Les recommandations essentielles du Forum civil
Le président Macky Sall a beau afficher sa volonté de résoudre la question de la demande sociale, la machine semble grippée. Pour relever le défi de la gouvernance économique, le Forum civil, dans un document dont EnQuête a copie, propose des pistes de solution à travers des recommandations fondamentales.
Le présent document retrace les principaux défis du Gouvernement sénégalais en matière de gouvernance économique, vus sous le prisme de la société civile. Globalement, outre l'analyse des politiques économiques dans une approche pro-pauvre, il insiste sur la place des entreprises nationales et la politique budgétaire dans les politiques publiques. Le choix de ces trois problématiques s'explique par la récurrence de leur évocation dans les instances de délibération de la société civile sénégalaise. Sur la base des constats empiriques, les recommandations sont formulées, en vue d'une meilleure contribution de ces facteurs à la dynamisation de l'activité économique.
I-Principaux points de préoccupation de la société civile
1.1. Pauvreté
Selon les chiffres de l'Agence Nationale de la Statistique et de la Démographie (ANSD), le taux de pauvreté se situe au Sénégal à 46,7 % en 2011, alors qu’il était de 48,3% en 2005. Cette évolution, qui traduit une baisse, laisse apparaître que l'incidence de la pauvreté reste encore élevée au Sénégal. Cette pauvreté est encore plus prononcée dans le monde rural, où elle se situe à 69,3% contre 71% en 2005-2006, soit une baisse de 1,7%, qui confine à une stagnation. Les régions de Kolda, de Tambacounda, de Sédhiou sont les plus touchées par le phénomène. Par contre, la pauvreté semble moindre à Dakar où elle concerne moins de 26,1% de la population. Le niveau de pauvreté élevé a toujours appelé, de la part de la société civile sénégalaise, les observations et recommandations ci-après plus ou moins liées à la gouvernance économique.
Premièrement : la persistance de la pauvreté au Sénégal traduit un déséquilibre important entre la structure de l’économie sénégalaise et celle qui permettrait à la croissance d’avoir un meilleur impact sur les populations. En effet, le Sénégal se distingue par une répartition de la production nationale qui ne correspond pas aux exigences de réduction de la pauvreté. Sur les dix dernières années, en moyenne, le secteur primaire qui génère 13,7% du PIB, englobe 50% de la population active et plus de 81% des pauvres. Ce secteur contribue donc faiblement à la création de la richesse, mais embrasse une importante main-d'oeuvre frappée de faiblesse des revenus. C’est également le secteur où le taux de croissance du PIB/tête est le plus bas (2,18%). A l'inverse, le secteur tertiaire, réputé faible utilisateur de main-d'œuvre (18% des travailleurs), concentre plus de 60,7% du PIB et reste en grande partie dominé par l'informel qui présente l'inconvénient majeur de ne pas promouvoir d'emplois à la dimension de son activité. A l'exception du tourisme, fortement touché par la concurrence mondiale et la crise internationale, le secteur tertiaire contribue peu à la formation de l'emploi, mais mobilise un volume important de facteurs de production, dont le capital, au détriment des autres secteurs plus pourvoyeurs d'emplois.
Deuxièmement, les constats de l'ANSD pourraient être liés à l'inefficacité des dépenses publiques opérées durant 12 ans au Sénégal. En effet, les résultats reflètent une concentration des dépenses dans la région de Dakar au détriment du reste du pays, confirmée par un récent rapport de la Banque Mondiale1.
Troisièmement : les tendances observées mettent en évidence l'existence d'un biais sur les transferts de l’Etat aux couches les plus vulnérables. A cet égard, la Banque Mondiale, se fondant sur les enquêtes sur les ménages, estime que près de 15% seulement de ces subventions vont vers les pauvres au Sénégal.
Quatrièmement : l'étude de l'ANSD permet de confirmer la forte corrélation, souvent mise en évidence, entre degré de pauvreté et corruption, le Sénégal et les autres pays à forte incidence de pauvreté étant placés par l’indice de perception de la corruption de la Banque Mondiale et de Transparency International dans la zone des pays les plus corrompus.
Cinquièmement : la politique des prix, fondée essentiellement sur les mécanismes du marché, ne permet pas un accès équitable aux produits de première consommation. Elle exclut les plus pauvres au fur et à mesure que montent les prix des denrées, comme c'est le cas depuis 4 ans.
1.2. Place de l'entreprise nationale
En matière de politique d'entreprise, l'importante littérature y relative met en évidence une absence de réelle volonté des pouvoirs publics de promouvoir et consolider les entreprises sénégalaises depuis les indépendances. La faculté des PME de se développer et de soutenir une concurrence est restée entravée par un environnement économique inadéquat, dont une des caractéristiques majeures reste le faible encadrement de l'Etat, en dépit de l'existence de plusieurs structures d'appui.
Parmi les insuffisances, figure le caractère informel des unités de production, induisant des contraintes multiformes, des difficultés de financement liées notamment à l'insuffisance de fonds propres, limitant la capacité de mobilisation de ressources, le faible accès aux marchés publics et aux facteurs de production. Cette situation défavorable est accentuée par des contraintes de l'environnement international marqué par l'exacerbation de la concurrence impulsée par l'OMC et la survivance du protectionnisme plus ou moins déguisée au sein des pays riches, traduisant une non-application des règles du commerce international.
1.3. Politique budgétaire
Tendanciellement bien maîtrisées à la faveur d'un ambitieux plan d'assainissement, les finances publiques, les finances publiques ont renoué avec les déséquilibres qui ont atteint leur point d'orgue avec le phénomène de «dépenses hors budget» intervenues en 2009. Dans un passé récent, le secteur était marqué par un déficit de gouvernance, reflété notamment par une consolidation inquiétante des arriérés de paiement au secteur privé et la multiplication de dépenses de prestige, sans réel effet sur la croissance économique, portant le déficit budgétaire à 5,7% du PIB en 2011. Dans ce contexte, les pouvoirs publics ont largement entamé leurs moyens d'action de redistribution, accentuant ainsi la pauvreté. Ils ont également dû faire face à l'impossibilité de maintenir les dépenses sociales, particulièrement dans le soutien au pouvoir d'achat, entraînant une dégradation de la plupart des indicateurs sociaux. En particulier, les économistes sénégalais, dans leur majorité, soulignent l'absence de résultats tangibles des investissements réalisés dans les infrastructures durant les dix dernières années. Ces dépenses (de prestige), en dépit de leur hausse historique, n'ont ni accéléré la croissance, ni réduit la pauvreté au Sénégal.
L'économie du pays a fortement pâti de la primauté des décisions discrétionnaires sur les règles durant les années précédentes. La soutenabilité de la dette publique, qui a été rétablie à la faveur des initiatives «Pays Pauvres Très Endettés (PPTE) et Initiative d'Allègement de la Dette Multilatérale (IADM), reste très précaire, du fait des tensions de trésorerie, induisant le risque d'un nouveau cercle vicieux d'endettement.
II. Propositions de réformes
Sur les trois secteurs, les recommandations de la société civile à l'endroit des autorités réaffirment la nécessité de centrer les mesures sur des réformes macroéconomiques et la promotion de l'équité.
Au titre des politiques pro-pauvres
En matière de rééquilibrage de l'activité économique, il conviendrait de mettre l'accent sur les investissements dans le secteur primaire, notamment l'agriculture. De surcroît, l'accentuation des inégalités liées à la pratique d'accaparement, appelle plus que jamais à la poursuite du processus de récupération de la richesse des anciens tenants du pouvoir. De même, les acteurs de la société civile insistent sur la levée des contraintes à la mise en œuvre des politiques structurelles requises, en particulier celles visant à diversifier les bases de la production et à promouvoir la compétitivité.
Enfin, une politique pro-pauvre requiert une meilleure discipline économique, notamment budgétaire au Sénégal, les déficits excessifs impliquant souvent des crises de paiements (arriérés), l'absence de marge de manœuvre pour faire face aux chocs et une inflation qui touche surtout les pauvres. Dans ce cadre, les pays qui ont le mieux réussi à juguler le phénomène (Brésil, Ghana, Maurice, etc.) ont procédé à un réaménagement des priorités d'allocation publique bénéficiant aux pauvres, à travers un ciblage des dépenses de consommation de base, d’éducation et de santé. Cette approche, par un cercle vertueux, présente l'avantage majeur de garantir une demande domestique solide et utile à la dynamisation de l'activité économique.
Au titre de la promotion des entreprises nationales
La réflexion économique contemporaine met en avant la montée du débat sur la nécessité d'apporter une nouvelle génération de soutiens et de promotion aux entreprises nationales, fondée sur le constat d'échecs de plusieurs initiatives antérieures. Cette exigence est renforcée par la dynamique de soutien que les pays émergents ont toujours fourni à leurs entreprises, dans le sillage d'une pratique historique, à travers des mesures révolutionnaires axées à la fois sur l'aménagement d'espaces de compétitivité et d'aide pour le gain de marchés nationaux et internationaux. Synthétiquement, les propositions portent sur :la rationalisation de l'appui institutionnel aux entreprises, incluant une revue des missions des nombreuses structures d'encadrement des PME (APIX, ADPME, ASEPEX, etc.) ; la mise sur pied d'un dispositif permettant un meilleur accès des entreprises nationales aux marchés publics ; la définition d'une proposition de réformes du secteur financier dans une approche communautaire, garantissant de meilleures conditions de financement des PME ; la promotion du partenariat public/privé (PPP) réputé moins complexe quand l'Etat a pour interlocuteurs des entreprises nationales. Ce constat appelle à la constitution de groupes nationaux susceptibles de répondre aux sollicitations de la puissance publique en matière de politique de l'entreprise ; la levée des entraves aux flux des échanges intra-UEMOA, afin de garantir une meilleure pénétration des produits dans l'espace sous régional et baisser les prix.
Au titre de la politique budgétaire
L'assainissement des finances publiques, en vue d'un meilleur soutien à la croissance économique par le développement des infrastructures et la restauration progressive de la capacité de la politique budgétaire à jouer pleinement son rôle de stimulation des investissements ; une nouvelle gouvernance budgétaire prenant en compte la qualité de la dépense publique qui ne devrait pas seulement être appréhendée à l’aune des détournements de deniers publics, mais sous l’angle des déperditions de ressources induites par des dépenses sans rendement économique et social. Cette démarche implique la définition d'un mécanisme de lutte contre le gaspillage dans l'administration, afin de dégager de nouvelles ressources pour promouvoir des projets de développement ; l'amélioration du dispositif d'absorption des ressources, en se fondant sur les faibles résultats enregistrés en la matière. La mobilisation de ressources s'est profondément ressentie du manque de stabilité qui caractérise le Gouvernement depuis 2000. En effet, les nombreux remaniements ministériels ont souvent donné lieu à des modifications des structures de gestion préjudiciables à l'efficacité de la coopération financière ; la définition d'une réelle intégration des ressources tirées du secteur des mines dans le budget national, traduisant une amélioration de la gouvernance, afin de garantir l'accès des populations aux ressources y relatives, singulièrement celles situées sur les zones de production. La nouvelle politique minière devrait également intégrer la problématique de la transformation industrielle de la production brute garantissant une valeur ajoutée sociale et une exposition moindre aux incertitudes quant à la volatilité des cours.
Ces mesures seraient adossées à une gouvernance réellement opératoire qui constitue un puissant vecteur de lutte contre la pauvreté et les inégalités. A titre illustratif, l'incapacité des personnes à accéder à la nourriture témoigne aussi d'une carence de droits et de démocratie. Au cours des plus grandes famines que le monde a connues, il n'a pas été trouvé de cas de leur survenance dans un pays doté d'une démocratie adossée à des libertés individuelles, une presse indépendante et une opposition réellement opératoire (Amartya Sen, 1998). Au Sénégal, l'exigence de renforcer la concertation est liée au besoin de tirer les leçons des grèves lancinantes qui jalonnent le déroulement des activités dans des secteurs clés, notamment l'éducation et la santé (OCDE). Enfin, du côté des institutions, au-delà de la séparation des pouvoirs, qui constitue une caractéristique fondamentale d'un Etat de droit moderne et attractif, il convient de doter les juridictions de véritables juges spécialisés en affaires qui font défaut dans les contentieux commerciaux. Enfin sur les prix, la seule alternative, dans une économie de concurrence et un contexte de diminution de la production alimentaire à l’échelle mondiale est d’accorder une attention plus soutenue aux producteurs de riz de la vallée du fleuve et du bassin de l'Anambé. L'Etat doit s'atteler à la définition d'une réelle politique de sécurité alimentaire, à partir d'incitations visant la fourniture de produits vivriers.
NB1 : Développer les outils des institutions de l'Etat pour une gestion plus efficiente de la dépense publique au Sénégal, Revue des Finances Publiques, Juin 2012 (Banque Mondiale)
«Sur les dix dernières années, en moyenne, le secteur primaire qui génère 13,7% du PIB, englobe 50% de la population active et plus de 81% des pauvres. Ce secteur contribue donc faiblement à la création de la richesse..." «Sur les prix, la seule alternative, dans une économie de concurrence et un contexte de diminution de la production alimentaire à l’échelle mondiale est d’accorder une attention plus soutenue aux producteurs de riz de la vallée du fleuve et du bassin de l'Anambé." «Pour une politique pro-pauvre, les pays qui ont le mieux réussi à juguler le phénomène (Brésil, Ghana, Maurice, etc.) ont procédé à un réaménagement des priorités d'allocation publique bénéficiant aux pauvres, à travers un ciblage des dépenses de consommation de base, d’éducation et de santé.»
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