Publié le 1 Jun 2022 - 16:52
DAK’ART 2002 - EXPOSITION "NOW, NAAW" D’EL SY

L’artiste déploie de nouveau ses ailes

 

Artiste-peintre, activiste culturel sénégalais, premier commissaire d’exposition noir à collaborer avec un musée européen dans les années 80, El Hadj Sy n’est  plus  à présenter. Avec une carrière riche d’une cinquantaine d’années d’expérience, lui qui prône  toujours la liberté a présenté,  dans le  cadre de la 14e édition de la Biennale des arts contemporains de Dakar, l’exposition "Now, Naaw".

 

Après sa brillante flash-expo locale ‘’7 portes pour entrer en peinture’’ au musée de l’Ifan, il y a de cela trois ans, El Hadj Sy  est revenu avec force, à l’occasion du Dak'Art 2022. El Sy, comme on l’appelle affectueusement, a exposé en Off collectif (Esprit Boulangerie à Ouakam) et en solo. Ainsi, son exposition "Now, Naaw"  a été présentée à la galerie Selebeyoon sise au Plateau.  “Now, Naaw” - signifie simultanément “maintenant” en anglais et “s’envoler” en wolof.

Les œuvres de M. Sy, faites à partir d’une variété de supports et de matériaux tels que des toiles de jute industrielles, du papier de boucherie ou papier recyclé, du verre, du bois, du goudron, des coquillages sont performatives. Mobiles tels des accessoires sur scène, semi-fonctionnels, brouillant ainsi les frontières de l’utilitaire et de l’esthétique, ses pièces se métamorphosent en des paravents, des portes, des fenêtres, des cerfs-volants, du mobilier ou des structures itinérantes.

La démarche de cet artiste se manifeste par une peinture à la fois figurative et abstraite d’une grande musicalité visuelle où les corps et les formes se soumettent à une ondulation permanente. Qu’il s'agisse d'interprétations poétiques d'événements politiques, de restitutions de scènes quotidiennes du Sénégal, des portraits de figures politiques, intellectuelles, mythologiques ou ordinaires, ou de références à l'urbanisme chaotique dakarois, ses œuvres entremêlent commentaires politico-socio-économiques et réflexions critiques sur les systèmes de production culturels et mondialisés.

Les nouvelles peintures d’El Hadj Sy, conçues comme des assemblages de panneaux et de colonnes sur roue à composition variable, transforment l’espace d’exposition en un paysage architectural hétéroclite. Il refuse le dictat muséal du ‘’ne pas toucher’’ qui sanctifie l’œuvre d’art et impose un rapport de distanciation contemplative aux visiteurs. Dans ses expositions, il subvertit l’espace, impose une chorégraphie au visiteur qui doit contourner, traverser, ouvrir ou fermer l'œuvre afin d'y avoir accès. ‘’Naaw’’ (l’envol) symbolise l’action, la liberté et le refus de se laisser paralyser par les institutions et les dogmes sociétaux : position qu’a toujours prise El Hadj Sy.

‘’Naaw’’, symbole de la liberté, de l’action et du refus

D’ailleurs, rappelons-le, dès sa sortie des beaux-arts de Dakar en 1977, il défie la politique culturelle de l’État et l’idéologie de la  négritude. Il reçoit néanmoins le soutien et l’admiration du président Léopold Sédar Senghor avec qui il ne cessera de dialoguer et de se confronter. Dans les années 1970, il marche, piétine, danse et peint, pieds nus, sur la toile, tel un acte de rupture face à la tradition esthétique des beaux-arts. Hors des institutions, il a investi les espaces sociaux, la rue, les hôpitaux et les gares pour engager un public plus large et concilier ses intérêts pour l’éducation, le développement et l’art.

La double signification phonétique de ‘’Now, Naaw’’ évoque le principe de glissement et de jeu cher à l’artiste. L’articulation des genres tels que la musique, le théâtre ou la danse, la simultanéité des sens - le toucher, l’ouïe ou la vue - ou les glissements d’identités sont des stratégies visuelles qu’emploie l’artiste pour enjamber une classification rigide du monde. Au lendemain de l’indépendance, cette conscience pluridisciplinaire tendait à éviter les pièges essentialistes et exotiques d’une “africanité”. Pour l’autonomie artistique des Sénégalais, El Hadj Sy prend l’initiative de la création de complexes d’ateliers tels que le premier Village des arts de 1977 à 1983 d’où les artistes seront expulsés et renouvelle cette démarche en 1996 dans un campement de travailleurs chinois – l’actuel Village des arts.

 Alors que l’exposition contestée ‘’Primitivisme in the 20th Century’’ au MoMA ouvre ses portes en 1984, El Hadj Sy conçoit cette même année une collection d’art contemporain sénégalais pour le musée Weltkulturen de Francfort, à l’issue de laquelle sera publiée la première anthologie d’art visuel du Sénégal, préfacée par Senghor. Dans cette volonté d’écrire une histoire moderne extra-occidentale, il est invité par la commissaire d’exposition Clémentine Délisse en  tant que co-commissaire de l’exposition historique “Seven Stories about Modern Art in Africa” à la Whitechapel Gallery en 1995, dans le cadre d’Africa95.

En 2015, une rétrospective majeure Painting, Performance, Politics au Weltkulturen Museum, lui est consacrée et dans laquelle ses œuvres sont mises en relation avec la collection ethnographique du musée, apportant ainsi une réflexion critique sur la muséologie. Une existence entre retrait de l’espace public et mobilisation politique, solitude et communautarisme, actes provocateurs et discrétion, le parcours d’El Hadj Sy est pluriel et capital pour l’histoire de l’art du Sénégal et des indépendances. Après plusieurs décennies de travail, un engagement perdure : poétiser et secouer le réel par des réinventions esthétiques.

BABACAR SY SEYE

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