Opportunités et défis

“D’ici 2030, 40 % des tâches du secteur de l’externalisation technologique en Afrique pourraient être affectées par l’IA”, informe une une étude menée par l'organisation Caribou et Genesis Analytics, en partenariat avec la Fondation Mastercard.. EnQuête revient sur les points saillants de ce document.
l'intelligence artificielle est en pleine expansion un peu partout dans le monde. Le continent africain n'est pas en reste. Selon une nouvelle étude menée par Caribou et Genesis Analytics, en partenariat avec la Fondation Mastercard, seulement 10 % des tâches du secteur BPO (externalisation des processus d'affaires) sont entièrement résilientes à l’automatisation, tandis que les tâches effectuées par les jeunes et les femmes sont les plus à risque. L’IA, révèle l'étude, transforme déjà les tâches répétitives, permettant aux employés de se concentrer sur la résolution de problèmes stratégiques, la prise de décision et le travail à plus forte valeur ajoutée.
“L’investissement dans la formation et l’alphabétisation en IA sera essentiel pour libérer le plein potentiel du secteur de l’externalisation des processus d’entreprise et atteindre une valeur de 35 milliards de dollars d’ici 2028”, a précisé la source, qui informe que “40 % des tâches dans le secteur de l’externalisation technologique en Afrique, y compris l’externalisation des processus d’affaires (BPO) et les services informatiques (IT), pourraient être automatisées d’ici 2030, créant ainsi de nouvelles voies pour que les travailleurs accèdent à des rôles plus qualifiés et mieux rémunérés”.
L’IA comme outil d’autonomisation sur le lieu de travail
Déjà profondément intégrée dans les secteurs du BPO et de l’ITES en Afrique, l'IA constitue un atout majeur dans le cadre de la promotion de l’efficacité et de l’innovation. “Les travailleurs utilisent des outils tels que ChatGPT, Microsoft Copilot et des chatbots internes pour améliorer la productivité, la créativité et la précision. Ces technologies alimentées par l’IA facilitent le codage, le débogage, la génération de contenu et le service client, ce qui permet aux employés de se concentrer sur la résolution de problèmes stratégiques, la prise de décision et les tâches à plus forte valeur ajoutée. Par conséquent, ils voient des possibilités d’avancement professionnel et de transition vers des rôles de niveau supérieur”, analysent les experts.
Malgré ces opportunités, font-ils cependant remarquer, l’essor rapide de l’IA pourrait avoir un impact sur certains rôles dans le secteur du BPO. “Les emplois de premier échelon, qui représentent 68 % de la main-d’œuvre, sont particulièrement touchés, avec plus de la moitié des tâches automatisables. Pour assurer la pérennité du secteur, des programmes de perfectionnement basés sur l’IA sont nécessaires pour permettre aux travailleurs d’accéder à des rôles plus qualifiés et mieux rémunérés dans les domaines de la cybersécurité, de la gestion de l’IA et des services de données”, indique le rapport..
Des fossés qui se creusent
Directeur des programmes panafricains d'économie numérique à la fondation Mastercard, Rodwell Mangisia a précisé : “L’industrie de l’externalisation technologique en Afrique se développe rapidement, créant de nouveaux emplois et de nouvelles opportunités chaque année. Alors que l’IA transforme les processus commerciaux mondiaux, l’Afrique peut montrer l’exemple en veillant à ce que sa main-d’œuvre soit prête à l’IA. En investissant dans des programmes ciblés de perfectionnement des compétences, en particulier pour les femmes et les jeunes professionnels, nous pouvons faire en sorte que cette croissance annuelle de 6 % se traduise par des emplois durables et à forte valeur ajoutée qui profitent à tous les groupes démographiques.”
Par ailleurs, bien que l’IA présente d’importantes opportunités, elle pose également des défis, en particulier pour les femmes et les jeunes qui occupent principalement des postes de premier échelon. A ce propos, “le rapport souligne que les tâches effectuées par les femmes sont en moyenne 10 % plus susceptibles d’être automatisées que celles effectuées par les hommes dans le secteur. Cette disparité risque d’exacerber les inégalités fondées sur le genre au sein de la main-d’œuvre du secteur si elle n’est pas abordée de manière proactive”. Les métiers de l’expérience client, qui représentent 44 % de l’emploi dans le secteur du BPO, ajoute le rapport, sont parmi les plus touchés, la moitié des tâches de ces postes étant automatisables. “Les postes de finance et de comptabilité dans le secteur de l’externalisation des processus d’affaires sont confrontés à des défis similaires, avec près des deux tiers des tâches de niveau junior à risque”, indique le document qui met-on en garde contre les effets pervers : “En l’absence d’intervention, ces changements pourraient avoir un impact disproportionné sur les moyens de subsistance des jeunes travailleurs et des femmes du secteur. Pour atténuer ces risques, le rapport souligne l’urgence d’efforts équitables de perfectionnement et de reconversion de l’IA afin de garantir que tous les groupes démographiques puissent passer à des rôles à l’épreuve du temps”.
Cela montre, selon la directrice de programme à Caribou, Charlene Migwe, que le secteur de l’externalisation technologique en Afrique est à un moment charnière. “Avec les bons investissements dans le développement des compétences, l’IA éthique et les politiques inclusives, nous pouvons transformer les risques de l’automatisation en nouvelles opportunités d’innovation et de résilience”, a-t-elle déclaré.
Le secteur de l’externalisation technologique sénégalaise : une locomotive à l’aube du changement
Au Sénégal, le secteur BPO devrait générer un chiffre d'affaires d’environ 10,8 millions de dollars en 2025, avec une croissance annuelle de 7% pour atteindre 14,26 millions de dollars d’ici 2029. Le gouvernement sénégalais, rappelle l'étude, s'est engagé à verser 11,9 millions de dollars sur deux ans dans le cadre de sa Stratégie nationale d’intelligence artificielle pour promouvoir l’IA comme moteur de croissance économique. Cependant, l’essor de l’automatisation pourrait freiner cette croissance. “Le rapport identifie les rôles de l’expérience client – 44 % de l’emploi actuel dans le secteur BPO africain – comme particulièrement vulnérables, la moitié des tâches risquant d’être automatisées”, rapporte la source. La question, selon Jon Beardsley, directeur de programme chez Genesis, n’est pas de savoir si l’Afrique participera à la révolution de l’IA, mais si les acteurs vont investir maintenant pour s'assurer qu’elle la mène. “Avec 125 millions de travailleurs qui entreront sur le marché d’ici 2030, des avantages stratégiques en matière de fuseau horaire et une solide maîtrise de l’anglais, l’Afrique offre une proposition de valeur convaincante pour être le leader des services commerciaux augmentés par l’IA”, ajoute-t-il optimiste.
Constituer une main-d’œuvre à l’épreuve du temps
Afin de tirer profit du potentiel de l’IA et d’atténuer les risques, le rapport présente des recommandations stratégiques pour accélérer le perfectionnement de la main-d’œuvre et assurer une adoption inclusive de l’IA. “Si l’automatisation peut remplacer les tâches routinières, elle offre également le potentiel d’améliorer la productivité, de créer des emplois plus qualifiés et de positionner l’Afrique comme un leader mondial de l’externalisation”, lit-on dans la note envoyée à EnQuête.
Pour ce faire, il faut d'abord un perfectionnement et une reconversion des travailleurs. A ce propos, le rapport préconise d'introduire une formation à l’IA dans les programmes de perfectionnement des entreprises BPO pour aider les travailleurs à passer à des rôles à plus forte valeur ajoutée. “Cela comprend une formation à l’IA et à la cybersécurité pour les travailleurs dans les domaines de l’annotation des données, du support informatique et du service client, car ces rôles sont les plus exposés au risque d’automatisation. Parmi les exemples de compétences spécifiques sur lesquelles s’appuyer”, les auteurs citent “la littératie en IA et l’apprentissage automatique, les modèles d’IA fondamentaux et les applications commerciales”. Les experts préconisent également des formations ciblées pour les femmes.
Après la formation, le rapport insiste sur le volet gouvernance, notamment à travers l'IA éthique et protection des droits du travail. Enfin, il faudra veiller à élargir l’accès à l’infrastructure numérique pour les jeunes ruraux et périurbains, avec notamment le “lancement d’un programme de prêt d’équipement technologique qui offre des prêts d’ordinateurs portables à taux zéro aux jeunes des régions éloignées, leur permettant ainsi de travailler dans des rôles intégrés à l’IA”.