La création d'une nouvelle compagnie aérienne privée au Sénégal, comme Air Sénégal Express, soulève des débats passionnés et des opinions divergentes parmi les experts et les professionnels du secteur aérien. Cette initiative visant à assurer des dessertes intérieures à bas coût pour désenclaver le territoire et stimuler l'économie, présente à la fois des opportunités significatives et des défis majeurs. ‘’EnQuête’’ explore les chances et les risques associés à une telle entreprise, en tenant compte des avis variés des experts.

Une compagnie dédiée aux dessertes intérieures pourrait bientôt voir le jour, selon le document de programmation budgétaire publié par le ministère sénégalais des Finances. Sollicités par ‘’Jeune Afrique’’, le ministre des Transports El Malick Ndiaye et le directeur général d’Air Sénégal Alioune Badara Fall n’avaient pas donné suite à nos questions avant la parution de cet article.

L'une des principales motivations derrière la création d'Air Sénégal Express est de désenclaver les régions éloignées du pays. Assurer une connectivité aérienne fiable et abordable peut grandement faciliter les échanges commerciaux et le tourisme local. Comme le souligne Mamadou Lamine Sow, ancien directeur d’Air Sénégal, "maintenant que les investissements dans les aéroports secondaires sont réalisés, il faut les rentabiliser en développant le transport intérieur". Cela pourrait transformer des régions historiquement isolées en pôles économiques dynamiques.

Partenariats public-privé

La collaboration entre l’État et le secteur privé national est un autre atout potentiel. La création d'Air Sénégal Express, en partenariat avec des entreprises privées, pourrait attirer des investissements et des compétences essentielles pour la réussite du projet.

Ce partenariat pourrait également offrir une certaine flexibilité et innovation dans la gestion de la compagnie, souvent plus difficile à réaliser dans les entreprises entièrement étatiques.

Une nouvelle compagnie aérienne dédiée aux vols domestiques pourrait servir de "vols d'apport" ou "vols d'emport" pour les vols régionaux et internationaux d'Air Sénégal. Cela pourrait améliorer l'efficacité des correspondances et offrir des tarifs plus compétitifs sur les vols internationaux. Meissa Seck, expert en transport aérien, suggère que l'État et Transair pourraient constituer une joint-venture pour co-exploiter le réseau domestique, ce qui bénéficierait à l’ensemble de l’écosystème aérien national.

Il poursuit : "En collaborant étroitement avec des opérateurs privés comme Transair, l'État pourrait non seulement partager les risques financiers, mais aussi bénéficier de l'expertise et de l'efficacité du secteur privé. Une joint-venture avec Transair pourrait maximiser les synergies et garantir une exploitation plus rationnelle et efficace du réseau domestique."

Viabilité économique de la nouvelle compagnie

Le défi le plus pressant est la viabilité économique des dessertes domestiques. Beaucoup de lignes à faible demande risquent de générer des pertes substantielles. Comme le note un professionnel du secteur, "aucune desserte domestique sénégalaise ne justifie un trafic régulier", à l'exception de certaines lignes spécifiques comme celles vers la Casamance ou Tambacounda en saison de chasse. Les coûts d'exploitation élevés et la faible demande sur certaines routes pourraient rapidement rendre l'entreprise non rentable.

Le Sénégal a déjà connu des échecs avec des compagnies aériennes nationales, comme le montre l'expérience d'Air Sénégal. Le manque de planification stratégique, les inefficacités opérationnelles et les décisions politiques ont souvent entravé le succès des entreprises aériennes.

Meissa Seck met en garde contre la répétition des erreurs passées, soulignant que "dans des conditions identiques de température et de pression, les mêmes causes produisent toujours les mêmes effets".

Concurrence et marché limité

Le marché intérieur sénégalais est limité, avec une demande relativement faible pour les vols domestiques réguliers. L’introduction d’une nouvelle compagnie pourrait entraîner une concurrence directe avec des opérateurs existants comme Transair, ce qui pourrait fragiliser davantage le marché. Meissa Seck, ancien agent de la compagnie Air Afrique, défend l'idée de soutenir Transair plutôt que de créer une nouvelle concurrence, suggérant une mutualisation des forces pour co-exploiter le réseau domestique.

Les récents problèmes liés à la livraison et à la fonctionnalité des nouveaux avions illustrent les défis logistiques et techniques auxquels la nouvelle compagnie pourrait être confrontée. Les retards et les révisions de commande témoignent des difficultés potentielles dans la gestion de la flotte et la mise en service des appareils.

Perspectives et stratégies de la nouvelle compagnie

Avant de lancer une nouvelle compagnie, il serait prudent de réaliser un audit technique, administratif, financier et comptable d’Air Sénégal. Une telle évaluation permettrait d’identifier les faiblesses et les points forts, offrant ainsi une base solide pour une réorganisation et une optimisation des opérations. Suspendre les activités d'Air Sénégal, comme le suggère ce consultant, pourrait permettre une refonte complète et une mise en place de nouvelles bases plus solides.

Assane Camara, responsable touristique, insiste sur le rôle régulateur de l’État pour garantir des prix accessibles aux Sénégalais moyens. L’État devrait non seulement investir dans les infrastructures, mais aussi créer un environnement favorable aux investissements privés tout en régulant le marché pour éviter des prix excessifs et garantir une accessibilité pour tous.

La création d’une compagnie aérienne privée au Sénégal, comme Air Sénégal Express, présente des opportunités considérables pour désenclaver le territoire et dynamiser l’économie locale. Cependant, les défis sur le plan de la viabilité économique, de la gestion et de la concurrence sont significatifs.

Amadou Camara Gueye