habitation, dont 647 parcelles et 65 logements. Le nouveau régime compte faire bien mieux dans les cinq prochaines années, conformément à l'engagement pris dans le cadre de la nouvelle stratégie de développement. 

Pendant que ces entreprises publiques signent des marchés à coups de milliards à des entreprises étrangères – créant sans doute du travail dans ces pays - l'État central, lui, multiplie les conventions avec d'autres pays pour exporter de la main-d’œuvre. Ce qui risque de mettre à rude épreuve la politique de souveraineté promise par les nouveaux tenants du régime. 

Par Mor Amar

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